Le 10 novembre 1972, un lanceur américain plaçait sur orbite Anik 1, faisant du Canada le premier pays au monde à déployer un système national de satellites géostationnaires commerciaux de télécommunications.
En 1966, après avoir joué un rôle de premier plan dans le programme scientifique de satellites Alouette, le physicien canadien John Herbert Chapman (1921-1979) est placé à la tête d’un groupe d’étude gouvernemental, chargé d’examiner les études à entreprendre sur la haute atmosphère et les programmes spatiaux du Canada.
Un an plus tard, un rapport intitulé « Upper Atmosphere and Space Programs in Canada » (aussi appelé « rapport Chapman ») est remis aux autorités. Dans celui-ci, il est souligné que le pays étant régulièrement sujet à des coupures de courant dans les transmissions radio causées par l'ionosphère, finalement, seuls des satellites utilisant des fréquences adaptées pourraient les surmonter. Le rapport souligne que ces satellites pourraient être d’une grande aide aux populations isolées dans le vaste territoire au climat et à la gestion des ressources difficiles qu’est le Canada. Ainsi, deux types de satellites apparaissent opportuns aux Canadiens, l’un pour les communications, l’autre pour les télédétections des ressources naturelles.
En ce qui concerne les communications, le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau établit le 2 mai 1969 une loi (adoptée après un vote au Parlement le 1er septembre 1966) portant sur la création de Telesat, une société à base commerciale pour fournir un système national de télécommunications par satellite devant couvrir l’ensemble du territoire canadien. N’ayant cependant pas les compétences nécessaires pour construire les satellites, Telesat se tourne vers les Etats-Unis. En septembre 1970, un contrat est passé avec le groupe californien Hughes Aircraft Company avec, comme principales entreprises canadiennes sous-traitantes, Northern Electric Company (habituée à fournir des équipements aux entreprises américaines) et Spar Aerospace Products Ltd (fondée en 1967 à la suite du rachat de Havilland Canada et l’unité de recherche appliquée d’Avro Canada).
D’une hauteur de 3,35 m pour une masse au lancement de 560 kg, Anik ressemble à un cylindre d’un diamètre de 1,83 m, stabilisé par rotation. Recouvert de cellules solaires, il est doté d’une antenne placée au sommet en permanence tournée vers la Terre, et dispose de 12 canaux de communication dans trois bandes entre 3,7-4,2 GHz.
Reste à trouver un nom à ce premier satellite de communication. Un concours est alors organisé par le Ministère des communications du gouvernement fédéral. En novembre 1969, c’est une employée d'un supermarché de Saint-Léonard au Québec, Mary-Frances Czapla, qui remporte l’adhésion en proposant le nom « Anik », signifiant « frère » en inuktitut, une des langues des Inuits – populations vivant dans les régions arctiques de l’Amérique du Nord.
Lancé le 9 novembre 1972 par une fusée américaine Delta (depuis Cap Kennedy), Anik A1 devient le premier satellite géostationnaire non-américain de télécommunications au monde. Si les Américains ont réalisé les premiers satellites actifs de communication expérimentaux – militaires – Score (décembre 1958) et Courier 1B (octobre 1960), en revanche leur premier satellite commercial civil sur orbite géostationnaire n’est lancé qu’en août 1964 (Syncom 3).
Grâce à Anik A1, les communautés canadiennes les plus reculées dans le territoire peuvent d’une part avoir accès à un réseau de téléphonie de qualité et, d’autre part, regarder des émissions télévisées en direct. Le succès a pu être obtenu grâce à l’effort conjugué du gouvernement fédéral et des Etats canadiens (finançant notamment le déploiement d’antennes de réception), mais aussi de plusieurs centres de recherche et de Telesat en étroite coopération avec des entreprises canadiennes… et américaines.
Prévu pour une durée initiale de 7 ans, Anik A1 fonctionne jusqu’au 15 juillet 1982. Deux autres satellites Anik sont placés sur orbite géostationnaire les 19 avril 1973 (Anik A2) et 7 mai 1975 (Anik A3). Quant au service commercial, il commence dès janvier 1973, assuré par La Compagnie canadienne de Téléphone Bell (Bell Canada à partir de 1968). Dans les décennies qui suivent, d’autres générations succèdent aux trois Anik A (un B, trois C, deux D, deux E, quatre F, un G depuis 2013) avec des capacités sans cesse accrues (et dans de nouvelles bandes).
Ainsi, le Canada a su très tôt comprendre l’intérêt de l’espace pour apprendre à mieux gérer son territoire, comme le soulignait Garry Lindberg, ancien vice-président de la recherche et des applications de l’Agence spatiale canadienne (CSA) lors d’une interview donnée en 2021 sur la chaine YouTube de la CSA : « Je pense que le Canada a toujours eu un intérêt pour l’espace, à cause de la géographie du pays. Il y a le Nord et il y a les aurores boréales et leur effet sur nos télécommunications. On a besoin de communiquer d’un bout à l’autre du Canada. Il était donc tout naturel pour le pays d’avoir un intérêt à observer l’espace (…). Je n’ai pas participé au programme Alouette-ISIS ni à ceux des télécommunications [Anik] mais ils tombaient tout à fait sous le sens. A mon avis, on a utilisé l’espace intelligemment pas seulement comme une chose à comprendre, mais aussi à exploiter ».
- Un article : Satellite Communication in Canada, W.M. Mac Evans, in Online Journal of Space Communication n°4 (de la Society for Satellite Professionals International, New-York),
- Le site des archives de la Nasa
- Une interview sur la chaine YouTube de l’Agence spatiale Canadienne de Garry Lindberg, ancien gestionnaire de projet du programme Canadarm et ancien vice-président de la recherche et des applications de la CSA.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 10 novembre 1972, un lanceur américain plaçait sur orbite Anik 1, faisant du Canada le premier pays au monde à déployer un système national de satellites géostationnaires commerciaux de télécommunications.
En 1966, après avoir joué un rôle de premier plan dans le programme scientifique de satellites Alouette, le physicien canadien John Herbert Chapman (1921-1979) est placé à la tête d’un groupe d’étude gouvernemental, chargé d’examiner les études à entreprendre sur la haute atmosphère et les programmes spatiaux du Canada.
Un an plus tard, un rapport intitulé « Upper Atmosphere and Space Programs in Canada » (aussi appelé « rapport Chapman ») est remis aux autorités. Dans celui-ci, il est souligné que le pays étant régulièrement sujet à des coupures de courant dans les transmissions radio causées par l'ionosphère, finalement, seuls des satellites utilisant des fréquences adaptées pourraient les surmonter. Le rapport souligne que ces satellites pourraient être d’une grande aide aux populations isolées dans le vaste territoire au climat et à la gestion des ressources difficiles qu’est le Canada. Ainsi, deux types de satellites apparaissent opportuns aux Canadiens, l’un pour les communications, l’autre pour les télédétections des ressources naturelles.
En ce qui concerne les communications, le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau établit le 2 mai 1969 une loi (adoptée après un vote au Parlement le 1er septembre 1966) portant sur la création de Telesat, une société à base commerciale pour fournir un système national de télécommunications par satellite devant couvrir l’ensemble du territoire canadien. N’ayant cependant pas les compétences nécessaires pour construire les satellites, Telesat se tourne vers les Etats-Unis. En septembre 1970, un contrat est passé avec le groupe californien Hughes Aircraft Company avec, comme principales entreprises canadiennes sous-traitantes, Northern Electric Company (habituée à fournir des équipements aux entreprises américaines) et Spar Aerospace Products Ltd (fondée en 1967 à la suite du rachat de Havilland Canada et l’unité de recherche appliquée d’Avro Canada).
D’une hauteur de 3,35 m pour une masse au lancement de 560 kg, Anik ressemble à un cylindre d’un diamètre de 1,83 m, stabilisé par rotation. Recouvert de cellules solaires, il est doté d’une antenne placée au sommet en permanence tournée vers la Terre, et dispose de 12 canaux de communication dans trois bandes entre 3,7-4,2 GHz.
Reste à trouver un nom à ce premier satellite de communication. Un concours est alors organisé par le Ministère des communications du gouvernement fédéral. En novembre 1969, c’est une employée d'un supermarché de Saint-Léonard au Québec, Mary-Frances Czapla, qui remporte l’adhésion en proposant le nom « Anik », signifiant « frère » en inuktitut, une des langues des Inuits – populations vivant dans les régions arctiques de l’Amérique du Nord.
Lancé le 9 novembre 1972 par une fusée américaine Delta (depuis Cap Kennedy), Anik A1 devient le premier satellite géostationnaire non-américain de télécommunications au monde. Si les Américains ont réalisé les premiers satellites actifs de communication expérimentaux – militaires – Score (décembre 1958) et Courier 1B (octobre 1960), en revanche leur premier satellite commercial civil sur orbite géostationnaire n’est lancé qu’en août 1964 (Syncom 3).
Grâce à Anik A1, les communautés canadiennes les plus reculées dans le territoire peuvent d’une part avoir accès à un réseau de téléphonie de qualité et, d’autre part, regarder des émissions télévisées en direct. Le succès a pu être obtenu grâce à l’effort conjugué du gouvernement fédéral et des Etats canadiens (finançant notamment le déploiement d’antennes de réception), mais aussi de plusieurs centres de recherche et de Telesat en étroite coopération avec des entreprises canadiennes… et américaines.
Prévu pour une durée initiale de 7 ans, Anik A1 fonctionne jusqu’au 15 juillet 1982. Deux autres satellites Anik sont placés sur orbite géostationnaire les 19 avril 1973 (Anik A2) et 7 mai 1975 (Anik A3). Quant au service commercial, il commence dès janvier 1973, assuré par La Compagnie canadienne de Téléphone Bell (Bell Canada à partir de 1968). Dans les décennies qui suivent, d’autres générations succèdent aux trois Anik A (un B, trois C, deux D, deux E, quatre F, un G depuis 2013) avec des capacités sans cesse accrues (et dans de nouvelles bandes).
Ainsi, le Canada a su très tôt comprendre l’intérêt de l’espace pour apprendre à mieux gérer son territoire, comme le soulignait Garry Lindberg, ancien vice-président de la recherche et des applications de l’Agence spatiale canadienne (CSA) lors d’une interview donnée en 2021 sur la chaine YouTube de la CSA : « Je pense que le Canada a toujours eu un intérêt pour l’espace, à cause de la géographie du pays. Il y a le Nord et il y a les aurores boréales et leur effet sur nos télécommunications. On a besoin de communiquer d’un bout à l’autre du Canada. Il était donc tout naturel pour le pays d’avoir un intérêt à observer l’espace (…). Je n’ai pas participé au programme Alouette-ISIS ni à ceux des télécommunications [Anik] mais ils tombaient tout à fait sous le sens. A mon avis, on a utilisé l’espace intelligemment pas seulement comme une chose à comprendre, mais aussi à exploiter ».
- Un article : Satellite Communication in Canada, W.M. Mac Evans, in Online Journal of Space Communication n°4 (de la Society for Satellite Professionals International, New-York),
- Le site des archives de la Nasa
- Une interview sur la chaine YouTube de l’Agence spatiale Canadienne de Garry Lindberg, ancien gestionnaire de projet du programme Canadarm et ancien vice-président de la recherche et des applications de la CSA.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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