Le 24 janvier 1990, le Japon lançait la sonde Muses-A en direction de la Lune. L’événement était alors d’importance, car aucune sonde n’avait atteint la Lune depuis 14 ans.
Rappelons que la première phase de l’exploration lunaire a débuté en pleine Guerre froide avec la sonde soviétique Luna-1, qui a frôlé l’astre lunaire le 4 janvier 1959, à une distance d’environ 6 000 km. Deux mois plus tard, l’américaine Pioneer-4 passait au large de la Lune, à une distance de 60 000 km. La « conquête de la Lune » commençait. Celle-ci a atteint son paroxysme avec les débarquements humains Apollo 11, 12 et 14 à 17. La compétition américano-soviétique s’est terminée avec Luna-24, qui ramenait sur Terre le 22 août 1976 des échantillons de la surface lunaire.
Pourquoi retourner sur la Lune ?
A long terme, le retour de robots et d’humains sur la Lune est inévitable ; l’humanité ne résistera pas à l’idée d’en reprendre l’exploration, voire d’engager l’exploitation et l’installation de base(s) permanente(s). Par ailleurs, lors de la mission Luna-24, les Soviétiques avaient ramené sur Terre 170 grammes d’échantillons lunaires. Leur étude avait montré en 1978 la présence d’eau à la hauteur de 0,1% de la masse totale des échantillons. Cependant, à l’époque, la découverte soviétique n’avait pas interpellé la communauté scientifique occidentale…
Dix ans plus tard, au moment où le Japon prépare sa sonde lunaire Muses-A, les grandes puissances sont alors engagées dans l’exploration des mondes lointains (planètes, comètes…). Américains et Européens s’apprêtent même à lancer une ambitieuse mission consistant à utiliser l’assistance gravitationnelle pour placer une sonde (Ulysses) sur une orbite héliocentrique polaire pour étudier l’héliosphère. Or le Japon ambitionne lui aussi d’envoyer des robots explorer des mondes lointains. Mais pour cela, il faut d’abord acquérir et maîtriser un certain nombre de techniques de vol et d’approche d’un astre. C’est l’objet de la mission Muses-A.
Hiten.
La sonde Muses-A (MU Space Engineering Spacecraft) est développée par l’Institut des sciences spatiales et astronautiques (ISAS), sous la conduite notamment du scientifique Kuninori Uesugi. D’une masse de 193 kg, Muses-A se présente sous la forme d’un cylindre de 1,4 m de diamètre et de 0,8 m de haut, dotée de plusieurs petits propulseurs (utilisant l’hydrazine) pour la contrôler. Pour l’orientation et la navigation dans l’espace, l’engin utilise quatre senseurs (solaires, étoiles, horizon), trois accéléromètres, ainsi qu’un système expérimental optique. Une seule expérience scientifique est embarquée, consistant à mesurer les poussières cosmiques (quantité, masse, vitesse).
Muses-A, rebaptisée Hiten (du nom d’un ange bouddhiste volant), est lancée le 24 janvier 1990 par une fusée à propulsion solide Mu-3SII-5 (également développée par l’ISAS), qui doit la placer sur une orbite très allongée avec un apogée de 476 000 km. Cependant, la vitesse d’injection étant moins importante que prévue, cela nécessite des corrections de trajectoire afin que la sonde atteigne son orbite elliptique prévue. Ainsi, Hiten permet aux spécialistes japonais de se familiariser avec la navigation interplanétaire, mais pas seulement…
Hagoromo.
Le 18 février 1990, alors que Hiten frôle pour la première fois la Lune à environ 16 500 km, un petit sous-satellite est libéré : Hagoromo (du nom du voile porté par Hiten). Celui-ci est un petit engin en forme de polyèdre à 26 faces, d’environ 36 cm de diamètre (entre les faces opposées, recouvertes de petites cellules solaires), pour une masse totale de 12 kg. Hagoromo n’embarque pas d’instruments scientifiques ; sa mission est également technologique : maîtriser l’insertion en orbite lunaire (puis impacter le sol). Toutefois, en raison d’une défaillance de l’émetteur radio, le contact est perdu avec Hagoromo dès le 19 février. Quoi qu’il en soit, Hiten/Hagoromo font du Japon la troisième nation à atteindre la Lune, après les Russes et les Américains. Une belle compensation.
La fin de la mission Muses-A.
Début octobre 1991, Hiten est momentanément capturée par la Lune, puis rejoint une orbite lui faisant traverser les points de Lagrange L4 et L5. A ce moment-là, l’instrument scientifique (compteur de micrométéorites construit par l’université technique de Munich) scrute attentivement le milieu spatial : il constate qu’il n’y a pas d’accumulation de particules aux points de Langrange.
La réserve de carburant touchant à sa fin, Hiten est placée sur une orbite lunaire en février 1993 et, le 11 avril suivant, elle s’écrase volontairement sur la surface lunaire dans le cratère Furnerius.
Bilan et perspectives.
Au total, Hiten a effectué plusieurs passages autour de la Lune et de la Terre, tantôt pour accélérer, tantôt pour ralentir. Lors de son huitième passage, le 19 mars 1991, Hiten a réussi - pour la première fois pour une sonde spatiale – la technique d’aérofreinage en « rasant » la Terre à une altitude de 125 km (au-dessus du Pacifique). Le frottement atmosphérique a permis de ralentir la sonde et de diminuer son apogée.
Le succès de la mission Muses-A (qui a néanmoins rencontré quelques difficultés) permet ainsi aux Japonais d’envisager Lunar-A, une véritable sonde d’exploration lunaire avec deux pénétrateurs (équipés de sismomètre) devant être largués, puis impacter le sol. La difficulté à réaliser les pénétrateurs entraîne en 2007 l’abandon de Lunar-A. Toutefois, l’expérience acquise avec Hiten profite à la sonde Geotail : développée en coopération avec les Etats-Unis, celle-ci est lancée le 24 juillet 1992 (par un Delta II américain) et elle utilise avec succès la technique de survol lunaire pour aller étudier la queue de la magnétosphère terrestre.
Muses-A ne marque finalement pas tout à fait le début de la seconde phase d’exploration de la Lune. Pour cela, il faut attendre les sondes américaines Clémentine (25/01/1994) et surtout Lunar Prospector (07/01/1998) qui confirme notamment la présence de glace au fond de cratères jamais éclairés par le Soleil…
Références.
Un article : « Follow-on mission description of Hiten », Uesugi Kuninori,Kawaguchi Jun’ichiro, Ishii Nobuaki, Shuto Miwako, Tanaka Kimie, SP-1723, 1er janvier 1992.
Un site de la NASA sur Hiten.
Une (brève) vidéo de l’ISAS / JAXA montrant l’impact de Hiten le 11 avril 1993.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Le 24 janvier 1990, le Japon lançait la sonde Muses-A en direction de la Lune. L’événement était alors d’importance, car aucune sonde n’avait atteint la Lune depuis 14 ans.
Rappelons que la première phase de l’exploration lunaire a débuté en pleine Guerre froide avec la sonde soviétique Luna-1, qui a frôlé l’astre lunaire le 4 janvier 1959, à une distance d’environ 6 000 km. Deux mois plus tard, l’américaine Pioneer-4 passait au large de la Lune, à une distance de 60 000 km. La « conquête de la Lune » commençait. Celle-ci a atteint son paroxysme avec les débarquements humains Apollo 11, 12 et 14 à 17. La compétition américano-soviétique s’est terminée avec Luna-24, qui ramenait sur Terre le 22 août 1976 des échantillons de la surface lunaire.
Pourquoi retourner sur la Lune ?
A long terme, le retour de robots et d’humains sur la Lune est inévitable ; l’humanité ne résistera pas à l’idée d’en reprendre l’exploration, voire d’engager l’exploitation et l’installation de base(s) permanente(s). Par ailleurs, lors de la mission Luna-24, les Soviétiques avaient ramené sur Terre 170 grammes d’échantillons lunaires. Leur étude avait montré en 1978 la présence d’eau à la hauteur de 0,1% de la masse totale des échantillons. Cependant, à l’époque, la découverte soviétique n’avait pas interpellé la communauté scientifique occidentale…
Dix ans plus tard, au moment où le Japon prépare sa sonde lunaire Muses-A, les grandes puissances sont alors engagées dans l’exploration des mondes lointains (planètes, comètes…). Américains et Européens s’apprêtent même à lancer une ambitieuse mission consistant à utiliser l’assistance gravitationnelle pour placer une sonde (Ulysses) sur une orbite héliocentrique polaire pour étudier l’héliosphère. Or le Japon ambitionne lui aussi d’envoyer des robots explorer des mondes lointains. Mais pour cela, il faut d’abord acquérir et maîtriser un certain nombre de techniques de vol et d’approche d’un astre. C’est l’objet de la mission Muses-A.
Hiten.
La sonde Muses-A (MU Space Engineering Spacecraft) est développée par l’Institut des sciences spatiales et astronautiques (ISAS), sous la conduite notamment du scientifique Kuninori Uesugi. D’une masse de 193 kg, Muses-A se présente sous la forme d’un cylindre de 1,4 m de diamètre et de 0,8 m de haut, dotée de plusieurs petits propulseurs (utilisant l’hydrazine) pour la contrôler. Pour l’orientation et la navigation dans l’espace, l’engin utilise quatre senseurs (solaires, étoiles, horizon), trois accéléromètres, ainsi qu’un système expérimental optique. Une seule expérience scientifique est embarquée, consistant à mesurer les poussières cosmiques (quantité, masse, vitesse).
Muses-A, rebaptisée Hiten (du nom d’un ange bouddhiste volant), est lancée le 24 janvier 1990 par une fusée à propulsion solide Mu-3SII-5 (également développée par l’ISAS), qui doit la placer sur une orbite très allongée avec un apogée de 476 000 km. Cependant, la vitesse d’injection étant moins importante que prévue, cela nécessite des corrections de trajectoire afin que la sonde atteigne son orbite elliptique prévue. Ainsi, Hiten permet aux spécialistes japonais de se familiariser avec la navigation interplanétaire, mais pas seulement…
Hagoromo.
Le 18 février 1990, alors que Hiten frôle pour la première fois la Lune à environ 16 500 km, un petit sous-satellite est libéré : Hagoromo (du nom du voile porté par Hiten). Celui-ci est un petit engin en forme de polyèdre à 26 faces, d’environ 36 cm de diamètre (entre les faces opposées, recouvertes de petites cellules solaires), pour une masse totale de 12 kg. Hagoromo n’embarque pas d’instruments scientifiques ; sa mission est également technologique : maîtriser l’insertion en orbite lunaire (puis impacter le sol). Toutefois, en raison d’une défaillance de l’émetteur radio, le contact est perdu avec Hagoromo dès le 19 février. Quoi qu’il en soit, Hiten/Hagoromo font du Japon la troisième nation à atteindre la Lune, après les Russes et les Américains. Une belle compensation.
La fin de la mission Muses-A.
Début octobre 1991, Hiten est momentanément capturée par la Lune, puis rejoint une orbite lui faisant traverser les points de Lagrange L4 et L5. A ce moment-là, l’instrument scientifique (compteur de micrométéorites construit par l’université technique de Munich) scrute attentivement le milieu spatial : il constate qu’il n’y a pas d’accumulation de particules aux points de Langrange.
La réserve de carburant touchant à sa fin, Hiten est placée sur une orbite lunaire en février 1993 et, le 11 avril suivant, elle s’écrase volontairement sur la surface lunaire dans le cratère Furnerius.
Bilan et perspectives.
Au total, Hiten a effectué plusieurs passages autour de la Lune et de la Terre, tantôt pour accélérer, tantôt pour ralentir. Lors de son huitième passage, le 19 mars 1991, Hiten a réussi - pour la première fois pour une sonde spatiale – la technique d’aérofreinage en « rasant » la Terre à une altitude de 125 km (au-dessus du Pacifique). Le frottement atmosphérique a permis de ralentir la sonde et de diminuer son apogée.
Le succès de la mission Muses-A (qui a néanmoins rencontré quelques difficultés) permet ainsi aux Japonais d’envisager Lunar-A, une véritable sonde d’exploration lunaire avec deux pénétrateurs (équipés de sismomètre) devant être largués, puis impacter le sol. La difficulté à réaliser les pénétrateurs entraîne en 2007 l’abandon de Lunar-A. Toutefois, l’expérience acquise avec Hiten profite à la sonde Geotail : développée en coopération avec les Etats-Unis, celle-ci est lancée le 24 juillet 1992 (par un Delta II américain) et elle utilise avec succès la technique de survol lunaire pour aller étudier la queue de la magnétosphère terrestre.
Muses-A ne marque finalement pas tout à fait le début de la seconde phase d’exploration de la Lune. Pour cela, il faut attendre les sondes américaines Clémentine (25/01/1994) et surtout Lunar Prospector (07/01/1998) qui confirme notamment la présence de glace au fond de cratères jamais éclairés par le Soleil…
Références.
Un article : « Follow-on mission description of Hiten », Uesugi Kuninori,Kawaguchi Jun’ichiro, Ishii Nobuaki, Shuto Miwako, Tanaka Kimie, SP-1723, 1er janvier 1992.
Un site de la NASA sur Hiten.
Une (brève) vidéo de l’ISAS / JAXA montrant l’impact de Hiten le 11 avril 1993.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
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