Entre le 4 et le 22 octobre 1959, la sonde soviétique Lunik III faisait pour la première fois le tour de la Lune, puis revenait vers la Terre et transmettait les premières photographies de la face cachée.
Lancée le 4 octobre 1959, Lunik III, en partance pour la Lune, devait être une « expérience révolutionnaire » comme le soulignait le journaliste scientifique Albert Ducrocq dans L’Express du 8 octobre 1959. En effet, la sonde effectuait « la première navette régulière entre notre planète et son satellite », tout en obtenant « pour la première fois une image de sa face jusqu’alors invisible ». En relisant l’article d’Albert Ducrocq, on ressent une admiration certaine à l’égard des savants soviétiques. Etait-ce justifié ?
Une mission à multiples enjeux.
Lunik III s’inscrivait dans la course-compétition que se livraient l’Union soviétique et les Etats-Unis dans le cadre de la guerre froide. Si l’objectif avait en effet une dimension scientifique, à savoir photographier la face cachée, la mission devait aussi démontrer la supériorité du communisme sur le rival américain notamment en matière de vol interplanétaire. Les Soviétiques étaient par ailleurs avantagés, car ils disposaient d’un puissant lanceur, le R7, capable d’offrir à ladite sonde la vitesse cosmique nécessaire à atteindre la Lune.
Après avoir réussi à frôler la Lune avec Lunik I en janvier 1959 (juste avant la Pioneer 4 américaine en mars), puis à impacter le sol lunaire avec Lunik II en septembre, les Soviétiques ne laissent pas de répit aux Américains. Dès le 4 octobre, Lunik III décolle de la base de Baïkonour et, à ce moment-là, les observateurs occidentaux ont le sentiment que les Soviétiques ont toutes les chances de remporter « le fabuleux pari » de la course à la Lune. Ce qu’ils savent moins est que pour remporter ces trois succès, il y a eu quatre échecs… tout comme d’ailleurs les Américains (avec leurs sondes Pioneer 0, 1, 2 et 3).
La sonde. L’expérience.
A partir d’informations distillées par la propagande soviétique, la presse occidentale présente Lunik III comme une impressionnante « station interplanétaire », comme le titre en gros caractères dès le 5 octobre Le Parisien libéré : « PREMIER SATELLITE DE LA TERRE ET DE LA LUNE, LUNIK III, véritable station interplanétaire a été lancée hier avec succès par les Russes ». En réalité, celle-ci n’était qu’un modeste cylindre de 95 cm de diamètre (pour le corps central), pour une hauteur de 130 cm et une masse de 278,5 kg. Néanmoins, il est vrai que Lunik III était plus sophistiquée que les précédentes : elle disposait de panneaux solaires, d’un système de contrôle d’attitude et d’une alimentation électrique perfectionnés, sans oublier un mini-laboratoire destiné à photographier la Lune. Ainsi, après que les caméras aient pris les photographies, ces dernières devaient être développées puis scannées avant d’être transmises vers la Terre au moment où la sonde se rapprocherait de celle-ci.
Le déroulement de la mission.
Le 6 octobre, Lunik III survole la Lune à un peu de plus de 6 000 km de distance, puis la contourne sur une trajectoire l’amenant à revenir vers la Terre. L’événement est particulièrement suivi en Occident : Le Figaro annonce le jour même en première page « LUNIK III : Rendez-vous avec la Lune » et souligne que celle-ci « doit contourner la face invisible de notre satellite ». Le 7 octobre, La Nouvelle République s’empresse de confirmer que « LUNIK III a viré autour de la Lune » ; les opérations semblent donc se dérouler normalement. Pendant que la presse s’interroge, Lunik III photographie depuis une distance comprise entre 63 500 km et 66 700 d’altitude. Au total, vingt-neuf photos sont prises, couvrant 70% de la surface cachée de la Lune. Les tentatives de retransmissions des photographies interviennent dès le lendemain, mais la faiblesse du signal ne permet pas une bonne réception. Les Soviétiques ne disent mots… En attendant, les médias occidentaux se questionnent sur la suite. Ainsi le 8 octobre, La Nouvelle République, après avoir précisé le retour de la sonde vers la Terre, se demande ce que celle-ci va devenir ? Que vont révéler les photos ? Pour d’autres, il ne fait aucun doute que Lunik III permet déjà d’en savoir plus sur « l’existence et l’intensité de phénomènes tels que rayonnements roentgen cosmiques primaires, ultra-violets, infrarouges ou densité des poussières météoritiques », comme l’écrit Lucien Neret dans « Comment Lunik III renseigne Moscou », paru dans France Observateur.
Les jours passent, la presse, en quête d’informations, s’impatiente. Par exemple, le Figaro écrit le 10 octobre que « Lunik III ne progresse plus qu’à 0,5 km/s » ; le 16, La Liberté, comme d’autres journaux, déclare que « Lunik III ne répond plus ». Le soulagement arrive quelques jours plus tard : le 19, plusieurs quotidiens annoncent que la surface cachée de la Lune a bien été photographiée, comme Le Parisien, ou encore L’Aurore qui titre : « Lunik III a transmis les photos de la face inconnue de la Lune ».
Les photos de la face cachée de la Lune. Quel bilan ?
Sur les vingt-neuf clichés pris par Lunik III, dix-sept sont exploitables. Mais quels clichés ! Pour la première fois, l’humanité peut enfin voir à quoi ressemble la face cachée de la Lune. De nombreux quotidiens s’empressent de publier les meilleures photographies. Même L’Equipe s’y met le 27 octobre avec une photo en première page avec le titre : « Voici la première image de Lunik III » (accompagnée d’un article signé par Albert Ducrocq qui ne cache pas son admiration). De leur côté, les Soviétiques n’hésitent pas à nommer les premières structures visibles mais selon une démarche quelque peu orientée : la Mer de Moscou, les Monts soviétiques, les cratères Lomonossov et Tsiolkovski, etc. (Cela suscitera naturellement quelques controverses avec l’Union astronomique internationale qui rebaptisera par la suite certaines formations).
Toutefois, il faut admettre que la qualité et la résolution des photographies prises par Lunik peuvent laisser songeur. Ainsi, Gérald Messadié, dans Science et Vie de décembre 1959, n’hésite pas à écrire que celles-ci sont floues et que, finalement, elles ne sont qu’ « une curiosité et non un objet de travail ». Il n’en salue pas moins « l’extraordinaire exploit » et, à la fin de l’article, il précise tout de même qu’ « il s’agit donc un peu plus d’une curiosité, puisque la photo de la face inconnue nous révèle le très petit nombre de mers sur cet hémisphère »…
Dans les mois qui suivent, les Soviétiques livrent quelques informations supplémentaires, à travers notamment la publication d’un petit atlas. Début janvier 1960, un petit livre de 32 pages édité par l’Académie des sciences de l’URSS URSS paraît également en français, sous le titre Premières photos de la face inconnue de la Lune,dans lequel Lunik III et plusieurs « beaux » clichés de la face cachée de la Lune sont présentés et commentés.
Quant à la sonde Lunik III, le contact a été perdu dès le 22 octobre, puis elle s’est désintégrée dans les couches denses de l’atmosphère terrestre quelques années plus tard.
Références.
Un article : « L’autre côté de la Lune », Gérald Messadié, in Science et vie n°507, décembre 1959.
Un ouvrage : Premières photos de la face inconnue de la Lune, Académie des sciences de l’URSS, janvier 1960.
Un reportage soviétique sur Lunik III.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Entre le 4 et le 22 octobre 1959, la sonde soviétique Lunik III faisait pour la première fois le tour de la Lune, puis revenait vers la Terre et transmettait les premières photographies de la face cachée.
Lancée le 4 octobre 1959, Lunik III, en partance pour la Lune, devait être une « expérience révolutionnaire » comme le soulignait le journaliste scientifique Albert Ducrocq dans L’Express du 8 octobre 1959. En effet, la sonde effectuait « la première navette régulière entre notre planète et son satellite », tout en obtenant « pour la première fois une image de sa face jusqu’alors invisible ». En relisant l’article d’Albert Ducrocq, on ressent une admiration certaine à l’égard des savants soviétiques. Etait-ce justifié ?
Une mission à multiples enjeux.
Lunik III s’inscrivait dans la course-compétition que se livraient l’Union soviétique et les Etats-Unis dans le cadre de la guerre froide. Si l’objectif avait en effet une dimension scientifique, à savoir photographier la face cachée, la mission devait aussi démontrer la supériorité du communisme sur le rival américain notamment en matière de vol interplanétaire. Les Soviétiques étaient par ailleurs avantagés, car ils disposaient d’un puissant lanceur, le R7, capable d’offrir à ladite sonde la vitesse cosmique nécessaire à atteindre la Lune.
Après avoir réussi à frôler la Lune avec Lunik I en janvier 1959 (juste avant la Pioneer 4 américaine en mars), puis à impacter le sol lunaire avec Lunik II en septembre, les Soviétiques ne laissent pas de répit aux Américains. Dès le 4 octobre, Lunik III décolle de la base de Baïkonour et, à ce moment-là, les observateurs occidentaux ont le sentiment que les Soviétiques ont toutes les chances de remporter « le fabuleux pari » de la course à la Lune. Ce qu’ils savent moins est que pour remporter ces trois succès, il y a eu quatre échecs… tout comme d’ailleurs les Américains (avec leurs sondes Pioneer 0, 1, 2 et 3).
La sonde. L’expérience.
A partir d’informations distillées par la propagande soviétique, la presse occidentale présente Lunik III comme une impressionnante « station interplanétaire », comme le titre en gros caractères dès le 5 octobre Le Parisien libéré : « PREMIER SATELLITE DE LA TERRE ET DE LA LUNE, LUNIK III, véritable station interplanétaire a été lancée hier avec succès par les Russes ». En réalité, celle-ci n’était qu’un modeste cylindre de 95 cm de diamètre (pour le corps central), pour une hauteur de 130 cm et une masse de 278,5 kg. Néanmoins, il est vrai que Lunik III était plus sophistiquée que les précédentes : elle disposait de panneaux solaires, d’un système de contrôle d’attitude et d’une alimentation électrique perfectionnés, sans oublier un mini-laboratoire destiné à photographier la Lune. Ainsi, après que les caméras aient pris les photographies, ces dernières devaient être développées puis scannées avant d’être transmises vers la Terre au moment où la sonde se rapprocherait de celle-ci.
Le déroulement de la mission.
Le 6 octobre, Lunik III survole la Lune à un peu de plus de 6 000 km de distance, puis la contourne sur une trajectoire l’amenant à revenir vers la Terre. L’événement est particulièrement suivi en Occident : Le Figaro annonce le jour même en première page « LUNIK III : Rendez-vous avec la Lune » et souligne que celle-ci « doit contourner la face invisible de notre satellite ». Le 7 octobre, La Nouvelle République s’empresse de confirmer que « LUNIK III a viré autour de la Lune » ; les opérations semblent donc se dérouler normalement. Pendant que la presse s’interroge, Lunik III photographie depuis une distance comprise entre 63 500 km et 66 700 d’altitude. Au total, vingt-neuf photos sont prises, couvrant 70% de la surface cachée de la Lune. Les tentatives de retransmissions des photographies interviennent dès le lendemain, mais la faiblesse du signal ne permet pas une bonne réception. Les Soviétiques ne disent mots… En attendant, les médias occidentaux se questionnent sur la suite. Ainsi le 8 octobre, La Nouvelle République, après avoir précisé le retour de la sonde vers la Terre, se demande ce que celle-ci va devenir ? Que vont révéler les photos ? Pour d’autres, il ne fait aucun doute que Lunik III permet déjà d’en savoir plus sur « l’existence et l’intensité de phénomènes tels que rayonnements roentgen cosmiques primaires, ultra-violets, infrarouges ou densité des poussières météoritiques », comme l’écrit Lucien Neret dans « Comment Lunik III renseigne Moscou », paru dans France Observateur.
Les jours passent, la presse, en quête d’informations, s’impatiente. Par exemple, le Figaro écrit le 10 octobre que « Lunik III ne progresse plus qu’à 0,5 km/s » ; le 16, La Liberté, comme d’autres journaux, déclare que « Lunik III ne répond plus ». Le soulagement arrive quelques jours plus tard : le 19, plusieurs quotidiens annoncent que la surface cachée de la Lune a bien été photographiée, comme Le Parisien, ou encore L’Aurore qui titre : « Lunik III a transmis les photos de la face inconnue de la Lune ».
Les photos de la face cachée de la Lune. Quel bilan ?
Sur les vingt-neuf clichés pris par Lunik III, dix-sept sont exploitables. Mais quels clichés ! Pour la première fois, l’humanité peut enfin voir à quoi ressemble la face cachée de la Lune. De nombreux quotidiens s’empressent de publier les meilleures photographies. Même L’Equipe s’y met le 27 octobre avec une photo en première page avec le titre : « Voici la première image de Lunik III » (accompagnée d’un article signé par Albert Ducrocq qui ne cache pas son admiration). De leur côté, les Soviétiques n’hésitent pas à nommer les premières structures visibles mais selon une démarche quelque peu orientée : la Mer de Moscou, les Monts soviétiques, les cratères Lomonossov et Tsiolkovski, etc. (Cela suscitera naturellement quelques controverses avec l’Union astronomique internationale qui rebaptisera par la suite certaines formations).
Toutefois, il faut admettre que la qualité et la résolution des photographies prises par Lunik peuvent laisser songeur. Ainsi, Gérald Messadié, dans Science et Vie de décembre 1959, n’hésite pas à écrire que celles-ci sont floues et que, finalement, elles ne sont qu’ « une curiosité et non un objet de travail ». Il n’en salue pas moins « l’extraordinaire exploit » et, à la fin de l’article, il précise tout de même qu’ « il s’agit donc un peu plus d’une curiosité, puisque la photo de la face inconnue nous révèle le très petit nombre de mers sur cet hémisphère »…
Dans les mois qui suivent, les Soviétiques livrent quelques informations supplémentaires, à travers notamment la publication d’un petit atlas. Début janvier 1960, un petit livre de 32 pages édité par l’Académie des sciences de l’URSS URSS paraît également en français, sous le titre Premières photos de la face inconnue de la Lune,dans lequel Lunik III et plusieurs « beaux » clichés de la face cachée de la Lune sont présentés et commentés.
Quant à la sonde Lunik III, le contact a été perdu dès le 22 octobre, puis elle s’est désintégrée dans les couches denses de l’atmosphère terrestre quelques années plus tard.
Références.
Un article : « L’autre côté de la Lune », Gérald Messadié, in Science et vie n°507, décembre 1959.
Un ouvrage : Premières photos de la face inconnue de la Lune, Académie des sciences de l’URSS, janvier 1960.
Un reportage soviétique sur Lunik III.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
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