Le 28 novembre 2002, un lanceur russe plaçait sur orbite Alsat 1, le premier satellite artificiel de l’Algérie. C’est alors plus qu’une fierté nationale…
Depuis leur indépendance recouvrée en 1956, Maroc et Algérie entretiennent des relations diplomatiques parfois tendues, notamment en ce qui concerne la question des frontières qui en 1963 entraîne même un violent conflit (guerre des Sables). Depuis, il subsiste une certaine rivalité, voire inimitié entre les deux Etats mêlant enjeux géopolitiques, militaires et économiques.
En 1987, l’Algérie prend l’initiative de créer le Centre national des technologies spatiales (CNTS) à Arzew, dans la wilaya d’Oran, une commune où se trouve l’un des plus grands complexes pétrochimiques du pays. Les objectifs sont la mise en œuvre de projets intégrant la télédétection et les systèmes d’information géographique (SIG) pour la gestion des ressources naturelles, la protection de l’environnement, l’aménagement des territoires urbains et ruraux, sans oublier les infrastructures routières et ferroviaires. Ne voulant pas être en reste, le Maroc réplique en 1989 avec la mise en place du Centre royal de télédétection spatiale (CRTS), avec des objectifs similaires à ceux de l’Algérie…
Algériens et Marocains cherchent alors à maîtriser les technologies liées à la télédétection spatiale. Une véritable course à l’espace s’engage entre les deux pays. Pour réaliser son premier satellite d’observation de la Terre (Maroc-Tubsat), le CRTS se tourne vers l’Université technique de Berlin, tandis que le CNTS sollicite le Surrey Satellite Technology Ltd (SSTL), une société britannique récemment mise en place par l’Université du Surrey (1985).
Alors que plusieurs nations souhaitent acquérir des technologies spatiales pour faire de l’observation de la Terre, SSTL propose la Disaster Monitoring Constellation (DMC), une famille de cinq microsatellites à coût réduit, dont le principal objectif est la surveillance des catastrophes. Un accord offre aux différents partenaires (Algérie, Chine, Nigéria, Royaume-Uni, Turquie – rejoints un peu plus tard par l’Espagne) la possibilité d’accéder à la constellation, permettant à chacun d’avoir un système de survol de son territoire d’une fois par jour. Le premier satellite de la DMC appelé à être lancé est Alsat (ALgérie SATellite). L’Algérie en profite pour envoyer au SSTL onze spécialistes parfaire leur formation et contribuer aux conception, développement et réalisation des sous-systèmes du satellite.
Dans les années qui suivent, l’Algérie se prépare à aller plus loin. Ainsi, le 16 janvier 2002, elle met en place l’Agence spatiale algérienne (ASAL) qui, à sa fondation, comporte environ une centaine de chercheurs et d’ingénieurs. A la différence du CNTS, chargé d’acquérir des connaissances en matière de techniques spatiales, l’ASAL reçoit la mission de déployer la politique spatiale nationale ; l’espace doit devenir « un vecteur important pour le développement économique, social et culturel du pays », soulignent les responsables.
D’une masse totale de près de 92 kg, Alsat a la forme d’un cube de 60 cm par 60 cm. Doté de panneaux solaires, le satellite est notamment équipé de senseurs solaires, de magnétomètres, d’un mat pour le contrôle du satellite (par gradient de gravité), d’un système de propulsion à gaz liquéfié pour le maintien en orbite. Quant au système d’imagerie ESIS (Extended Swath Imaging System), il est constitué de deux caméras fournissant une large fauchée de 640 km par 560 km, avec une résolution de 32 m dans trois bandes spectrales (proche infra-rouge, rouge, verte).
Onze mois après le Maroc-Tubsat, Alsat est lancé le 28 novembre 2002 par un lanceur russe Cosmos 3M depuis la base de Plessetsk. Les autres satellites de la DMC suivent en septembre 2003 (Bilsat / Turquie, NigeriaSat 1 / Nigéria, UK-DMC / Royaume-Uni), et en octobre 2005 (Beijing 1 / Chine). Placé sur une orbite héliosynchrone à 686 km, Alsat est aussitôt exploité pour la gestion des catastrophes naturelles, mais aussi pour les ressources (gestion de l’eau notamment). C’est un réel moment d’émotion et de fierté pour l’Algérie, qui fait ses premiers pas dans l’espace et confirme l’existence de compétences nationales « propulsant le pays dans le concert des nations avancées », notent plusieurs médias algériens.
Fonctionnant jusqu’en août 2010, le succès d’Alsat est total. L’Algérie acquiert un savoir-faire qui est aussitôt investi dans les entreprises, comme par exemple dans les secteurs de la micromécanique, des vibrations, des panneaux solaires, etc. Quant aux informations livrées par le satellite (réceptionnées par le centre d’Arzew), elles permettent d’obtenir de précieuses données pour la protection civile, comme lors des inondations du M’zab ou d’El-Bayadh. Toutefois, il semble bien qu’Alsat ait également été utilisé pour observer des activités et des installations militaires de certains voisins de l’Algérie, dont le Maroc et la Mauritanie. Cette démarche ne surprend guère, surtout lorsque l’on voit que les pays de la région sont engagés dans une véritable course aux armements…
Le succès d’Alsat incite naturellement l’Algérie à poursuivre le programme avec Alsat 1B (lancé le 26 septembre 2016), qui rejoint la DMC. Avec la génération Alsat 2, désormais gérée par l’ASAL, les capacités des nouveaux satellites sont améliorées tant dans la fréquence des prises de vues que des résolutions (2,5 m). Par ailleurs, si Alsat 2A est réalisé et intégré en France (puis lancé le 12 juillet 2010), Alsat 2B (lancé le 26 septembre 2016) est lui intégré en Algérie dans le Centre de développement de satellites (CDS) près d’Oran. L’Algérie s’émancipe peu à peu. Cette seconde génération améliore ainsi la couverture du territoire algérien, tout en élargissant les domaines d’étude, comme le cadastre steppique et saharien, le suivi des feux de forêts, la gestion du bâti et de la construction d’ouvrages d’art, etc. A propos du Alsat 2B, le directeur du CNTS, Azzedine Oussedik, a souligné dès novembre 2002 que « le microsatellite, qui nous permettra d´avoir une autonomie partielle en matière de données satellitaires, n´est pas une fin en soi car il constitue un moyen pédagogique et d´acquisition de savoir-faire dans ce domaine ».
- Un article : « Lancement du premier satellite algérien. A la conquête de l’espace », Salim Aggar, in L’Expression. Le quotidien, 30 novembre 2002
- Un second article : « Maroc-Algérie : la guerre froide même dans l’espace ? », Akram Kharief, 28 novembre 2018
- Le site de l’agence spatiale algérienne
- A propos de la DMC première génération, voir le site dédié
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 28 novembre 2002, un lanceur russe plaçait sur orbite Alsat 1, le premier satellite artificiel de l’Algérie. C’est alors plus qu’une fierté nationale…
Depuis leur indépendance recouvrée en 1956, Maroc et Algérie entretiennent des relations diplomatiques parfois tendues, notamment en ce qui concerne la question des frontières qui en 1963 entraîne même un violent conflit (guerre des Sables). Depuis, il subsiste une certaine rivalité, voire inimitié entre les deux Etats mêlant enjeux géopolitiques, militaires et économiques.
En 1987, l’Algérie prend l’initiative de créer le Centre national des technologies spatiales (CNTS) à Arzew, dans la wilaya d’Oran, une commune où se trouve l’un des plus grands complexes pétrochimiques du pays. Les objectifs sont la mise en œuvre de projets intégrant la télédétection et les systèmes d’information géographique (SIG) pour la gestion des ressources naturelles, la protection de l’environnement, l’aménagement des territoires urbains et ruraux, sans oublier les infrastructures routières et ferroviaires. Ne voulant pas être en reste, le Maroc réplique en 1989 avec la mise en place du Centre royal de télédétection spatiale (CRTS), avec des objectifs similaires à ceux de l’Algérie…
Algériens et Marocains cherchent alors à maîtriser les technologies liées à la télédétection spatiale. Une véritable course à l’espace s’engage entre les deux pays. Pour réaliser son premier satellite d’observation de la Terre (Maroc-Tubsat), le CRTS se tourne vers l’Université technique de Berlin, tandis que le CNTS sollicite le Surrey Satellite Technology Ltd (SSTL), une société britannique récemment mise en place par l’Université du Surrey (1985).
Alors que plusieurs nations souhaitent acquérir des technologies spatiales pour faire de l’observation de la Terre, SSTL propose la Disaster Monitoring Constellation (DMC), une famille de cinq microsatellites à coût réduit, dont le principal objectif est la surveillance des catastrophes. Un accord offre aux différents partenaires (Algérie, Chine, Nigéria, Royaume-Uni, Turquie – rejoints un peu plus tard par l’Espagne) la possibilité d’accéder à la constellation, permettant à chacun d’avoir un système de survol de son territoire d’une fois par jour. Le premier satellite de la DMC appelé à être lancé est Alsat (ALgérie SATellite). L’Algérie en profite pour envoyer au SSTL onze spécialistes parfaire leur formation et contribuer aux conception, développement et réalisation des sous-systèmes du satellite.
Dans les années qui suivent, l’Algérie se prépare à aller plus loin. Ainsi, le 16 janvier 2002, elle met en place l’Agence spatiale algérienne (ASAL) qui, à sa fondation, comporte environ une centaine de chercheurs et d’ingénieurs. A la différence du CNTS, chargé d’acquérir des connaissances en matière de techniques spatiales, l’ASAL reçoit la mission de déployer la politique spatiale nationale ; l’espace doit devenir « un vecteur important pour le développement économique, social et culturel du pays », soulignent les responsables.
D’une masse totale de près de 92 kg, Alsat a la forme d’un cube de 60 cm par 60 cm. Doté de panneaux solaires, le satellite est notamment équipé de senseurs solaires, de magnétomètres, d’un mat pour le contrôle du satellite (par gradient de gravité), d’un système de propulsion à gaz liquéfié pour le maintien en orbite. Quant au système d’imagerie ESIS (Extended Swath Imaging System), il est constitué de deux caméras fournissant une large fauchée de 640 km par 560 km, avec une résolution de 32 m dans trois bandes spectrales (proche infra-rouge, rouge, verte).
Onze mois après le Maroc-Tubsat, Alsat est lancé le 28 novembre 2002 par un lanceur russe Cosmos 3M depuis la base de Plessetsk. Les autres satellites de la DMC suivent en septembre 2003 (Bilsat / Turquie, NigeriaSat 1 / Nigéria, UK-DMC / Royaume-Uni), et en octobre 2005 (Beijing 1 / Chine). Placé sur une orbite héliosynchrone à 686 km, Alsat est aussitôt exploité pour la gestion des catastrophes naturelles, mais aussi pour les ressources (gestion de l’eau notamment). C’est un réel moment d’émotion et de fierté pour l’Algérie, qui fait ses premiers pas dans l’espace et confirme l’existence de compétences nationales « propulsant le pays dans le concert des nations avancées », notent plusieurs médias algériens.
Fonctionnant jusqu’en août 2010, le succès d’Alsat est total. L’Algérie acquiert un savoir-faire qui est aussitôt investi dans les entreprises, comme par exemple dans les secteurs de la micromécanique, des vibrations, des panneaux solaires, etc. Quant aux informations livrées par le satellite (réceptionnées par le centre d’Arzew), elles permettent d’obtenir de précieuses données pour la protection civile, comme lors des inondations du M’zab ou d’El-Bayadh. Toutefois, il semble bien qu’Alsat ait également été utilisé pour observer des activités et des installations militaires de certains voisins de l’Algérie, dont le Maroc et la Mauritanie. Cette démarche ne surprend guère, surtout lorsque l’on voit que les pays de la région sont engagés dans une véritable course aux armements…
Le succès d’Alsat incite naturellement l’Algérie à poursuivre le programme avec Alsat 1B (lancé le 26 septembre 2016), qui rejoint la DMC. Avec la génération Alsat 2, désormais gérée par l’ASAL, les capacités des nouveaux satellites sont améliorées tant dans la fréquence des prises de vues que des résolutions (2,5 m). Par ailleurs, si Alsat 2A est réalisé et intégré en France (puis lancé le 12 juillet 2010), Alsat 2B (lancé le 26 septembre 2016) est lui intégré en Algérie dans le Centre de développement de satellites (CDS) près d’Oran. L’Algérie s’émancipe peu à peu. Cette seconde génération améliore ainsi la couverture du territoire algérien, tout en élargissant les domaines d’étude, comme le cadastre steppique et saharien, le suivi des feux de forêts, la gestion du bâti et de la construction d’ouvrages d’art, etc. A propos du Alsat 2B, le directeur du CNTS, Azzedine Oussedik, a souligné dès novembre 2002 que « le microsatellite, qui nous permettra d´avoir une autonomie partielle en matière de données satellitaires, n´est pas une fin en soi car il constitue un moyen pédagogique et d´acquisition de savoir-faire dans ce domaine ».
- Un article : « Lancement du premier satellite algérien. A la conquête de l’espace », Salim Aggar, in L’Expression. Le quotidien, 30 novembre 2002
- Un second article : « Maroc-Algérie : la guerre froide même dans l’espace ? », Akram Kharief, 28 novembre 2018
- Le site de l’agence spatiale algérienne
- A propos de la DMC première génération, voir le site dédié
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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