Il y a 45 ans, les sondes Venera 9 et 10 dévoilaient la surface vénusienne
Il y a 45 ans, les sondes Venera 9 et 10 dévoilaient la surface vénusienne
© Roscosmos

publié le 27 octobre 2020 à 08:31

1297 mots

Il y a 45 ans, les sondes Venera 9 et 10 dévoilaient la surface vénusienne

Les 22 et 25 octobre 1975, deux atterrisseurs soviétiques se posaient avec succès sur le sol de la planète Vénus. Peu après, ils renvoyaient à la Terre les premières photographies de la surface vénusienne.


Alors que la course à la Lune s’engage, Soviétiques et Américains ne tardent pas à envoyer des « robots éclaireurs » vers Mars et Vénus.

 

Le programme Venera et la « course à Vénus »

Planifiée dès 1958 par Sergueï Korolev, le père du spatial soviétique, la « course à Vénus » commence le 4 février 1961 avec le lancement d’une sonde (Spoutnik 7) destinée à survoler la planète. Toutefois, c’est l’échec en raison d’une défaillance du lanceur. Entre février 1961 et novembre 1965, onze sondes spatiales sont perdues en raison principalement d’une défaillance du lanceur ou de la perte de contact avec les engins. Les Soviétiques pensent enfin réussir avec leur dixième sonde Venera 3 qui atteint enfin Vénus le 1er mars 1966… mais le système de télécommunication tombe alors en panne. Dans le même temps, les Américains réussissent le premier survol de Vénus avec Mariner 2 qui a néanmoins rencontré des soucis notamment au niveau des panneaux solaires. Le vol interplanétaire s’avère une entreprise difficile.

 

Le tournant de l’année 1965

Avec la multiplication des programmes, le bureau d’étude de Korolev ne peut plus s’occuper de tout. En mars 1965, il est décidé de réorganiser les activités en les redistribuant à de nouveaux bureaux d’études. Ainsi, le programme Venera est confié à NPO Lavotchkine (dirigé par Gueorgui Babakine) qui reçoit la responsabilité de construire toutes les sondes interplanétaires (Luna, Venera, Mars).

Le premier succès intervient enfin en octobre 1967 avec la mission Venera 4 qui récolte des données sur la composition de l’atmosphère vénusienne. Une période plus heureuse commence alors pour les Soviétiques qui obtiennent d’autres réussites avec les Venera 5 et 6 (sondant l’atmosphère), puis les Venera 7 et 8 qui, les 15 décembre 1970 et 22 juillet 1972, deviennent les premiers engins construits par l’homme à atterrir sur une autre planète. Cela encourage les soviétiques à aller plus loin avec Venera-75.

 

Venera-75

Venera-75 consiste à envoyer les deux sondes Venera 9 et 10 vers Vénus lors de la fenêtre de lancement de l’année 1975. Les Soviétiques disposent désormais d’un lanceur mieux adapté (Proton) qui autorise l’envoi de ces Venera ayant d’une masse totale (pour chacune des sondes) de 4 937 kg (contre environ 1 130 kg pour les Venera 4 à 8). Chacune des deux sondes est composée d’un orbiteur et d’une capsule. Cette dernière, d’une masse de 1 500 kg, est une sphère dans laquelle se trouvent l’atterrisseur (642 kg) avec un anneau de freinage et trois parachutes pour assurer la descente. L’atterrisseur contient des instruments de communication (batterie électrique, avionique de contrôle de vol, système de contrôle thermique) ainsi que huit instruments scientifiques : deux appareils photographiques, un thermomètre, un baromètre, un spectromètre de masse, un néphélomètre, un spectromètre gamma, des accéléromètres, un densitomètre de rayonnement pour sonder la densité du sol. Quant à l’orbiteur, il emporte également des instruments de communication, ainsi que des appareils scientifiques : un système d’imagerie, un instrument ultraviolet, un radiomètre infrarouge, un magnétomètre, un photopolarimètre, un spectromètre optique, des détecteurs d’ions/électrons, ainsi qu’un spectromètre d’imagerie ultraviolette pour étudier les émissions Lyman-alpha au voisinage de la planète construit par une équipe française menée par le professeur Jacques Blamont.

 

Le déroulement de la mission des Venera 9 et 10

Les 8 et 14 juin 1975, les sondes Venera 9 et 10 décollent avec succès. Les atterrisseurs se détachent deux jours avant l’entrée dans l’atmosphère, les 20 et 23 octobre. Puis les compartiments orbitaux manœuvrent pour se placer sur une trajectoire de survol de Vénus. Les atterrisseurs entrent dans l’atmosphère les 22 et 25 octobre. De leur côté, les compartiments orbitaux freinent pour se placer sur des orbites elliptiques de 1510 km / 112 200 km pour Venera-9 et 1665 km / 113 880 km pour Venera-10.

Connaissant l’enfer vénusien grâce aux sondes précédentes, les ingénieurs avaient prévu d’équiper les atterrisseurs d’un ensemble de refroidissement et d’un système qui redistribue la chaleur afin de permettre leur fonctionnement sur une durée la plus longue possible. Les caméras des atterrisseurs livrent alors pour la première fois des photos en noir et blanc de la surface de Vénus. Celles-ci dévoilent un monde nouveau, apparemment sans poussière, avec des rochers de 30 à 40 cm non érodés, avec un niveau de lumière comparable sur Terre à une journée nuageuse sous des latitudes moyennes.

Les atterrisseurs de Venera 9 et 10 fonctionnent respectivement 53 et 65 minutes, puis les communications cessent en raison de la chaleur extrême et/ou de la forte pression. Quant aux orbiteurs, prévus pour une durée de vie de trois mois, ils battent des records : celui de Venera 9 transmet jusqu’au 27 avril 1976 et celui de Venera 10 jusqu’au 15 septembre 1977.

L’Union soviétique exulte ! La propagande veille et diffuse notamment, lors des actualités, un remarquable film d’une dizaine de minutes qui décrit les missions Venera 9 et 10, ainsi que les générations de sondes qui ont précédé. Le film présente également les premiers panoramas obtenus depuis le sol, tandis que les résultats scientifiques sont exposés par l’académicien V.S. Avdouievsky, le directeur adjoint du TsNII Mach.

 

Les résultats scientifiques

Si les orbiteurs de Venera 9 et 10 renvoient vers la Terre des données sur les formations nuageuses et la composition de l’atmosphère (ainsi que des photographies), les atterrisseurs livrent de précieuses informations sur le milieu ambiant : des températures de surface de 457°C, une pression atmosphérique de 90 atmosphères, une vitesse des vents à la surface de 3,5 m/s, etc.

Si les Venera ont réalisé de véritables exploits, le bilan scientifique semble néanmoins plus mesuré si l’on en croit feu Jacques Blamont, en raison de « l’archaïsme technique des sondes qui, au contraire de Mariner 9 [sonde américaine d’exploration martienne en 1971] ne portaient pas de plateforme mobile capable de pointer des télescopes ou des spectrographes (…), mais aussi la qualité médiocre des instruments placés à bord ». Quid de l’instrument français à bord des sondes ? Jacques Blamont : « Bien que mon élève Jean-Loup Bertaux et moi-même avons fabriqué avec Vladimir Kurt un instrument qui marcha parfaitement sur les deux satellites, nous ne pûmes rien savoir sur son emplacement à bord, sa mise en marche, les directions de visée…et n’obtînmes finalement de mesures (fort intéressantes d’ailleurs) que pendant cinq orbites alors que les satellites fonctionnèrent » plus longtemps. Cela était une pratique soviétique de l’époque… Toutefois, les mesures de la diffusion du rayonnement solaire Lyman-alpha par la couronne d'hydrogène qui entoure Vénus ont donné une estimation de 450°C pour la température de l'atmosphère à l'exobase.

La découverte du sol vénusien a marqué et marquent encore les esprits. Ainsi, près de 45 ans plus tard, l’Américain Don P. Mitchell, un chercheur à la retraite de Bell Labs et Microsoft Research, a retravaillé d’anciennes photographies prises par les sondes Venera. Il a notamment réussi à mieux nuancer les régions sombres et claires, certains flous ont même été éliminés. Fasciné par ces documents, Don Mitchell estime qu’en améliorant la qualité des images, cela permet de mieux mettre en valeur les résultats obtenus par les sondes. Précisons que les Soviétiques ont fait mieux avec les missions Venera 13 et 14 qui, en mars 1982, livrent cette fois-ci des clichés en couleur…

 

Pour en savoir plus

- Un ouvrage : Vénus dévoilée. Voyage autour d’une planète, Jacques Blamont, O. Jacob, Paris, 1987

- Un site sur les sondes Venera 9 et 10

- Un catalogue de photographies prises par des sondes soviétiques (dont les Venera) retravaillées par Don P. Mitchell, en ligne sur le Soviet Space Image Catalog

- Un film d’actualité soviétique sur les sondes Venera 9 et 10 (d’une dizaine de minutes de durée). L’auteur remercie l’aide apportée par le spécialiste français de l’astronautique soviétique Christian Lardier pour la compréhension du film.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.

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27/10/2020 08:31
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Il y a 45 ans, les sondes Venera 9 et 10 dévoilaient la surface vénusienne

Les 22 et 25 octobre 1975, deux atterrisseurs soviétiques se posaient avec succès sur le sol de la planète Vénus. Peu après, ils renvoyaient à la Terre les premières photographies de la surface vénusienne.

Il y a 45 ans, les sondes Venera 9 et 10 dévoilaient la surface vénusienne
Il y a 45 ans, les sondes Venera 9 et 10 dévoilaient la surface vénusienne

Alors que la course à la Lune s’engage, Soviétiques et Américains ne tardent pas à envoyer des « robots éclaireurs » vers Mars et Vénus.

 

Le programme Venera et la « course à Vénus »

Planifiée dès 1958 par Sergueï Korolev, le père du spatial soviétique, la « course à Vénus » commence le 4 février 1961 avec le lancement d’une sonde (Spoutnik 7) destinée à survoler la planète. Toutefois, c’est l’échec en raison d’une défaillance du lanceur. Entre février 1961 et novembre 1965, onze sondes spatiales sont perdues en raison principalement d’une défaillance du lanceur ou de la perte de contact avec les engins. Les Soviétiques pensent enfin réussir avec leur dixième sonde Venera 3 qui atteint enfin Vénus le 1er mars 1966… mais le système de télécommunication tombe alors en panne. Dans le même temps, les Américains réussissent le premier survol de Vénus avec Mariner 2 qui a néanmoins rencontré des soucis notamment au niveau des panneaux solaires. Le vol interplanétaire s’avère une entreprise difficile.

 

Le tournant de l’année 1965

Avec la multiplication des programmes, le bureau d’étude de Korolev ne peut plus s’occuper de tout. En mars 1965, il est décidé de réorganiser les activités en les redistribuant à de nouveaux bureaux d’études. Ainsi, le programme Venera est confié à NPO Lavotchkine (dirigé par Gueorgui Babakine) qui reçoit la responsabilité de construire toutes les sondes interplanétaires (Luna, Venera, Mars).

Le premier succès intervient enfin en octobre 1967 avec la mission Venera 4 qui récolte des données sur la composition de l’atmosphère vénusienne. Une période plus heureuse commence alors pour les Soviétiques qui obtiennent d’autres réussites avec les Venera 5 et 6 (sondant l’atmosphère), puis les Venera 7 et 8 qui, les 15 décembre 1970 et 22 juillet 1972, deviennent les premiers engins construits par l’homme à atterrir sur une autre planète. Cela encourage les soviétiques à aller plus loin avec Venera-75.

 

Venera-75

Venera-75 consiste à envoyer les deux sondes Venera 9 et 10 vers Vénus lors de la fenêtre de lancement de l’année 1975. Les Soviétiques disposent désormais d’un lanceur mieux adapté (Proton) qui autorise l’envoi de ces Venera ayant d’une masse totale (pour chacune des sondes) de 4 937 kg (contre environ 1 130 kg pour les Venera 4 à 8). Chacune des deux sondes est composée d’un orbiteur et d’une capsule. Cette dernière, d’une masse de 1 500 kg, est une sphère dans laquelle se trouvent l’atterrisseur (642 kg) avec un anneau de freinage et trois parachutes pour assurer la descente. L’atterrisseur contient des instruments de communication (batterie électrique, avionique de contrôle de vol, système de contrôle thermique) ainsi que huit instruments scientifiques : deux appareils photographiques, un thermomètre, un baromètre, un spectromètre de masse, un néphélomètre, un spectromètre gamma, des accéléromètres, un densitomètre de rayonnement pour sonder la densité du sol. Quant à l’orbiteur, il emporte également des instruments de communication, ainsi que des appareils scientifiques : un système d’imagerie, un instrument ultraviolet, un radiomètre infrarouge, un magnétomètre, un photopolarimètre, un spectromètre optique, des détecteurs d’ions/électrons, ainsi qu’un spectromètre d’imagerie ultraviolette pour étudier les émissions Lyman-alpha au voisinage de la planète construit par une équipe française menée par le professeur Jacques Blamont.

 

Le déroulement de la mission des Venera 9 et 10

Les 8 et 14 juin 1975, les sondes Venera 9 et 10 décollent avec succès. Les atterrisseurs se détachent deux jours avant l’entrée dans l’atmosphère, les 20 et 23 octobre. Puis les compartiments orbitaux manœuvrent pour se placer sur une trajectoire de survol de Vénus. Les atterrisseurs entrent dans l’atmosphère les 22 et 25 octobre. De leur côté, les compartiments orbitaux freinent pour se placer sur des orbites elliptiques de 1510 km / 112 200 km pour Venera-9 et 1665 km / 113 880 km pour Venera-10.

Connaissant l’enfer vénusien grâce aux sondes précédentes, les ingénieurs avaient prévu d’équiper les atterrisseurs d’un ensemble de refroidissement et d’un système qui redistribue la chaleur afin de permettre leur fonctionnement sur une durée la plus longue possible. Les caméras des atterrisseurs livrent alors pour la première fois des photos en noir et blanc de la surface de Vénus. Celles-ci dévoilent un monde nouveau, apparemment sans poussière, avec des rochers de 30 à 40 cm non érodés, avec un niveau de lumière comparable sur Terre à une journée nuageuse sous des latitudes moyennes.

Les atterrisseurs de Venera 9 et 10 fonctionnent respectivement 53 et 65 minutes, puis les communications cessent en raison de la chaleur extrême et/ou de la forte pression. Quant aux orbiteurs, prévus pour une durée de vie de trois mois, ils battent des records : celui de Venera 9 transmet jusqu’au 27 avril 1976 et celui de Venera 10 jusqu’au 15 septembre 1977.

L’Union soviétique exulte ! La propagande veille et diffuse notamment, lors des actualités, un remarquable film d’une dizaine de minutes qui décrit les missions Venera 9 et 10, ainsi que les générations de sondes qui ont précédé. Le film présente également les premiers panoramas obtenus depuis le sol, tandis que les résultats scientifiques sont exposés par l’académicien V.S. Avdouievsky, le directeur adjoint du TsNII Mach.

 

Les résultats scientifiques

Si les orbiteurs de Venera 9 et 10 renvoient vers la Terre des données sur les formations nuageuses et la composition de l’atmosphère (ainsi que des photographies), les atterrisseurs livrent de précieuses informations sur le milieu ambiant : des températures de surface de 457°C, une pression atmosphérique de 90 atmosphères, une vitesse des vents à la surface de 3,5 m/s, etc.

Si les Venera ont réalisé de véritables exploits, le bilan scientifique semble néanmoins plus mesuré si l’on en croit feu Jacques Blamont, en raison de « l’archaïsme technique des sondes qui, au contraire de Mariner 9 [sonde américaine d’exploration martienne en 1971] ne portaient pas de plateforme mobile capable de pointer des télescopes ou des spectrographes (…), mais aussi la qualité médiocre des instruments placés à bord ». Quid de l’instrument français à bord des sondes ? Jacques Blamont : « Bien que mon élève Jean-Loup Bertaux et moi-même avons fabriqué avec Vladimir Kurt un instrument qui marcha parfaitement sur les deux satellites, nous ne pûmes rien savoir sur son emplacement à bord, sa mise en marche, les directions de visée…et n’obtînmes finalement de mesures (fort intéressantes d’ailleurs) que pendant cinq orbites alors que les satellites fonctionnèrent » plus longtemps. Cela était une pratique soviétique de l’époque… Toutefois, les mesures de la diffusion du rayonnement solaire Lyman-alpha par la couronne d'hydrogène qui entoure Vénus ont donné une estimation de 450°C pour la température de l'atmosphère à l'exobase.

La découverte du sol vénusien a marqué et marquent encore les esprits. Ainsi, près de 45 ans plus tard, l’Américain Don P. Mitchell, un chercheur à la retraite de Bell Labs et Microsoft Research, a retravaillé d’anciennes photographies prises par les sondes Venera. Il a notamment réussi à mieux nuancer les régions sombres et claires, certains flous ont même été éliminés. Fasciné par ces documents, Don Mitchell estime qu’en améliorant la qualité des images, cela permet de mieux mettre en valeur les résultats obtenus par les sondes. Précisons que les Soviétiques ont fait mieux avec les missions Venera 13 et 14 qui, en mars 1982, livrent cette fois-ci des clichés en couleur…

 

Pour en savoir plus

- Un ouvrage : Vénus dévoilée. Voyage autour d’une planète, Jacques Blamont, O. Jacob, Paris, 1987

- Un site sur les sondes Venera 9 et 10

- Un catalogue de photographies prises par des sondes soviétiques (dont les Venera) retravaillées par Don P. Mitchell, en ligne sur le Soviet Space Image Catalog

- Un film d’actualité soviétique sur les sondes Venera 9 et 10 (d’une dizaine de minutes de durée). L’auteur remercie l’aide apportée par le spécialiste français de l’astronautique soviétique Christian Lardier pour la compréhension du film.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.



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