Du 11 au 22 octobre 1968, le programme lunaire américain prenait son envol avec Apollo 7, une mission déterminante de près de 11 jours autour de la Terre pour tester le CSM avec un équipage.
Depuis les discours du président américain Kennedy des 25 mai 1961 et 12 septembre 1962, respectivement devant le congrès américain et l’université Rice (Houston, Texas), les Etats-Unis sont engagés dans la course à la Lune. L’objectif est d’y envoyer des hommes avant le rival soviétique.
Lorsque le programme lunaire est avancé, les Américains n’ont même pas encore effectué de vol orbital. En quelques années, ils développent des vaisseaux spatiaux, préparent et entraînent des équipages avec d’abord le monoplace Mercury (mai 1961-mai 1963), puis avec le biplace Gemini (mars 1965-novembre 1966). Ce dernier permet en 20 mois avec dix vols (Gemini 3 à 12) de déployer du matériel et des technologies nécessaires au vaisseau triplace Apollo appelé à envoyer des hommes sur la Lune. Dans le même temps, des robots éclaireurs sont envoyés autour de la Lune à commencer par les Ranger qui, entre août 1961 et mars 1965, obtiennent les premières photographies détaillées du sol lunaire avec plus ou moins de succès (sur les neuf Ranger, trois remplissent leur mission). Les Américains reprennent l’avantage sur leur rival soviétique.
Dans un premier temps, trois vols Apollo non habités sont effectués. Le premier, AS-201 (Apollo Saturn appelé a posteriori Apollo 1), est réalisé le 26 février 1966 pour valider la technique de séparation entre le premier et le second étage du lanceur Saturn 1B (dont c’est le premier vol), ainsi que le module de commande et de service Apollo (CSM / Command Service Module), notamment sa rentrée atmosphérique. Suivent le vol AS-203 (Apollo 2), qui évalue le 5 juillet 1966 les performances de l’étage S-IVB (par un Saturn 1B) appelé à être le troisième étage de la fusée lunaire Saturn 5, puis le vol AS-202 (Apollo 3) qui, le 25 août 1966, teste en plus du S-IVB de nouveau le CSM. Encouragés par les succès, les responsables décident d’effectuer le premier vol habité avec au préalable un essai au sol. Toutefois, ce dernier tourne au drame le 27 janvier 1967 : lors du test du module de commande, un incendie se déclare, entraînant la mort des trois astronautes (Virgil Grissom, Edward White et Roger Chaffee). L’enjeu de la course-compétition est tel que les Américains ne peuvent pas se permettre d’arrêter le programme.
Dans les mois qui suivent, après avoir corrigé les imperfections du vaisseau Apollo, plusieurs vols non habités sont programmés pour éprouver l’ensemble du matériel. Ainsi, le 9 novembre 1967, Apollo 4 (ou AS-501) teste pour la première fois le lanceur lunaire Saturn 5 ; le 22 janvier 1968, Apollo 5 (AS-204) met à l’épreuve le module lunaire (LM) dans le milieu spatial (à l’aide d’un Saturn 1B) ; le 4 avril 1968, Apollo 6 (AS-502) utilise pour la deuxième fois Saturn 5 qui malgré des défaillances place correctement sur orbite la capsule Apollo. Parallèlement, l’exploration robotique de la Lune se poursuit : sept sondes Surveyor partent entre mai 1966 et janvier 1968 en éclaireurs se poser sur la Lune pour étudier in situ le sol et vérifier qu’un vaisseau habité pourra bien s’y poser en toute sécurité.
Vient enfin le temps d’envoyer un équipage pour que celui-ci se familiarise avec le CSM sur orbite terrestre : le 11 octobre 1968, le cinquième Saturn 1B décolle avec un module de commande et de service sans le LM, avec à bord Walter Schirra (commandant, 3ème vol), Donn Eisele (1er vol) et Walter Cunningham (1er vol) placés sur une orbite comprise entre 231 km (périgée) et 297 km (apogée) d’altitude (avec une inclinaison de 31,6°). Enjoué et rassuré, le général Sam Phillips, directeur du programme Apollo (entre 1964 et 1969), déclare : « Le spectre d’Apollo 1 fut définitivement exorcisé et le nouveau vaisseau spatial Block 2, avec tous ses millions de composants, fonctionna à la perfection ».
Pendant près de 11 jours, simulant sur orbite terrestre la durée d’une mission lunaire, les trois astronautes apprennent à vivre dans le CSM, manient le vaisseau (propulsion, guidage, contrôle d’attitude, radar transpondeur de rendez-vous, etc.), prennent de nombreuses photographies de la Terre et des couvertures nuageuses. Ils réalisent également entre le 14 et le 21 octobre les premières retransmissions télévisées en direct (d’une dizaine de minutes en moyenne). Lors des émissions, ils font la « visite guidée » de leur vaisseau, décrivent leur travail du jour et leur quotidien.
Au cours du vol, l’équipage rencontre quelques problèmes sans gravité, notamment au niveau de l’une des trois piles à combustible (avec des hausses de température anormales), un mauvais fonctionnement de la détente du pistolet de distribution d'eau (détérioration d'un joint), un problème de condensation dans la cabine, etc.
Outre des ventilateurs trop bruyants, les trois astronautes sont également gênés par un rhume qui les irrite fortement au point de s’en prendre aux équipes au sol lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés ou des contraintes. Ainsi, ils se plaignent d’avoir un programme trop chargé, de procéder à des opérations qu’ils estiment parfois inutiles, voire ridicules. Par exemple, Schirra les taxe de « bricolages à la Mickey », de « tests mal préparés » ou encore de « procédures conçues à la va-vite par des crétins qui se prennent pour le nombril du monde ». Les responsables au sol n’apprécient guère le comportement des astronautes « mutins » qui d’ailleurs ne revoleront plus.
Retour et bilan
Le retour sur Terre s’effectue correctement : le 22 octobre, le module de service se sépare du module de commande qui amerrit comme prévu dans l’océan Atlantique au sud-est des Bermudes, récupéré par le navire USS Essex. La mission remporte un succès total, démontrant le bon fonctionnement du vaisseau Apollo, notamment son équilibre thermique, l’endurance des différents systèmes, les techniques de navigation, etc. Tout est désormais prêt pour des essais dans les environnements cis-lunaire et lunaire.
- Deux ouvrages généraux : Ils voulaient la Lune, Alan Shepard et Deke Slayton, Ed. Ifrane, Paris, 1995 ; Apollo VII-XVII, Joel Meter et Simon Phillipson, Ed. teNeues, 2018.
- Un dossier de presse de la Nasa, Apollo 7, First Manned Apollo, 6 octobre 1968
- Un documentaire vidéo de la Nasa, « The Flight of Apollo 7 », 1967.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Du 11 au 22 octobre 1968, le programme lunaire américain prenait son envol avec Apollo 7, une mission déterminante de près de 11 jours autour de la Terre pour tester le CSM avec un équipage.
Depuis les discours du président américain Kennedy des 25 mai 1961 et 12 septembre 1962, respectivement devant le congrès américain et l’université Rice (Houston, Texas), les Etats-Unis sont engagés dans la course à la Lune. L’objectif est d’y envoyer des hommes avant le rival soviétique.
Lorsque le programme lunaire est avancé, les Américains n’ont même pas encore effectué de vol orbital. En quelques années, ils développent des vaisseaux spatiaux, préparent et entraînent des équipages avec d’abord le monoplace Mercury (mai 1961-mai 1963), puis avec le biplace Gemini (mars 1965-novembre 1966). Ce dernier permet en 20 mois avec dix vols (Gemini 3 à 12) de déployer du matériel et des technologies nécessaires au vaisseau triplace Apollo appelé à envoyer des hommes sur la Lune. Dans le même temps, des robots éclaireurs sont envoyés autour de la Lune à commencer par les Ranger qui, entre août 1961 et mars 1965, obtiennent les premières photographies détaillées du sol lunaire avec plus ou moins de succès (sur les neuf Ranger, trois remplissent leur mission). Les Américains reprennent l’avantage sur leur rival soviétique.
Dans un premier temps, trois vols Apollo non habités sont effectués. Le premier, AS-201 (Apollo Saturn appelé a posteriori Apollo 1), est réalisé le 26 février 1966 pour valider la technique de séparation entre le premier et le second étage du lanceur Saturn 1B (dont c’est le premier vol), ainsi que le module de commande et de service Apollo (CSM / Command Service Module), notamment sa rentrée atmosphérique. Suivent le vol AS-203 (Apollo 2), qui évalue le 5 juillet 1966 les performances de l’étage S-IVB (par un Saturn 1B) appelé à être le troisième étage de la fusée lunaire Saturn 5, puis le vol AS-202 (Apollo 3) qui, le 25 août 1966, teste en plus du S-IVB de nouveau le CSM. Encouragés par les succès, les responsables décident d’effectuer le premier vol habité avec au préalable un essai au sol. Toutefois, ce dernier tourne au drame le 27 janvier 1967 : lors du test du module de commande, un incendie se déclare, entraînant la mort des trois astronautes (Virgil Grissom, Edward White et Roger Chaffee). L’enjeu de la course-compétition est tel que les Américains ne peuvent pas se permettre d’arrêter le programme.
Dans les mois qui suivent, après avoir corrigé les imperfections du vaisseau Apollo, plusieurs vols non habités sont programmés pour éprouver l’ensemble du matériel. Ainsi, le 9 novembre 1967, Apollo 4 (ou AS-501) teste pour la première fois le lanceur lunaire Saturn 5 ; le 22 janvier 1968, Apollo 5 (AS-204) met à l’épreuve le module lunaire (LM) dans le milieu spatial (à l’aide d’un Saturn 1B) ; le 4 avril 1968, Apollo 6 (AS-502) utilise pour la deuxième fois Saturn 5 qui malgré des défaillances place correctement sur orbite la capsule Apollo. Parallèlement, l’exploration robotique de la Lune se poursuit : sept sondes Surveyor partent entre mai 1966 et janvier 1968 en éclaireurs se poser sur la Lune pour étudier in situ le sol et vérifier qu’un vaisseau habité pourra bien s’y poser en toute sécurité.
Vient enfin le temps d’envoyer un équipage pour que celui-ci se familiarise avec le CSM sur orbite terrestre : le 11 octobre 1968, le cinquième Saturn 1B décolle avec un module de commande et de service sans le LM, avec à bord Walter Schirra (commandant, 3ème vol), Donn Eisele (1er vol) et Walter Cunningham (1er vol) placés sur une orbite comprise entre 231 km (périgée) et 297 km (apogée) d’altitude (avec une inclinaison de 31,6°). Enjoué et rassuré, le général Sam Phillips, directeur du programme Apollo (entre 1964 et 1969), déclare : « Le spectre d’Apollo 1 fut définitivement exorcisé et le nouveau vaisseau spatial Block 2, avec tous ses millions de composants, fonctionna à la perfection ».
Pendant près de 11 jours, simulant sur orbite terrestre la durée d’une mission lunaire, les trois astronautes apprennent à vivre dans le CSM, manient le vaisseau (propulsion, guidage, contrôle d’attitude, radar transpondeur de rendez-vous, etc.), prennent de nombreuses photographies de la Terre et des couvertures nuageuses. Ils réalisent également entre le 14 et le 21 octobre les premières retransmissions télévisées en direct (d’une dizaine de minutes en moyenne). Lors des émissions, ils font la « visite guidée » de leur vaisseau, décrivent leur travail du jour et leur quotidien.
Au cours du vol, l’équipage rencontre quelques problèmes sans gravité, notamment au niveau de l’une des trois piles à combustible (avec des hausses de température anormales), un mauvais fonctionnement de la détente du pistolet de distribution d'eau (détérioration d'un joint), un problème de condensation dans la cabine, etc.
Outre des ventilateurs trop bruyants, les trois astronautes sont également gênés par un rhume qui les irrite fortement au point de s’en prendre aux équipes au sol lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés ou des contraintes. Ainsi, ils se plaignent d’avoir un programme trop chargé, de procéder à des opérations qu’ils estiment parfois inutiles, voire ridicules. Par exemple, Schirra les taxe de « bricolages à la Mickey », de « tests mal préparés » ou encore de « procédures conçues à la va-vite par des crétins qui se prennent pour le nombril du monde ». Les responsables au sol n’apprécient guère le comportement des astronautes « mutins » qui d’ailleurs ne revoleront plus.
Retour et bilan
Le retour sur Terre s’effectue correctement : le 22 octobre, le module de service se sépare du module de commande qui amerrit comme prévu dans l’océan Atlantique au sud-est des Bermudes, récupéré par le navire USS Essex. La mission remporte un succès total, démontrant le bon fonctionnement du vaisseau Apollo, notamment son équilibre thermique, l’endurance des différents systèmes, les techniques de navigation, etc. Tout est désormais prêt pour des essais dans les environnements cis-lunaire et lunaire.
- Deux ouvrages généraux : Ils voulaient la Lune, Alan Shepard et Deke Slayton, Ed. Ifrane, Paris, 1995 ; Apollo VII-XVII, Joel Meter et Simon Phillipson, Ed. teNeues, 2018.
- Un dossier de presse de la Nasa, Apollo 7, First Manned Apollo, 6 octobre 1968
- Un documentaire vidéo de la Nasa, « The Flight of Apollo 7 », 1967.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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