Il y a 30 ans, la mission américano-japonaise Spacelab J
Il y a 30 ans, la mission américano-japonaise Spacelab J
© NASA

publié le 14 septembre 2022 à 15:42

1101 mots

Il y a 30 ans, la mission américano-japonaise Spacelab J

Lancée le 12 septembre 1992, la navette américaine Endeavour s’envolait pour une mission américano-japonaise sur orbite terrestre, mobilisant à cette occasion le laboratoire Spacelab.


Devenu au temps de la Guerre froide la quatrième puissance capable de placer des satellites sur orbite par ses propres moyens, le Japon a peu à peu investi tous les secteurs d’activités du spatial, y compris les vols habités. Mais, comme d’autres nations, il a choisi de faire voler ses astronautes à bord de la navette américaine, puis de la Station spatiale internationale.

 

Spacelab : européen au départ

Au moment où les Etats-Unis engagent le programme post-Apollo, il est prévu une station orbitale (jamais construite), desservie par des navettes spatiales (Space Shuttles), véritables vaisseaux « à tout faire » (vol habité et cargo). Dès le départ, plusieurs pays européens, au premier rang desquels l’Allemagne, souhaitent y participer par des vols d’astronautes et, en guise de contribution, ils fournissent un laboratoire modulable, appelé Spacelab (7 mètres de long), pouvant s’insérer dans la soute d’une navette.

Deux exemplaires sont construits par le groupe allemand VFW-Fokker/Erno. Le premier (LM 1) est livré gratuitement, en échange de vols d’astronautes européens. Le second (LM 2) est payé par la Nasa. Au cours des 22 missions du Spacelab, réalisées entre 1983 et 1998, trois ont été entièrement financées par des nations autres que les Etats-Unis : deux par l’Allemagne, une par le Japon.

 

La coopération américano-japonaise

Craignant un Japon trop indépendant, les Américains proposent dès 1967 aux Japonais de leur restituer des îles (Okinawa, Ogasawara), qu’ils occupent depuis la défaite, en échange de l’achat sous licence d’un lanceur dérivé du Delta américain – plus puissant que les premiers lanceurs nationaux Lambda (ayant néanmoins permis le 11 février 1970 la première satellisation).

La coopération américano-japonaise ne se limite pas qu’au lanceur. Dans le domaine de la météorologie, le Japon établit un partenariat avec les Etats-Unis et d’autres nations, notamment pour le réseau de satellites géostationnaires déployé dans le cadre de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), en fournissant le satellite Himawari 1 (lancé le 14 juillet 1977 par une fusée américaine Delta).

 

Le Japon et les vols habités

Quant aux vols habités, le Japon, comme l’Europe, choisit la coopération avec les Etats-Unis pour envoyer dans l’espace ses astronautes. Au niveau du programme navette, le Japon coopère dès le début. Ainsi, en novembre 1982, une charge scientifique japonaise est embarquée sur la mission STS-5 de Columbia, avec des expériences en micropesanteur. A l’occasion du premier vol d’un Japonais à bord d’une navette, les Japonais négocient avec les Américains la réservation de tout un Spacelab.

Sélectionné pour effectuer le premier vol américano-japonais, Mamoru Mohri est le premier Uchū hikō-shi (« pilote de l’espace ») de la Nasda (National Space Development Agency of Japan, créée en 1969). Mais il n’est cependant pas le premier citoyen nippon. En effet, il a été précédé en décembre 1990 par le journaliste Toyohiro Akiyama à bord d’un vaisseau soviétique (Soyouz TM 11/Mir), dont le vol n’a pas laissé de souvenirs impérissables dans l’archipel… Akiyama a néanmoins réalisé le premier vol spatial commercial de l’histoire, payé à hauteur de 20 millions de dollars par la chaîne TBS (Tokyo Broadcasting System) pour laquelle il travaillait.

 

La mission MLS

Mamoru Mohri embarque en qualité de « spécialiste de charge utile » dans la navette Endeavour aux côtés de six astronautes américains : Robert L. Gibson (commandant), Curtis L. Brown (pilote), Mark C. Lee (responsable de la charge utile), et les spécialistes de mission Jay Apt, Mae C. Jemison et Nancy J. Davis.

L’astronaute japonais (né en 1948), docteur en chimie, est un spécialiste des matériaux et des sciences du vide ; il a également étudié sur des projets liés à la fusion nucléaire. Pour la mission Microgravity and Life Sciences (MLS), le Japonais doit conduire avec l’aide de ses collègues américains dans le Spacelab 44 expériences scientifiques (35 japonaises, 7 américaines, 2 américano-japonaises), dans le Spacelab LM 2 (qui vole pour la troisième fois). Outre divers supports et casiers de stockage, le module dispose de postes de travail informatiques et biologiques, de fours et d'autres équipements pour effectuer des expériences dans l'espace.

 

Le vol STS-47

Le 12 septembre 1992, Endeavour, d’une masse totale de 99 450 kg (12 485 kg de charge utile dans la soute), décolle depuis le centre spatial Kennedy, en Floride. Une fois sur orbite (à 297 km de périgée et 310 km d’apogée), pour pouvoir réaliser toutes les expériences, les astronautes s’organisent en deux équipes afin de travailler par quart de 12 heures (équipe rouge : Brown, Lee, Mohri ; équipe bleue : Apt, Davis, Jemison).

Les expériences scientifiques portent alors sur de nombreux domaines : les matériaux électroniques (cristaux semi-conducteurs, etc.), la dynamique des fluides (liquides en lévitation, comportement des bulles en micropesanteur, etc.), les phénomènes de transport, les verres et céramiques, les métaux et alliages (moulage de matériaux composites filamentaires supraconducteurs, préparation d'alliages renforcés par dispersion, etc.), les mesures d'accélération ou encore la biologie (séparation cellulaire, biologie du développement, comportement du vivant, etc.). Pour ce dernier domaine d’étude, sont embarqués dans le Spacelab des poissons koi japonais (carpes), des cellules animales et végétales cultivées, des embryons de poulet, des mouches des fruits, des champignons, des graines de plantes, des grenouilles et des œufs de grenouilles et des frelons orientaux (pour une étude israélienne). Des expériences médicales sont également réalisées sur des membres de l’équipage pour en savoir plus sur l’évolution de la masse musculaire en micropesanteur. Cela est d’autant plus important pour l’avenir, lorsque seront engagés les voyages spatiaux au long cours. D’autres expériences annexes sont également menées, comme SAREX, consistant à établir des contacts radio à ondes courtes entre l’équipage de la navette et des opérateurs amateurs au sol. Des contacts sont même effectués avec des écoles.

 

Le retour

Le 20 septembre, après avoir effectué 126 orbites en 7 jours et 22 heures, la navette revient sur Terre. Le Spacelab à l’heure japonaise a contribué à apporter des données concernant les sciences de la vie et de la micropesanteur. La mission a également marqué un pas de plus en faveur de ce qui se fera quelques années plus tard dans la Station spatiale internationale.

Quant à Mamoru Mohri, il effectuera un second vol à bord d’Endeavour dans le cadre de la mission STS-99 en février 2000. A partir de 2001, il devient directeur général émérite du Miraikan, le musée national des sciences émergentes et de l’innovation de Tokyo.

 

Quelques références

- Un rapport de la Nasa : « Final Science Results Spacelab J », Washington DC, février 1995

- Un reportage de la Nasa sur le vol STS-47

- Un site de données et de portraits sur les vols habités, Spacefacts, Joachim Becker.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence

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14/09/2022 15:42
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Il y a 30 ans, la mission américano-japonaise Spacelab J

Lancée le 12 septembre 1992, la navette américaine Endeavour s’envolait pour une mission américano-japonaise sur orbite terrestre, mobilisant à cette occasion le laboratoire Spacelab.

Il y a 30 ans, la mission américano-japonaise Spacelab J
Il y a 30 ans, la mission américano-japonaise Spacelab J

Devenu au temps de la Guerre froide la quatrième puissance capable de placer des satellites sur orbite par ses propres moyens, le Japon a peu à peu investi tous les secteurs d’activités du spatial, y compris les vols habités. Mais, comme d’autres nations, il a choisi de faire voler ses astronautes à bord de la navette américaine, puis de la Station spatiale internationale.

 

Spacelab : européen au départ

Au moment où les Etats-Unis engagent le programme post-Apollo, il est prévu une station orbitale (jamais construite), desservie par des navettes spatiales (Space Shuttles), véritables vaisseaux « à tout faire » (vol habité et cargo). Dès le départ, plusieurs pays européens, au premier rang desquels l’Allemagne, souhaitent y participer par des vols d’astronautes et, en guise de contribution, ils fournissent un laboratoire modulable, appelé Spacelab (7 mètres de long), pouvant s’insérer dans la soute d’une navette.

Deux exemplaires sont construits par le groupe allemand VFW-Fokker/Erno. Le premier (LM 1) est livré gratuitement, en échange de vols d’astronautes européens. Le second (LM 2) est payé par la Nasa. Au cours des 22 missions du Spacelab, réalisées entre 1983 et 1998, trois ont été entièrement financées par des nations autres que les Etats-Unis : deux par l’Allemagne, une par le Japon.

 

La coopération américano-japonaise

Craignant un Japon trop indépendant, les Américains proposent dès 1967 aux Japonais de leur restituer des îles (Okinawa, Ogasawara), qu’ils occupent depuis la défaite, en échange de l’achat sous licence d’un lanceur dérivé du Delta américain – plus puissant que les premiers lanceurs nationaux Lambda (ayant néanmoins permis le 11 février 1970 la première satellisation).

La coopération américano-japonaise ne se limite pas qu’au lanceur. Dans le domaine de la météorologie, le Japon établit un partenariat avec les Etats-Unis et d’autres nations, notamment pour le réseau de satellites géostationnaires déployé dans le cadre de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), en fournissant le satellite Himawari 1 (lancé le 14 juillet 1977 par une fusée américaine Delta).

 

Le Japon et les vols habités

Quant aux vols habités, le Japon, comme l’Europe, choisit la coopération avec les Etats-Unis pour envoyer dans l’espace ses astronautes. Au niveau du programme navette, le Japon coopère dès le début. Ainsi, en novembre 1982, une charge scientifique japonaise est embarquée sur la mission STS-5 de Columbia, avec des expériences en micropesanteur. A l’occasion du premier vol d’un Japonais à bord d’une navette, les Japonais négocient avec les Américains la réservation de tout un Spacelab.

Sélectionné pour effectuer le premier vol américano-japonais, Mamoru Mohri est le premier Uchū hikō-shi (« pilote de l’espace ») de la Nasda (National Space Development Agency of Japan, créée en 1969). Mais il n’est cependant pas le premier citoyen nippon. En effet, il a été précédé en décembre 1990 par le journaliste Toyohiro Akiyama à bord d’un vaisseau soviétique (Soyouz TM 11/Mir), dont le vol n’a pas laissé de souvenirs impérissables dans l’archipel… Akiyama a néanmoins réalisé le premier vol spatial commercial de l’histoire, payé à hauteur de 20 millions de dollars par la chaîne TBS (Tokyo Broadcasting System) pour laquelle il travaillait.

 

La mission MLS

Mamoru Mohri embarque en qualité de « spécialiste de charge utile » dans la navette Endeavour aux côtés de six astronautes américains : Robert L. Gibson (commandant), Curtis L. Brown (pilote), Mark C. Lee (responsable de la charge utile), et les spécialistes de mission Jay Apt, Mae C. Jemison et Nancy J. Davis.

L’astronaute japonais (né en 1948), docteur en chimie, est un spécialiste des matériaux et des sciences du vide ; il a également étudié sur des projets liés à la fusion nucléaire. Pour la mission Microgravity and Life Sciences (MLS), le Japonais doit conduire avec l’aide de ses collègues américains dans le Spacelab 44 expériences scientifiques (35 japonaises, 7 américaines, 2 américano-japonaises), dans le Spacelab LM 2 (qui vole pour la troisième fois). Outre divers supports et casiers de stockage, le module dispose de postes de travail informatiques et biologiques, de fours et d'autres équipements pour effectuer des expériences dans l'espace.

 

Le vol STS-47

Le 12 septembre 1992, Endeavour, d’une masse totale de 99 450 kg (12 485 kg de charge utile dans la soute), décolle depuis le centre spatial Kennedy, en Floride. Une fois sur orbite (à 297 km de périgée et 310 km d’apogée), pour pouvoir réaliser toutes les expériences, les astronautes s’organisent en deux équipes afin de travailler par quart de 12 heures (équipe rouge : Brown, Lee, Mohri ; équipe bleue : Apt, Davis, Jemison).

Les expériences scientifiques portent alors sur de nombreux domaines : les matériaux électroniques (cristaux semi-conducteurs, etc.), la dynamique des fluides (liquides en lévitation, comportement des bulles en micropesanteur, etc.), les phénomènes de transport, les verres et céramiques, les métaux et alliages (moulage de matériaux composites filamentaires supraconducteurs, préparation d'alliages renforcés par dispersion, etc.), les mesures d'accélération ou encore la biologie (séparation cellulaire, biologie du développement, comportement du vivant, etc.). Pour ce dernier domaine d’étude, sont embarqués dans le Spacelab des poissons koi japonais (carpes), des cellules animales et végétales cultivées, des embryons de poulet, des mouches des fruits, des champignons, des graines de plantes, des grenouilles et des œufs de grenouilles et des frelons orientaux (pour une étude israélienne). Des expériences médicales sont également réalisées sur des membres de l’équipage pour en savoir plus sur l’évolution de la masse musculaire en micropesanteur. Cela est d’autant plus important pour l’avenir, lorsque seront engagés les voyages spatiaux au long cours. D’autres expériences annexes sont également menées, comme SAREX, consistant à établir des contacts radio à ondes courtes entre l’équipage de la navette et des opérateurs amateurs au sol. Des contacts sont même effectués avec des écoles.

 

Le retour

Le 20 septembre, après avoir effectué 126 orbites en 7 jours et 22 heures, la navette revient sur Terre. Le Spacelab à l’heure japonaise a contribué à apporter des données concernant les sciences de la vie et de la micropesanteur. La mission a également marqué un pas de plus en faveur de ce qui se fera quelques années plus tard dans la Station spatiale internationale.

Quant à Mamoru Mohri, il effectuera un second vol à bord d’Endeavour dans le cadre de la mission STS-99 en février 2000. A partir de 2001, il devient directeur général émérite du Miraikan, le musée national des sciences émergentes et de l’innovation de Tokyo.

 

Quelques références

- Un rapport de la Nasa : « Final Science Results Spacelab J », Washington DC, février 1995

- Un reportage de la Nasa sur le vol STS-47

- Un site de données et de portraits sur les vols habités, Spacefacts, Joachim Becker.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence



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