Il y a 45 ans, l’Indonésie entrait dans l’ère des télécommunications spatiales
Il y a 45 ans, l’Indonésie entrait dans l’ère des télécommunications spatiales
© Hughes (coll. Histoires d'espace)

publié le 08 juillet 2021 à 10:31

1071 mots

Il y a 45 ans, l’Indonésie entrait dans l’ère des télécommunications spatiales

Le 8 juillet 1976, un lanceur Delta américain plaçait sur orbite le satellite de télécommunications Palapa A1, faisant de l’Indonésie le premier pays en voie de développement à disposer de son propre système satellitaire national.


Peu après le début de la conquête spatiale, plusieurs nations, à commencer par les Etats-Unis, s’engagent dans la course aux satellites de télécommunications. Si les Etats-Unis jouent un rôle de premier plan dans la constitution en 1964 du consortium Intelsat (pour un réseau de communications dépassant le cadre des nations permettant de supprimer les barrières océaniques), ils déploient dans le même temps un réseau domestique. Toutefois, le premier réseau national constitué entre 1972 et 1975 est canadien, donnant envie à d’autres pays…

 

Des contraintes géographiques à surmonter

A l’instar d’un Canada qui comprend très vite l’intérêt de disposer d’un réseau domestique de communications pour mieux gérer l’immense territoire, l’Indonésie se trouve dans une situation tout aussi difficile : archipel de près de 18 000 îles au relief accidenté avec des forêts denses, celui-ci s’étend sur 5 271 km d’est en ouest et jusqu’à 2 210 km du nord au sud, pour une superficie totale de plus de 1,9 million de km². Quant à la population, en ce début des années 70, elle dépasse les 114 millions d’habitants, population morcelée en 250 groupes ethniques disposant néanmoins d’une langue véhiculaire, le Bahasa indonesia.

 

Une volonté politique

Après une éprouvante guerre de décolonisation (1945-1949), l’Indonésie recouvre son indépendance. Toutefois, jusqu’en 1966-67, le pays, dirigé par Sukarno, connaît de nombreuses tensions, dont plusieurs rébellions séparatistes, et s’aligne sur une politique procommuniste entravant le développement de la nation. Cela entraîne la prise du pouvoir en 1966-67 du général Suharto qui s’engage dans une voie diamétralement opposée, se rapprochant du bloc occidental. Imposant un « Ordre nouveau », Suharto manifeste très tôt sa volonté de développer son pays en le dotant notamment d’infrastructures, principalement dans le domaine des transports (routes, voies navigables, voies aériennes, ports maritimes) et dans les télécommunications. Ces dernières sont alors considérées comme un enjeu vital devant favoriser l’unité du pays, en rapprochant les différentes populations aux langues, religions et coutumes différentes.

 

Le satellite au service du développement

Ainsi, dès 1968, l’Indonésie intègre le consortium Intelsat. Toutefois, les autorités indonésiennes souhaitent avoir également leur propre réseau national, car la maîtrise des télécommunications offrira incontestablement des opportunités politiques, économiques (banques, commerce, etc.), culturelles (éducation, diffusion du bahasa indonesia, etc.), sans oublier la défense ou encore la santé publique. De plus, les populations étant encore à 70% rurales, un tel réseau s’avère indispensable afin de les atteindre et de les aider à se développer. En ce sens-là, l’Indonésie suit l’exemple de l’Inde qui, au cours des années 1960, s’engage dans le développement de systèmes spatiaux et des satellites pour sortir le pays du sous-développement. Toutefois, l’Indonésie n’a pas les moyens d’ambitionner la construction de satellites, encore moins celle d’avoir ses propres lanceurs comme cherche alors à le faire l’Inde. C’est la raison pour laquelle elle intègre Intelsat et souhaite une coopération avec les Etats-Unis.

 

La coopération américano-indonésienne

Rapidement, les autorités indonésiennes constatent qu’il est plus facile d’établir des contacts à l’échelle internationale que régionale… Une réflexion et des études s’engagent au sein du Conseil des télécommunications et de la Direction générale des postes et télécommunications. De plus, le lancement en novembre 1972 du satellite Anik 1, première brique du réseau domestique canadien, achève de convaincre les responsables indonésiens de la nécessité de développer un réseau national. Alors que le groupe américain Hughes Aircraft Company (aujourd’hui Boeing) construit les satellites canadiens Anik (et américains Westar), les Indonésiens se demandent si celui-ci ne pourrait pas leur fournir des satellites similaires… En 1973, le président Suharto donne la priorité à l’établissement d’un réseau national en sollicitant la coopération avec les Etats-Unis. Le 5 juillet 1974, un accord-cadre est signé entre PERUMTEL (Société d’Etat fournissant des services en télécommunications) et Hughes qui accepte de construire des satellites et de fournir une assistance dans la gestion du réseau de télécommunications. Le 6 janvier 1975, le président Suharto annonce officiellement le lancement du programme de télécommunications national, les contrats sont officiellement signés en février suivant. Deux premiers satellites Palapa sont alors prévus, ainsi que plusieurs stations de réception.

 

Les satellites Palapa

D’une masse totale de 574 kg (297 kg sur orbite), les satellites Palapa ont une hauteur de 3,41 m (antennes comprises) et 1,9 m de diamètre, équipés de 12 répéteurs d’une capacité de 6 000 circuits vocaux ou 12 canaux de télévision couleur. Quant au nom du satellite, il a été choisi par le président Suharto, faisant référence au serment « Sumpah Palapa » prononcé en 1334 par Gajah Mada, le Premier ministre du royaume de Majapahit, qui avait fait le serment de ne pas manger de palapa (« nourriture épicée ») aussi longtemps que l’ensemble de l’archipel indonésien ne soit unifié… Le choix de ce nom revêt ainsi un caractère profondément nationaliste avec un clin d’œil à une période glorieuse de l’Indonésie avant celle de la colonisation hollandaise (XVIIème siècle-1949).

 

Palapa au service d’une intégration régionale

Le premier Palapa (A1) est lancé le 8 juillet 1976 par un lanceur américain Delta 2914 depuis le Kennedy Space Center, placé sur une orbite géostationnaire à 83° Est ; il est pleinement fonctionnel à partir du 16 août. Le 10 mars 1977, il est rejoint par son jumeau Palapa A2 (77° Est).

Le succès des Palapa est tel qu’il suscite rapidement l’intérêt des pays de l’ASEAN (Association des nations d’Asie du sud-est), à commencer par les Philippines qui deux ans plus tard signent un accord pour utiliser le satellite indonésien. Peu après, la Thaïlande et la Malaisie rejoignent à leur tour le système Palapa. Ainsi, « Palapa apparaît de plus en plus comme un système national capable de desservir les pays de l’ASEAN (…) étroitement contrôlé par le gouvernement indonésien », et d’en favoriser « de relatifs rapprochements », comme le soulignait il y a quelques années Fernand Verger dans son Atlas de géographie de l’espace.

 

Quelques références

- Un article : « Planification et développement du système indonésien de télécommunications par satellite Palapa », issu de la thèse de Marwah Daoud Ibrahim sur L’application des satellites de communication dans les pays en développement : le cas de l’Indonésie (1989), consultable en ligne

- Le site de The Jakarta Post dans lequel est présenté un court article relatant l’histoire des satellites de télécommunications indonésiennes,  « A Brief History of Telkom Satellites From Palapa A1 to Telkom »,

- Une vidéo sur le lancement de Palapa A1 et la constitution du réseau régional de télécommunications indonésiennes

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence

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08/07/2021 10:31
1071 mots

Il y a 45 ans, l’Indonésie entrait dans l’ère des télécommunications spatiales

Le 8 juillet 1976, un lanceur Delta américain plaçait sur orbite le satellite de télécommunications Palapa A1, faisant de l’Indonésie le premier pays en voie de développement à disposer de son propre système satellitaire national.

Il y a 45 ans, l’Indonésie entrait dans l’ère des télécommunications spatiales
Il y a 45 ans, l’Indonésie entrait dans l’ère des télécommunications spatiales

Peu après le début de la conquête spatiale, plusieurs nations, à commencer par les Etats-Unis, s’engagent dans la course aux satellites de télécommunications. Si les Etats-Unis jouent un rôle de premier plan dans la constitution en 1964 du consortium Intelsat (pour un réseau de communications dépassant le cadre des nations permettant de supprimer les barrières océaniques), ils déploient dans le même temps un réseau domestique. Toutefois, le premier réseau national constitué entre 1972 et 1975 est canadien, donnant envie à d’autres pays…

 

Des contraintes géographiques à surmonter

A l’instar d’un Canada qui comprend très vite l’intérêt de disposer d’un réseau domestique de communications pour mieux gérer l’immense territoire, l’Indonésie se trouve dans une situation tout aussi difficile : archipel de près de 18 000 îles au relief accidenté avec des forêts denses, celui-ci s’étend sur 5 271 km d’est en ouest et jusqu’à 2 210 km du nord au sud, pour une superficie totale de plus de 1,9 million de km². Quant à la population, en ce début des années 70, elle dépasse les 114 millions d’habitants, population morcelée en 250 groupes ethniques disposant néanmoins d’une langue véhiculaire, le Bahasa indonesia.

 

Une volonté politique

Après une éprouvante guerre de décolonisation (1945-1949), l’Indonésie recouvre son indépendance. Toutefois, jusqu’en 1966-67, le pays, dirigé par Sukarno, connaît de nombreuses tensions, dont plusieurs rébellions séparatistes, et s’aligne sur une politique procommuniste entravant le développement de la nation. Cela entraîne la prise du pouvoir en 1966-67 du général Suharto qui s’engage dans une voie diamétralement opposée, se rapprochant du bloc occidental. Imposant un « Ordre nouveau », Suharto manifeste très tôt sa volonté de développer son pays en le dotant notamment d’infrastructures, principalement dans le domaine des transports (routes, voies navigables, voies aériennes, ports maritimes) et dans les télécommunications. Ces dernières sont alors considérées comme un enjeu vital devant favoriser l’unité du pays, en rapprochant les différentes populations aux langues, religions et coutumes différentes.

 

Le satellite au service du développement

Ainsi, dès 1968, l’Indonésie intègre le consortium Intelsat. Toutefois, les autorités indonésiennes souhaitent avoir également leur propre réseau national, car la maîtrise des télécommunications offrira incontestablement des opportunités politiques, économiques (banques, commerce, etc.), culturelles (éducation, diffusion du bahasa indonesia, etc.), sans oublier la défense ou encore la santé publique. De plus, les populations étant encore à 70% rurales, un tel réseau s’avère indispensable afin de les atteindre et de les aider à se développer. En ce sens-là, l’Indonésie suit l’exemple de l’Inde qui, au cours des années 1960, s’engage dans le développement de systèmes spatiaux et des satellites pour sortir le pays du sous-développement. Toutefois, l’Indonésie n’a pas les moyens d’ambitionner la construction de satellites, encore moins celle d’avoir ses propres lanceurs comme cherche alors à le faire l’Inde. C’est la raison pour laquelle elle intègre Intelsat et souhaite une coopération avec les Etats-Unis.

 

La coopération américano-indonésienne

Rapidement, les autorités indonésiennes constatent qu’il est plus facile d’établir des contacts à l’échelle internationale que régionale… Une réflexion et des études s’engagent au sein du Conseil des télécommunications et de la Direction générale des postes et télécommunications. De plus, le lancement en novembre 1972 du satellite Anik 1, première brique du réseau domestique canadien, achève de convaincre les responsables indonésiens de la nécessité de développer un réseau national. Alors que le groupe américain Hughes Aircraft Company (aujourd’hui Boeing) construit les satellites canadiens Anik (et américains Westar), les Indonésiens se demandent si celui-ci ne pourrait pas leur fournir des satellites similaires… En 1973, le président Suharto donne la priorité à l’établissement d’un réseau national en sollicitant la coopération avec les Etats-Unis. Le 5 juillet 1974, un accord-cadre est signé entre PERUMTEL (Société d’Etat fournissant des services en télécommunications) et Hughes qui accepte de construire des satellites et de fournir une assistance dans la gestion du réseau de télécommunications. Le 6 janvier 1975, le président Suharto annonce officiellement le lancement du programme de télécommunications national, les contrats sont officiellement signés en février suivant. Deux premiers satellites Palapa sont alors prévus, ainsi que plusieurs stations de réception.

 

Les satellites Palapa

D’une masse totale de 574 kg (297 kg sur orbite), les satellites Palapa ont une hauteur de 3,41 m (antennes comprises) et 1,9 m de diamètre, équipés de 12 répéteurs d’une capacité de 6 000 circuits vocaux ou 12 canaux de télévision couleur. Quant au nom du satellite, il a été choisi par le président Suharto, faisant référence au serment « Sumpah Palapa » prononcé en 1334 par Gajah Mada, le Premier ministre du royaume de Majapahit, qui avait fait le serment de ne pas manger de palapa (« nourriture épicée ») aussi longtemps que l’ensemble de l’archipel indonésien ne soit unifié… Le choix de ce nom revêt ainsi un caractère profondément nationaliste avec un clin d’œil à une période glorieuse de l’Indonésie avant celle de la colonisation hollandaise (XVIIème siècle-1949).

 

Palapa au service d’une intégration régionale

Le premier Palapa (A1) est lancé le 8 juillet 1976 par un lanceur américain Delta 2914 depuis le Kennedy Space Center, placé sur une orbite géostationnaire à 83° Est ; il est pleinement fonctionnel à partir du 16 août. Le 10 mars 1977, il est rejoint par son jumeau Palapa A2 (77° Est).

Le succès des Palapa est tel qu’il suscite rapidement l’intérêt des pays de l’ASEAN (Association des nations d’Asie du sud-est), à commencer par les Philippines qui deux ans plus tard signent un accord pour utiliser le satellite indonésien. Peu après, la Thaïlande et la Malaisie rejoignent à leur tour le système Palapa. Ainsi, « Palapa apparaît de plus en plus comme un système national capable de desservir les pays de l’ASEAN (…) étroitement contrôlé par le gouvernement indonésien », et d’en favoriser « de relatifs rapprochements », comme le soulignait il y a quelques années Fernand Verger dans son Atlas de géographie de l’espace.

 

Quelques références

- Un article : « Planification et développement du système indonésien de télécommunications par satellite Palapa », issu de la thèse de Marwah Daoud Ibrahim sur L’application des satellites de communication dans les pays en développement : le cas de l’Indonésie (1989), consultable en ligne

- Le site de The Jakarta Post dans lequel est présenté un court article relatant l’histoire des satellites de télécommunications indonésiennes,  « A Brief History of Telkom Satellites From Palapa A1 to Telkom »,

- Une vidéo sur le lancement de Palapa A1 et la constitution du réseau régional de télécommunications indonésiennes

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence



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