Le 12 avril 1961, les Soviétiques créaient a priori une surprise en réussissant à placer sur orbite le premier être humain. Un véritable déchaînement médiatique a suivi, tout particulièrement en France.
Après le vol de la chienne Laïka (Spoutnik II, 3 novembre 1957), les observateurs comprennent que la prochaine étape sera inévitablement celle du vol humain. La question qui se pose alors est de savoir qui des Américains ou des Soviétiques l’effectuera en premier.
Alors que les Américains sélectionnent en avril 1959 sept astronautes dans le cadre du programme Mercury, les Soviétiques leur emboîtent le pas en juillet en définissant le premier plan de sélection de cosmonautes. Ces derniers ne doivent cependant pas avoir une taille dépassant 1,75 m pour 75 kg, en raison de l’étroitesse du vaisseau Vostok ou « Orient » (masse : 4,7 t, hauteur : 4,4 m, diamètre : 2,3 m, volume habitable : 1,6 m²). Sur les 3 000 pilotes présélectionnés, il n’en reste plus que 102 en octobre, puis une vingtaine début mars 1960. La sélection se clôt en janvier 1961 et, à l’issue, six hommes sont retenus : Bykovsky, Gagarine, Nelioubov, Nikolaiev, Popovitch, Titov. Ces derniers subissent de nombreux tests médicaux et un entraînement s’apparentant parfois à de la torture (exercices vestibulaires, séjours en chambre thermique, tests en centrifugeuse, etc.). Quelques jours avant le vol, le choix se porte sur Youri Gagarine, âgé de 27 ans. Quant au vaisseau Vostok, il a été testé à plusieurs reprises avec notamment des animaux (chiens, rats, souris, etc.) avec des succès mitigés cependant : entre mai 1960 et mars 1961, sur les sept vols-tests, il y a eu… quatre échecs.
Si les Soviétiques font tout pour garder secret le vol de Gagarine, en réalité, l’information fuite et, quelques heures avant le décollage, l’incertitude devient une certitude. Ainsi, L’Aurore titre le 11 avril en gros caractères : « UN RUSSE DANS L’ESPACE ? RUMEURS A MOSCOU ».
Le 12 avril à 6h07 (TU), depuis Baïkonour, le lanceur Semiorka décolle, Gagarine s’exclame : « Poekhali ! » (« On y va ! »). Trois minutes plus tard, la coiffe couvrant Vostok est éjectée et, à 6h11, Gagarine déclare avec une sincère émotion : « J’observe les nuages, la base… C’est beau ! Oh Une vraie splendeur ! Le vol se passe bien (…) ». Pour la première fois, un être humain contemple la Terre, son berceau. Peu après, le « cosmonaute n°1 » livre quelques sentiments : « L’apesanteur est une sensation curieuse. Tout nage. Tout ! Formidable ! C’est curieux »… bien qu’il soit sanglé sur son siège.
Après avoir réalisé une orbite (à une altitude comprise entre 181 et 327 km d’altitude) en 108 minutes, le vaisseau Vostok rentre sur Terre. Peu après, l’agence soviétique Tass annonce : « Le premier au monde, le vaisseau-spoutnik cosmique « Vostok » ayant un homme à son bord a été placé le 12 avril 1961 sur une orbite autour de la Terre. Le pilote-cosmonaute du vaisseau-spoutnik cosmique « Vostok » est le citoyen de l’union des républiques socialistes soviétiques l’aviateur, le commandant Gagarine Iouri Alexeievitch ». Ce que ne précise pas le communiqué est que Gagarine n’est pas rentré sur Terre dans son vaisseau, il s’est éjecté en parachute au moment où Vostok se trouvait à 7 km d’altitude.
Le vol orbital de Youri Gagarine est immédiatement perçu comme un exploit. Les médias du monde entier saluent sa performance, comme en France où la plupart des quotidiens ne tarissent pas d’éloges comme L’Aurore qui, le 13 avril, titre en énormes caractères « L’EXPLOIT DE GAGARINE OUVRE AUX HOMMES L’ERE COSMIQUE » (avec sa photo en une) ; de même, L’Humanité titre : « UN SOVIETIQUE A OUVERT POUR L’HOMME L’ERE DU COSMOS » (avec une belle photo du cosmonaute en tenu de pilote et, en haut en plus petit : « Comment Youri Gagarine a vécu son odyssée historique »). Gagarine apparaît comme un « nouveau Christophe Colomb » venant de réaliser un des plus grands exploits jamais réalisés par l’homme, comme le soulignent également Paris-Jour en évoquant « L’EXPLOIT DU SIECLE » et Science et Vie qui, après avoir titré « LE 1er HOMME DANS L’ESPACE », note « le début de la plus fantastique aventure humaine ».
Peu à peu, le détail du vol se dévoile dans les colonnes des journaux : L’Aurore publie le 14 avril le « PREMIER RECIT DE L’HOMME DANS L’ESPACE ». Un côté parfois naïf lié à l’émerveillement transparaît : « Privé de pesanteur j’ai quand même bu mangé chanté pensé et travaillé », rapporte L’Aurore le même jour. Le côté intimiste du vol est également livré, comme France-soir dans sa 7ème édition du 14 avril : « GAGARINE REVELE : Ma femme savait que j’allais être le premier homme de l’espace » ; « J’avais dit adieu à mes enfants quelques jours avant le raid ».
Dans les jours qui suivent, les médias scrutent les faits et gestes de Gagarine qui dans un premier temps se rend à Moscou pour y recevoir les félicitations officielles. Là encore, c’est avec émotion que son triomphe est rapporté comme La Liberté qui, le 15 avril, titre par : « FOL ENTHOUSIASME HIER, A MOSCOU » ; le même jour, L’Aurore : « Dans Moscou en délire, LE JOUR DE FETE DE GAGARINE » ; France-soir : « DELIRE POUR GAGARINE RECU EN HEROS A MOSCOU » (avec une photo de Gagarine saluant le secrétaire général du parti communiste). La Montagne rapporte que « GAGARINE [est fait] HEROS DE L’UNION SOVIETIQUE » par Khrouchtchev qui, fier, lâchera : « Le monde verra de quoi notre pays, notre grand peuple, notre science sont capables »…
Héros soviétique au service de l’idéologie communiste, Gagarine devient aussi un ambassadeur itinérant, un « messager de la paix », accueilli dans de nombreux pays communistes (Pologne, Cuba, Hongrie, etc.), en voie de développement (Inde, Mexique, Brésil, etc.), ainsi que dans les grandes nations occidentales (Japon, Canada, Royaume uni, France, etc.), sans oublier l’ONU le 16 octobre 1963 (en compagnie de Valentina Terechkova qui entre temps sera devenue la première femme de l’espace). Gagarine n’est alors plus totalement soviétique, l’humanité se l’approprie. Alexandre Ananoff, qui a été dès la fin des années 1920 un des plus importants observateurs (et vulgarisateurs) français de la science astronautique, ne dit pas autre chose dans Les Lettres françaises du 20-26 avril 1961 : « Cet exploit, croyez-moi, sera gros de conséquences, car il bouleversera toutes les vieilles assises terrestres qu’elles soient sociales, politiques, scientifiques ou autres. Nous sommes au seuil d’une ère qui donnera à l’homme la faculté de penser grand, de penser en un mot à l’échelle cosmique, car Youri Gagarine a fait éclater les frontières de notre globe, et déjà du doigt il nous désigne les planètes ».
Soixante ans plus tard, en mémoire du vol du 12 avril 1961, le profil de Gagarine est peint en bleu et blanc en haut du lanceur qui emporte le 9 avril le vaisseau Soyouz MS-18 – baptisé à l’occasion « Yu. A. Gagarin ». Ce dernier emmène alors vers la station orbitale ISS un équipage composé des cosmonautes russes Oleg Novitski et Piotr Doubrov et… de l’astronaute américain Mark Vande Hei qui, à l’instar d’un Ananoff rêvant d’une astronautique « sans frontière » au service de l’humanité, avait déclaré : « (…) le temps a passé et nous avons compris que nous pouvions faire un peu plus de choses ensemble. J’espère que cela va continuer »…
- Un témoignage : Le chemin du cosmos, Youri Gagarine, Ed. Langues étrangères, Moscou, 1962.
- Une biographie : Gagarine ou le rêve russe de l’espace, d’Yves Gauthier, probablement l’une des meilleures biographies de Gagarine, Flammarion, 1998, réédité en 2015 chez Ginkgo.
- Une étude de presse : « 12 avril 1961 », Violette Morin et Beno Sternberg-Sarel, in Communications, pp.178-193, 1961/1, en ligne sur le site Persée
- Un film documentaire intitulé « Youri Gagarine, la solitude et la colère après la gloire », Toute l’Histoire, 2019.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 12 avril 1961, les Soviétiques créaient a priori une surprise en réussissant à placer sur orbite le premier être humain. Un véritable déchaînement médiatique a suivi, tout particulièrement en France.
Après le vol de la chienne Laïka (Spoutnik II, 3 novembre 1957), les observateurs comprennent que la prochaine étape sera inévitablement celle du vol humain. La question qui se pose alors est de savoir qui des Américains ou des Soviétiques l’effectuera en premier.
Alors que les Américains sélectionnent en avril 1959 sept astronautes dans le cadre du programme Mercury, les Soviétiques leur emboîtent le pas en juillet en définissant le premier plan de sélection de cosmonautes. Ces derniers ne doivent cependant pas avoir une taille dépassant 1,75 m pour 75 kg, en raison de l’étroitesse du vaisseau Vostok ou « Orient » (masse : 4,7 t, hauteur : 4,4 m, diamètre : 2,3 m, volume habitable : 1,6 m²). Sur les 3 000 pilotes présélectionnés, il n’en reste plus que 102 en octobre, puis une vingtaine début mars 1960. La sélection se clôt en janvier 1961 et, à l’issue, six hommes sont retenus : Bykovsky, Gagarine, Nelioubov, Nikolaiev, Popovitch, Titov. Ces derniers subissent de nombreux tests médicaux et un entraînement s’apparentant parfois à de la torture (exercices vestibulaires, séjours en chambre thermique, tests en centrifugeuse, etc.). Quelques jours avant le vol, le choix se porte sur Youri Gagarine, âgé de 27 ans. Quant au vaisseau Vostok, il a été testé à plusieurs reprises avec notamment des animaux (chiens, rats, souris, etc.) avec des succès mitigés cependant : entre mai 1960 et mars 1961, sur les sept vols-tests, il y a eu… quatre échecs.
Si les Soviétiques font tout pour garder secret le vol de Gagarine, en réalité, l’information fuite et, quelques heures avant le décollage, l’incertitude devient une certitude. Ainsi, L’Aurore titre le 11 avril en gros caractères : « UN RUSSE DANS L’ESPACE ? RUMEURS A MOSCOU ».
Le 12 avril à 6h07 (TU), depuis Baïkonour, le lanceur Semiorka décolle, Gagarine s’exclame : « Poekhali ! » (« On y va ! »). Trois minutes plus tard, la coiffe couvrant Vostok est éjectée et, à 6h11, Gagarine déclare avec une sincère émotion : « J’observe les nuages, la base… C’est beau ! Oh Une vraie splendeur ! Le vol se passe bien (…) ». Pour la première fois, un être humain contemple la Terre, son berceau. Peu après, le « cosmonaute n°1 » livre quelques sentiments : « L’apesanteur est une sensation curieuse. Tout nage. Tout ! Formidable ! C’est curieux »… bien qu’il soit sanglé sur son siège.
Après avoir réalisé une orbite (à une altitude comprise entre 181 et 327 km d’altitude) en 108 minutes, le vaisseau Vostok rentre sur Terre. Peu après, l’agence soviétique Tass annonce : « Le premier au monde, le vaisseau-spoutnik cosmique « Vostok » ayant un homme à son bord a été placé le 12 avril 1961 sur une orbite autour de la Terre. Le pilote-cosmonaute du vaisseau-spoutnik cosmique « Vostok » est le citoyen de l’union des républiques socialistes soviétiques l’aviateur, le commandant Gagarine Iouri Alexeievitch ». Ce que ne précise pas le communiqué est que Gagarine n’est pas rentré sur Terre dans son vaisseau, il s’est éjecté en parachute au moment où Vostok se trouvait à 7 km d’altitude.
Le vol orbital de Youri Gagarine est immédiatement perçu comme un exploit. Les médias du monde entier saluent sa performance, comme en France où la plupart des quotidiens ne tarissent pas d’éloges comme L’Aurore qui, le 13 avril, titre en énormes caractères « L’EXPLOIT DE GAGARINE OUVRE AUX HOMMES L’ERE COSMIQUE » (avec sa photo en une) ; de même, L’Humanité titre : « UN SOVIETIQUE A OUVERT POUR L’HOMME L’ERE DU COSMOS » (avec une belle photo du cosmonaute en tenu de pilote et, en haut en plus petit : « Comment Youri Gagarine a vécu son odyssée historique »). Gagarine apparaît comme un « nouveau Christophe Colomb » venant de réaliser un des plus grands exploits jamais réalisés par l’homme, comme le soulignent également Paris-Jour en évoquant « L’EXPLOIT DU SIECLE » et Science et Vie qui, après avoir titré « LE 1er HOMME DANS L’ESPACE », note « le début de la plus fantastique aventure humaine ».
Peu à peu, le détail du vol se dévoile dans les colonnes des journaux : L’Aurore publie le 14 avril le « PREMIER RECIT DE L’HOMME DANS L’ESPACE ». Un côté parfois naïf lié à l’émerveillement transparaît : « Privé de pesanteur j’ai quand même bu mangé chanté pensé et travaillé », rapporte L’Aurore le même jour. Le côté intimiste du vol est également livré, comme France-soir dans sa 7ème édition du 14 avril : « GAGARINE REVELE : Ma femme savait que j’allais être le premier homme de l’espace » ; « J’avais dit adieu à mes enfants quelques jours avant le raid ».
Dans les jours qui suivent, les médias scrutent les faits et gestes de Gagarine qui dans un premier temps se rend à Moscou pour y recevoir les félicitations officielles. Là encore, c’est avec émotion que son triomphe est rapporté comme La Liberté qui, le 15 avril, titre par : « FOL ENTHOUSIASME HIER, A MOSCOU » ; le même jour, L’Aurore : « Dans Moscou en délire, LE JOUR DE FETE DE GAGARINE » ; France-soir : « DELIRE POUR GAGARINE RECU EN HEROS A MOSCOU » (avec une photo de Gagarine saluant le secrétaire général du parti communiste). La Montagne rapporte que « GAGARINE [est fait] HEROS DE L’UNION SOVIETIQUE » par Khrouchtchev qui, fier, lâchera : « Le monde verra de quoi notre pays, notre grand peuple, notre science sont capables »…
Héros soviétique au service de l’idéologie communiste, Gagarine devient aussi un ambassadeur itinérant, un « messager de la paix », accueilli dans de nombreux pays communistes (Pologne, Cuba, Hongrie, etc.), en voie de développement (Inde, Mexique, Brésil, etc.), ainsi que dans les grandes nations occidentales (Japon, Canada, Royaume uni, France, etc.), sans oublier l’ONU le 16 octobre 1963 (en compagnie de Valentina Terechkova qui entre temps sera devenue la première femme de l’espace). Gagarine n’est alors plus totalement soviétique, l’humanité se l’approprie. Alexandre Ananoff, qui a été dès la fin des années 1920 un des plus importants observateurs (et vulgarisateurs) français de la science astronautique, ne dit pas autre chose dans Les Lettres françaises du 20-26 avril 1961 : « Cet exploit, croyez-moi, sera gros de conséquences, car il bouleversera toutes les vieilles assises terrestres qu’elles soient sociales, politiques, scientifiques ou autres. Nous sommes au seuil d’une ère qui donnera à l’homme la faculté de penser grand, de penser en un mot à l’échelle cosmique, car Youri Gagarine a fait éclater les frontières de notre globe, et déjà du doigt il nous désigne les planètes ».
Soixante ans plus tard, en mémoire du vol du 12 avril 1961, le profil de Gagarine est peint en bleu et blanc en haut du lanceur qui emporte le 9 avril le vaisseau Soyouz MS-18 – baptisé à l’occasion « Yu. A. Gagarin ». Ce dernier emmène alors vers la station orbitale ISS un équipage composé des cosmonautes russes Oleg Novitski et Piotr Doubrov et… de l’astronaute américain Mark Vande Hei qui, à l’instar d’un Ananoff rêvant d’une astronautique « sans frontière » au service de l’humanité, avait déclaré : « (…) le temps a passé et nous avons compris que nous pouvions faire un peu plus de choses ensemble. J’espère que cela va continuer »…
- Un témoignage : Le chemin du cosmos, Youri Gagarine, Ed. Langues étrangères, Moscou, 1962.
- Une biographie : Gagarine ou le rêve russe de l’espace, d’Yves Gauthier, probablement l’une des meilleures biographies de Gagarine, Flammarion, 1998, réédité en 2015 chez Ginkgo.
- Une étude de presse : « 12 avril 1961 », Violette Morin et Beno Sternberg-Sarel, in Communications, pp.178-193, 1961/1, en ligne sur le site Persée
- Un film documentaire intitulé « Youri Gagarine, la solitude et la colère après la gloire », Toute l’Histoire, 2019.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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