Le 20 janvier 1978, le vaisseau cargo Progress 1 rejoint la station orbitale soviétique Saliout 6. Une première dans l’histoire de l’astronautique.
A la fin des années soixante, alors que le vaisseau Soyouz, appelé à remplacer les Vostok et Voskhod avec lesquels les Soviétiques ont effectué leurs premiers vols habités depuis 1961, est en cours de réalisation au Bureau central d’études de la construction de machines expérimentales (TsKBEM), ce dernier propose de construire une « station orbitale de longue durée » civile : DOS. Pour aller plus vite, celle-ci pourrait être conçue à partir d’un autre projet de station orbitale militaire (Almaz), en cours d’étude dans un autre bureau. Elle serait équipée d’un système d’amarrage permettant à un vaisseau habité Soyouz de s’y fixer, formant ainsi un véritable « train spatial ». DOS est officiellement adoptée le 9 février 1970 par les autorités (Ministère des machines générales / MOM).
Baptisée Saliout 1 (« salut »), DOS 1 est lancée avec succès le 19 avril 1971. Elle reçoit la visite du Soyouz 11, qui s’amarre le 6 juin. Pour la première fois, une station orbitale tourne autour de la Terre, avec trois hommes à bord (Dobrovolski, Patsaïev, Volkov). Toutefois, après avoir séjourné un peu plus de trois semaines, l’équipage meurt lors du retour, la cabine s’étant dépressurisée. Mais les Soviétiques ne peuvent se permettre de stopper le programme, d’autant que les Américains se préparent à lancer leur station géante Skylab...
Après trois échecs consécutifs, d’autres stations orbitales suivent, militaires (Almaz 2 / Saliout 3 en avril 1973, Almaz 3 / Saliout 5 en juin 1976) et civile (DOS 4 / Saliout 4). Cette dernière, lancée le 26 décembre 1974, accueille deux équipages avant de se consumer le 3 février 1977 dans les couches denses de l’atmosphère. Comme le souligne Nicolas Pillet sur le site Kosmonavtika, « Les premiers vols conduits sur les stations Saliout et Saliout 4 montrent que la vie sur orbite est possible, mais qu’elle est limitée par la quantité de vivres et de matériel acheminable ». Or « les vaisseau Soyouz utilisés pour transporter les équipages ne sont capables d’apporter que quelques dizaines de kilogrammes de fret, ce qui ne permet pas une occupation à long terme de l’orbite ». Dès lors comment faire ?
Alors qu’il est décidé de donner suite à Saliout 4 avec Saliout 6 (DOS 5), TsKBEM lance la réalisation d’un vaisseau ravitailleur permettant de maintenir plus longtemps sur orbite la nouvelle station orbitale civile, qui est dotée de deux colliers d’amarrage, un à l'avant et un à l'arrière, autorisant ainsi le ravitaillement régulier par des vaisseaux-cargos. Appelé Progress (« progrès »). Ce dernier dérive du Soyouz-T, destiné à la desserte avec des équipages des stations orbitales (premier vol : Soyouz-10 en avril 1971). Les études ont lieu entre mi 1973 et février 1974, tandis que le développement intervient en 1974-1977.
Décrit par la Pravda comme un « tanker, camion, remorqueur », Progress est conçu pour effectuer de manière automatique les manœuvres de rendez-vous et d’amarrage, et pouvant rester arrimé un mois à la station. Comme Soyouz, il est constitué de trois modules : la partie avant correspond au module orbital adapté pour le fret (pour gagner de la place, tous les systèmes prévus pour un équipage sont supprimés) ; le module de descente est transformé en cargo pour principalement le carburant qui, grâce à des tuyaux, est transféré du vaisseau à la station ; enfin, le module de service, globalement semblable à celui du Soyouz, comprend les moteurs et instruments de navigation. Au total, Progress a une longueur de 7,2 m à 7,48 pour un diamètre de 2,72 m et une masse totale de 7 020 kg à 7 450 kg, pouvant emporter une charge de 2 230 kg à 2 350 kg. Une fois que l’équipage a déchargé le vaisseau, celui-ci est rempli de déchets, se détache de la station puis se consume dans les couches denses de l’atmosphère.
Le 20 janvier 1978, le premier vaisseau ravitailleur de l’histoire décolle avec succès et s’amarre à Saliout 6 deux jours plus tard. Il apporte aux cosmonautes Romanenko et Gretchko 1 300 kg de fret (eau, nourriture, pièces détachées, divers appareils, etc.) et 1 000 kg d’ergols (N2O4-UDMH). Une fois le fret récupéré, les cosmonautes procèdent les 2 et 3 février au pompage des ergols ; pour réussir l’opération, les réservoirs du Progress ont alors une pression plus élevée que ceux de la station. Ensuite, le 5, les moteurs de Progress 1 sont allumés pour rehausser l’orbite de la station, contribuant ainsi à accroître sa durée de vie. Le 6, le vaisseau cargo se détache de Saliout, s’éloigne peu à peu, expérimente une approche avec le système de rendez-vous de secours puis, le 8 février, il brûle dans l’atmosphère.
Grâce au vaisseau ravitailleur, il est désormais possible d’effectuer des opérations de maintenance à long terme des laboratoires spatiaux sur orbite. Les cosmonautes peuvent également battre des records de séjour dans l’espace, comme le souligne Le Monde du 17 juillet 1979 : dans son article titré « Les cosmonautes de Saliout 6 ont battu le record de séjour dans l’espace », Jean-François Augereau souligne que « Les deux cosmonautes soviétiques de Saliout 6, Vladimir Liakhov et Valeri Rioumine, en orbite terrestre depuis le 25 février 1979, ont établi un nouveau record de séjour dans l'espace. Dans la nuit du 14 au 15 juillet (…), ils ont en effet égalé la précédente performance - cent trente-neuf jours, quatorze heures et quarante-huit minutes - de leurs compatriotes Vladimir Kovalenok et Alexandre Ivantchenkov, anciens "locataires" de la station spatiale ». Jean-François Augereau précise que cela n’est cependant pas une « course vaine aux records », « L'heure est à l'espace utile, avec toutes les implications civiles et militaires que cela sous-entend » et que « Saliout-1, 4 et aujourd'hui 6 étaient, et sont tournées vers les technologies de demain (…) ». Ainsi, « Avec la station Saliout (atelier de travail en orbite), les vaisseaux Soyouz (véhicules de transport) et les Progress (cargos ravitailleurs), les Soviétiques disposent d'un merveilleux outil pour leurs vols dans l'espace ».
Au total, douze Progress rejoignent Saliout 6, permettant à la station de recevoir, jusqu’en 1981, seize équipages pour trente-trois passagers, dont huit provenant de pays communistes « frères » (un Tchèque, un Polonais, un Est-Allemand, un Hongrois, un Vietnamien, un Cubain, un Mongol et un Roumain).
- Un ouvrage général : L’Astronautique soviétique, Christian Lardier.
- Deux articles : « Progress 1 : un tanker, un camion, un remorqueur », Serge Berg, in Air et Cosmos n°706, 18 février 1978 ; « Histoire du remorqueur spatial », Pascal Bultel, in Lettre 3AF n°13, février 2015.
- Le site Kosmonavtika, « L’histoire des vaisseaux Progress », Nicolas Pillet,
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 20 janvier 1978, le vaisseau cargo Progress 1 rejoint la station orbitale soviétique Saliout 6. Une première dans l’histoire de l’astronautique.
A la fin des années soixante, alors que le vaisseau Soyouz, appelé à remplacer les Vostok et Voskhod avec lesquels les Soviétiques ont effectué leurs premiers vols habités depuis 1961, est en cours de réalisation au Bureau central d’études de la construction de machines expérimentales (TsKBEM), ce dernier propose de construire une « station orbitale de longue durée » civile : DOS. Pour aller plus vite, celle-ci pourrait être conçue à partir d’un autre projet de station orbitale militaire (Almaz), en cours d’étude dans un autre bureau. Elle serait équipée d’un système d’amarrage permettant à un vaisseau habité Soyouz de s’y fixer, formant ainsi un véritable « train spatial ». DOS est officiellement adoptée le 9 février 1970 par les autorités (Ministère des machines générales / MOM).
Baptisée Saliout 1 (« salut »), DOS 1 est lancée avec succès le 19 avril 1971. Elle reçoit la visite du Soyouz 11, qui s’amarre le 6 juin. Pour la première fois, une station orbitale tourne autour de la Terre, avec trois hommes à bord (Dobrovolski, Patsaïev, Volkov). Toutefois, après avoir séjourné un peu plus de trois semaines, l’équipage meurt lors du retour, la cabine s’étant dépressurisée. Mais les Soviétiques ne peuvent se permettre de stopper le programme, d’autant que les Américains se préparent à lancer leur station géante Skylab...
Après trois échecs consécutifs, d’autres stations orbitales suivent, militaires (Almaz 2 / Saliout 3 en avril 1973, Almaz 3 / Saliout 5 en juin 1976) et civile (DOS 4 / Saliout 4). Cette dernière, lancée le 26 décembre 1974, accueille deux équipages avant de se consumer le 3 février 1977 dans les couches denses de l’atmosphère. Comme le souligne Nicolas Pillet sur le site Kosmonavtika, « Les premiers vols conduits sur les stations Saliout et Saliout 4 montrent que la vie sur orbite est possible, mais qu’elle est limitée par la quantité de vivres et de matériel acheminable ». Or « les vaisseau Soyouz utilisés pour transporter les équipages ne sont capables d’apporter que quelques dizaines de kilogrammes de fret, ce qui ne permet pas une occupation à long terme de l’orbite ». Dès lors comment faire ?
Alors qu’il est décidé de donner suite à Saliout 4 avec Saliout 6 (DOS 5), TsKBEM lance la réalisation d’un vaisseau ravitailleur permettant de maintenir plus longtemps sur orbite la nouvelle station orbitale civile, qui est dotée de deux colliers d’amarrage, un à l'avant et un à l'arrière, autorisant ainsi le ravitaillement régulier par des vaisseaux-cargos. Appelé Progress (« progrès »). Ce dernier dérive du Soyouz-T, destiné à la desserte avec des équipages des stations orbitales (premier vol : Soyouz-10 en avril 1971). Les études ont lieu entre mi 1973 et février 1974, tandis que le développement intervient en 1974-1977.
Décrit par la Pravda comme un « tanker, camion, remorqueur », Progress est conçu pour effectuer de manière automatique les manœuvres de rendez-vous et d’amarrage, et pouvant rester arrimé un mois à la station. Comme Soyouz, il est constitué de trois modules : la partie avant correspond au module orbital adapté pour le fret (pour gagner de la place, tous les systèmes prévus pour un équipage sont supprimés) ; le module de descente est transformé en cargo pour principalement le carburant qui, grâce à des tuyaux, est transféré du vaisseau à la station ; enfin, le module de service, globalement semblable à celui du Soyouz, comprend les moteurs et instruments de navigation. Au total, Progress a une longueur de 7,2 m à 7,48 pour un diamètre de 2,72 m et une masse totale de 7 020 kg à 7 450 kg, pouvant emporter une charge de 2 230 kg à 2 350 kg. Une fois que l’équipage a déchargé le vaisseau, celui-ci est rempli de déchets, se détache de la station puis se consume dans les couches denses de l’atmosphère.
Le 20 janvier 1978, le premier vaisseau ravitailleur de l’histoire décolle avec succès et s’amarre à Saliout 6 deux jours plus tard. Il apporte aux cosmonautes Romanenko et Gretchko 1 300 kg de fret (eau, nourriture, pièces détachées, divers appareils, etc.) et 1 000 kg d’ergols (N2O4-UDMH). Une fois le fret récupéré, les cosmonautes procèdent les 2 et 3 février au pompage des ergols ; pour réussir l’opération, les réservoirs du Progress ont alors une pression plus élevée que ceux de la station. Ensuite, le 5, les moteurs de Progress 1 sont allumés pour rehausser l’orbite de la station, contribuant ainsi à accroître sa durée de vie. Le 6, le vaisseau cargo se détache de Saliout, s’éloigne peu à peu, expérimente une approche avec le système de rendez-vous de secours puis, le 8 février, il brûle dans l’atmosphère.
Grâce au vaisseau ravitailleur, il est désormais possible d’effectuer des opérations de maintenance à long terme des laboratoires spatiaux sur orbite. Les cosmonautes peuvent également battre des records de séjour dans l’espace, comme le souligne Le Monde du 17 juillet 1979 : dans son article titré « Les cosmonautes de Saliout 6 ont battu le record de séjour dans l’espace », Jean-François Augereau souligne que « Les deux cosmonautes soviétiques de Saliout 6, Vladimir Liakhov et Valeri Rioumine, en orbite terrestre depuis le 25 février 1979, ont établi un nouveau record de séjour dans l'espace. Dans la nuit du 14 au 15 juillet (…), ils ont en effet égalé la précédente performance - cent trente-neuf jours, quatorze heures et quarante-huit minutes - de leurs compatriotes Vladimir Kovalenok et Alexandre Ivantchenkov, anciens "locataires" de la station spatiale ». Jean-François Augereau précise que cela n’est cependant pas une « course vaine aux records », « L'heure est à l'espace utile, avec toutes les implications civiles et militaires que cela sous-entend » et que « Saliout-1, 4 et aujourd'hui 6 étaient, et sont tournées vers les technologies de demain (…) ». Ainsi, « Avec la station Saliout (atelier de travail en orbite), les vaisseaux Soyouz (véhicules de transport) et les Progress (cargos ravitailleurs), les Soviétiques disposent d'un merveilleux outil pour leurs vols dans l'espace ».
Au total, douze Progress rejoignent Saliout 6, permettant à la station de recevoir, jusqu’en 1981, seize équipages pour trente-trois passagers, dont huit provenant de pays communistes « frères » (un Tchèque, un Polonais, un Est-Allemand, un Hongrois, un Vietnamien, un Cubain, un Mongol et un Roumain).
- Un ouvrage général : L’Astronautique soviétique, Christian Lardier.
- Deux articles : « Progress 1 : un tanker, un camion, un remorqueur », Serge Berg, in Air et Cosmos n°706, 18 février 1978 ; « Histoire du remorqueur spatial », Pascal Bultel, in Lettre 3AF n°13, février 2015.
- Le site Kosmonavtika, « L’histoire des vaisseaux Progress », Nicolas Pillet,
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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