Dans la nuit du 17 au 18 décembre 1993, avec la mise sur orbite du satellite Thaicom 1 par le lanceur européen Ariane 4, la Thaïlande devenait un acteur des télécommunications spatiales.
Au cours des années 60, les satellites de télécommunication font leur apparition (Echo 1 en août 1960, Courier 1B en octobre 1960, Telstar 1 en juillet 1962, Syncom 1 en février 1963, Early Bird en avril 1965…). Ils sont d’abord un enjeu national pour certaines grandes et moyennes puissances, comme les Etats-Unis, l’Union soviétique ou le Canada. D’autres nations suivent, en Europe (France, Royaume-Uni, Allemagne, etc.), mais aussi en Asie, avec des pays émergents (Inde, Indonésie) qui se dotent d’un système satellitaire national afin de résoudre le problème du sous-équipement et celui d’une géographie compliquée (taille, émiettement du territoire).
A la fin des années 1980 et au début des années 1990, d’autres nations – pour plupart en voie d’émergence – souhaitent se constituer un réseau de télécommunication, afin d’accéder à un statut régional en maîtrisant d’abord un système national. L’objectif consiste alors à développer des capacités d’échanges à différents niveaux d’échelle (national, régional, international). C’est notamment le cas de la Thaïlande. Avant de pouvoir disposer de son propre réseau, celle-ci a d’abord utilisé le Palapa indonésien. Néanmoins, l’ambition nationale pousse les Thaïlandais à vouloir leur propre système, d’autant plus que Palapa s’est révélé comme un système « national étroitement contrôlé par le gouvernement indonésien », comme le soulignait en 1997 le géographe Fernand Verger.
Le programme Thaicom.
L’aventure des télécommunications spatiales thaïlandaises commence surtout le 11 septembre 1991, lorsque le Ministère des transports et des communications accorde une concession pour déployer un réseau de télécommunication à l’entreprise Shinawatra Satellite Co (créée le 7 novembre 1991), du groupe Shinawatra Computer & Communications Co Ltd, appartenant à l’homme d’affaires et homme politique influent Thaksin Shinawatra (qui deviendra Premier ministre de 2001 à 2006). Précisons que la compagnie changera de nom à plusieurs reprises, en Shin Satellite Plc (2 août 1999), puis en Thaicom Public Company Limited (21 avril 2008). Quant aux satellites appelés à constituer le réseau, ils reçoivent le nom de Thaicom qui, décerné par le roi Rama IX (Bhumibol Adulyadej), symbolise le lien entre le pays et les communications modernes (Thai Communications).
Toutefois, la Thaïlande ne dispose pas de compétences technologiques suffisantes pour construire et lancer ses satellites. De ce fait, elle fait appel au groupe américain Hughes Space Aircraft pour fabriquer les deux premiers Thaicom. D’une hauteur de 3,48 m pour une masse de 629 kg (1 080 kg au lancement), ils sont équipés de dix répéteurs en bande C, ainsi que de deux répéteurs en bande Ku. L’énergie est fournie par des panneaux solaires cylindriques placés autour des satellites. Stabilisés sur trois axes et positionnés sur une orbite géostationnaire, ils ont alors la capacité de couvrir une zone allant de la Thaïlande au Japon.
Thaicom 1 est lancé dans la nuit du 17 au 18 décembre 1993 par une Ariane 44L européenne, depuis le Centre spatial guyanais. Le second Thaicom suit le 7 octobre 1994, placé sur orbite par le même type de lanceur. En mai-juin 1997, Thaicom 1 est déplacé sur une autre orbite (renommé à cette occasion Thaicom 1A), puis sur une « orbite cimetière » le 12 janvier 2010 où, après 16 ans de bons et loyaux services, il cesse de fonctionner ; Thaicom 2 connaît le même destin le 30 octobre 2010.
Diffuser, fournir, étendre.
Dans les années qui suivent, d’autres Thaicom plus performants sont construits par les Américains (Thaicom 4, 6, 7 et 8), mais aussi par la France (Thaicom 3 et 5) et la Chine (qui prépare la construction et assurera le lancement de Thaicom 9). Aujourd’hui, la flotte de satellites (Thaicom 4 à 8) permet à la compagnie thaïlandaise d’être un acteur de premier plan. De plus, en créant des filiales (IPSTAR Autralia Pty Ltd, Lao Telecommunications Company Ltd, etc.), celle-ci tisse d’ambitieux partenariats régionaux fournissant des prestations variées. En effet, le système offre en plus de la télécommunication, des services étendues au numérique et à l’internet à haut débit pour une quarantaine de pays d’Asie-Pacifique (dont l’Australie), mais aussi pour l’Afrique (Thaicom 6 ou Africom 1) et l’Europe (Thaicom 5) !
Par ailleurs, avec Thaicom 4, construit par Space System Loral et placé sur orbite le 11 août 2005 par un lanceur Ariane 5, la Thaïlande devient le premier pays à disposer d’un satellite conçu pour faire tout spécialement des services IP (Internet Protocol) - d’où son second nom IPSTAR 1 - capable de desservir jusqu’à deux millions d’utilisateurs ou près de 30 millions d’abonnés à la téléphonie mobile dans toute la région Asie-Pacifique. En 2008, la Thaïlande est ainsi le pays qui a le taux le plus élevé d’abonnés mobiles utilisant internet au sein des pays de la région Asie-Pacifique.
Une fierté nationale.
Sur son site, la société Thaicom Public Company Limited (TPCL) présente fièrement son réseau de satellites comme « une connectivité fiable et sécurisée pour des services de données et vidéo de qualité. Notre vaste réseau de satellites en Asie, en Océanie et en Afrique permet aux radiodiffuseurs de diffuser quotidiennement le dernier contenu télévisé numérique, aux opérateurs de télécommunication de fournir des réseaux haut débit dans les régions isolées de l’Asie-Pacifique et aux administrations gouvernementales d’étendre leur portée à l’échelle nationale ».
L’exemple thaïlandais illustre la complexité de l’aventure spatiale qui, désormais, a des implications au quotidien pour les populations, y compris pour celles des pays du sud. Pour en bénéficier, il n’est pas indispensable de posséder un lanceur, ni même d’avoir les capacités nationales pour fabriquer les satellites. En revanche, pour la gestion du réseau, il est nécessaire d’avoir un personnel qualifié, souvent formé auprès des nations du nord.
Références.
Un article : Alain Prestat, « Télévision de demain, l’Asie est déjà dans la course », in Les échos, 7 mars 1994.
Un atlas : Fernand Verger, Atlas de géographie de l’espace, Belin, Paris, 1997.
Le site officiel de Thaicom Public Company Ltd
Une vidéo sur la construction et le lancement de Thaicom 4 / IPSTAR par Space Systems Loral, 2005
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Dans la nuit du 17 au 18 décembre 1993, avec la mise sur orbite du satellite Thaicom 1 par le lanceur européen Ariane 4, la Thaïlande devenait un acteur des télécommunications spatiales.
Au cours des années 60, les satellites de télécommunication font leur apparition (Echo 1 en août 1960, Courier 1B en octobre 1960, Telstar 1 en juillet 1962, Syncom 1 en février 1963, Early Bird en avril 1965…). Ils sont d’abord un enjeu national pour certaines grandes et moyennes puissances, comme les Etats-Unis, l’Union soviétique ou le Canada. D’autres nations suivent, en Europe (France, Royaume-Uni, Allemagne, etc.), mais aussi en Asie, avec des pays émergents (Inde, Indonésie) qui se dotent d’un système satellitaire national afin de résoudre le problème du sous-équipement et celui d’une géographie compliquée (taille, émiettement du territoire).
A la fin des années 1980 et au début des années 1990, d’autres nations – pour plupart en voie d’émergence – souhaitent se constituer un réseau de télécommunication, afin d’accéder à un statut régional en maîtrisant d’abord un système national. L’objectif consiste alors à développer des capacités d’échanges à différents niveaux d’échelle (national, régional, international). C’est notamment le cas de la Thaïlande. Avant de pouvoir disposer de son propre réseau, celle-ci a d’abord utilisé le Palapa indonésien. Néanmoins, l’ambition nationale pousse les Thaïlandais à vouloir leur propre système, d’autant plus que Palapa s’est révélé comme un système « national étroitement contrôlé par le gouvernement indonésien », comme le soulignait en 1997 le géographe Fernand Verger.
Le programme Thaicom.
L’aventure des télécommunications spatiales thaïlandaises commence surtout le 11 septembre 1991, lorsque le Ministère des transports et des communications accorde une concession pour déployer un réseau de télécommunication à l’entreprise Shinawatra Satellite Co (créée le 7 novembre 1991), du groupe Shinawatra Computer & Communications Co Ltd, appartenant à l’homme d’affaires et homme politique influent Thaksin Shinawatra (qui deviendra Premier ministre de 2001 à 2006). Précisons que la compagnie changera de nom à plusieurs reprises, en Shin Satellite Plc (2 août 1999), puis en Thaicom Public Company Limited (21 avril 2008). Quant aux satellites appelés à constituer le réseau, ils reçoivent le nom de Thaicom qui, décerné par le roi Rama IX (Bhumibol Adulyadej), symbolise le lien entre le pays et les communications modernes (Thai Communications).
Toutefois, la Thaïlande ne dispose pas de compétences technologiques suffisantes pour construire et lancer ses satellites. De ce fait, elle fait appel au groupe américain Hughes Space Aircraft pour fabriquer les deux premiers Thaicom. D’une hauteur de 3,48 m pour une masse de 629 kg (1 080 kg au lancement), ils sont équipés de dix répéteurs en bande C, ainsi que de deux répéteurs en bande Ku. L’énergie est fournie par des panneaux solaires cylindriques placés autour des satellites. Stabilisés sur trois axes et positionnés sur une orbite géostationnaire, ils ont alors la capacité de couvrir une zone allant de la Thaïlande au Japon.
Thaicom 1 est lancé dans la nuit du 17 au 18 décembre 1993 par une Ariane 44L européenne, depuis le Centre spatial guyanais. Le second Thaicom suit le 7 octobre 1994, placé sur orbite par le même type de lanceur. En mai-juin 1997, Thaicom 1 est déplacé sur une autre orbite (renommé à cette occasion Thaicom 1A), puis sur une « orbite cimetière » le 12 janvier 2010 où, après 16 ans de bons et loyaux services, il cesse de fonctionner ; Thaicom 2 connaît le même destin le 30 octobre 2010.
Diffuser, fournir, étendre.
Dans les années qui suivent, d’autres Thaicom plus performants sont construits par les Américains (Thaicom 4, 6, 7 et 8), mais aussi par la France (Thaicom 3 et 5) et la Chine (qui prépare la construction et assurera le lancement de Thaicom 9). Aujourd’hui, la flotte de satellites (Thaicom 4 à 8) permet à la compagnie thaïlandaise d’être un acteur de premier plan. De plus, en créant des filiales (IPSTAR Autralia Pty Ltd, Lao Telecommunications Company Ltd, etc.), celle-ci tisse d’ambitieux partenariats régionaux fournissant des prestations variées. En effet, le système offre en plus de la télécommunication, des services étendues au numérique et à l’internet à haut débit pour une quarantaine de pays d’Asie-Pacifique (dont l’Australie), mais aussi pour l’Afrique (Thaicom 6 ou Africom 1) et l’Europe (Thaicom 5) !
Par ailleurs, avec Thaicom 4, construit par Space System Loral et placé sur orbite le 11 août 2005 par un lanceur Ariane 5, la Thaïlande devient le premier pays à disposer d’un satellite conçu pour faire tout spécialement des services IP (Internet Protocol) - d’où son second nom IPSTAR 1 - capable de desservir jusqu’à deux millions d’utilisateurs ou près de 30 millions d’abonnés à la téléphonie mobile dans toute la région Asie-Pacifique. En 2008, la Thaïlande est ainsi le pays qui a le taux le plus élevé d’abonnés mobiles utilisant internet au sein des pays de la région Asie-Pacifique.
Une fierté nationale.
Sur son site, la société Thaicom Public Company Limited (TPCL) présente fièrement son réseau de satellites comme « une connectivité fiable et sécurisée pour des services de données et vidéo de qualité. Notre vaste réseau de satellites en Asie, en Océanie et en Afrique permet aux radiodiffuseurs de diffuser quotidiennement le dernier contenu télévisé numérique, aux opérateurs de télécommunication de fournir des réseaux haut débit dans les régions isolées de l’Asie-Pacifique et aux administrations gouvernementales d’étendre leur portée à l’échelle nationale ».
L’exemple thaïlandais illustre la complexité de l’aventure spatiale qui, désormais, a des implications au quotidien pour les populations, y compris pour celles des pays du sud. Pour en bénéficier, il n’est pas indispensable de posséder un lanceur, ni même d’avoir les capacités nationales pour fabriquer les satellites. En revanche, pour la gestion du réseau, il est nécessaire d’avoir un personnel qualifié, souvent formé auprès des nations du nord.
Références.
Un article : Alain Prestat, « Télévision de demain, l’Asie est déjà dans la course », in Les échos, 7 mars 1994.
Un atlas : Fernand Verger, Atlas de géographie de l’espace, Belin, Paris, 1997.
Le site officiel de Thaicom Public Company Ltd
Une vidéo sur la construction et le lancement de Thaicom 4 / IPSTAR par Space Systems Loral, 2005
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
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