Air & Cosmos a pu visualiser une partie de la mécanique des opérations, aéroportée et amphibie, de l'exercice interarmées Orion 2, du 25 au 27 février. Cet article a été publié le 16 mars 2023 dans le magazine n° 2821.
Le 25 février 2023, le pôle national des opérations aéroportées (PNOAP), installé au 1er régiment du train parachutiste (RTP) de Toulouse est en ébullition. C'est de là que doit partir le premier effort d'Orion 2, exercice interarmées et interallié, avec le largage de 600 parachutistes de la 11e brigade parachutiste. Ce bataillon comprend deux compagnies du 8e RPIMa, un escadron du 1er RHP et des éléments du 17e RGP. Ils devront saisir l'aéroport de Castres, désigné pour devenir le terrain d'entrée en premier. C'est à partir de là qu'auront lieu d'autres opérations aéroportées (OAP).
L'exercice Orion 2 comprend au total la mobilisation de 7 000 militaires, dont 1 000 pour simuler les adversaires au sol. Les armées n'ont pas connu pareil exercice depuis Moineau Hardi, en 1988, rappelle le général de brigade Éric Ozanne, commandant la 6e brigade légère blindée. La genèse en revient au général Thierry Burkhard, en 2019, alors qu'il n'était encore que chef d'état-major de l'Armée de Terre. Devenu chef d'état-major des armées, il avait épaissi le thème et les moyens de l'exercice, pour en faire une séquence interarmées et interalliée, balayant tous les champs de la conflictualité.
Depuis une semaine, les spécialistes du 1er RTP conditionnent les charges qui vont être larguées pour appuyer l'effort des parachutistes, dans la durée, jusqu'à concurrence de dix jours : de l'eau, des rations, des munitions, mais aussi, dès le départ, du matériel. Pas moins de six Airbus A400M Atlas et un Lockheed Martin C-130J sont mobilisés ce matin-là, pour réaliser les largages de personnel (douze sorties prévues) et de fret (quatorze). Pour la durée des OAP, la 11e BP compte sur huit Atlas, trois C130H/J et deux Casa 235.
Les deux premiers Atlas ont réussi à se poser in extremis entre 6 h 27 et 7 h du matin pour charger du fret, mais ensuite, la purée de pois s'installe, et les gros-porteurs de la 61e escadre de transport doivent orbiter au-dessus de Toulouse avant de pouvoir percer. Comme dans les opérations réelles, les paras n'ont pas la main sur la météo, particulièrement sur le vent : pas de largage au-delà de 9 m/s. Lors de la répétition d'Orion 2 (déjà à Castres), en septembre, les largages avaient dû être interrompus face aux premiers blessés liés au saut, et de la casse matérielle.
Dans le hangar dédié, le conditionnement des charges est quasiment achevé, reste à les engouffrer dans les Atlas suivants. Deux véhicules blindés légers du 1er RHP doivent être largués, et pas moins de cinq fardiers, un nouveau type de véhicule léger utilisé par les transmetteurs de la 11e CCTP et les artilleurs du 35e RAP. C'est la première fois que la 11e BP va larguer ces engins de 2 650 kg, jusqu'alors, c'est la section technique de l'Armée de Terre qui s'en était chargée, comme ce fut le cas lors de l'exercice Manticores, en septembre dernier, avec deux véhicules engagés. Pour Orion, la charge la plus lourde est un engin du génie TC910 de 7,8 t.
La France est la dernière armée européenne à avoir conservé cette capacité de largage de matériel (et non pas seulement de fret de ravitaillement) et une brigade entière dédiée aux opérations aéroportées, c'est une carte maîtresse dans la main du chef d'état-major des armées (lui-même issu de la 11e BP) pour l'entrée en premier, et particulièrement en haute intensité. Le 1er RTP est incontournable pour réaliser ces largages de fret et de matériel, mais aussi rééditer l'effort à distance de sa base. « Une base gonflable que nous utiliserons à Castres nous permettra de re-projeter la force vers l'étape suivante, dans la région de Cahors », explique le colonel Frédéric Laprévotte, chef de corps du 1er RTP.
Une trentaine de personnels du régiment font partie des 2 000 paras largués au total, afin d'accompagner cet effort de soutien direct. Le régiment est habitué à ces soutiens loin de ses bases, avec 70 de ses personnels déployés en permanence dans le monde entier, particulièrement en Afrique où la demande reste soutenue, malgré la fin de l'opération Barkhane. 500 t de fret ont été larguées en 2022 au Sahel. Une centaine de personnels sont aussi en alerte permanente dans le cadre de l'échelon national d'urgence (ENU). Les dix-huit Mistral conditionnés par le 1er RTP. Le 35e RAP les utilisera pour la protection rapprochée de l'aéroport de Castres.
L'entrée en premier peut être source d'une attrition importante, la 11e BP a donc intégré une antenne de chirurgie de sauvetage aérolargable capable de prendre en compte jusqu'à huit blessés. Les colis ont été calculés pour assurer une autonomie initiale en produits de santé et de matériels d'environnement (brancards, génératrices, éclairages, etc). Dans les unités larguées dès le premier jour, on trouve aussi des artilleurs sol-air du 35e RAP, qui assureront la couverture rapprochée de la piste de Castres et des unités paras.
Parmi les charges qui doivent être larguées, une attire l'oeil immédiatement, avec ses dix-huit missiles, chacun protégé dans un tube spécial. Par contre, le plot de défense sol-air ne fonctionnera qu'à vue, sans moyen radar militaire. Le génie est essentiel à la manoeuvre parachutiste, et ce sera encore plus le cas à Castres, avec la nécessité de dégager des obstacles placés sur la piste. Ce n'est qu'une fois qu'elle en sera libérée qu'elle pourra être utilisée pour l'aéro-transport de capacités plus lourdes, des véhicules qui ne peuvent pas être aéro-largués (véhicules de transport VAB et Griffon, chars AMX10RC ). Le régiment avait ainsi pu rendre à nouveau disponible la piste de Tombouctou, en janvier 2013, après le saut du 2e régiment étranger de parachutistes (REP).
Son chef d'alors, Benoît Desmeulles, est désormais aux commandes de la 11e brigade parachutiste, qu'il transmettra cet été à son successeur. Il rappelle les enjeux d'Orion pour l'Armée de Terre : «l'Armée de Terre engage 5 000 soldats et la totalité de l'échelon national d'urgence des troupes aéroportées, complétées par d'autres unités. Notre espace de manoeuvre est assez inédit, de Sète à Cahors, soit 300km de long sur 80 de large, durant trois semaines. On va pratiquer à l'échelle 1 une opération d'entrée en premier mêlant aéroporté et amphibie. Puis, après la saisie de l'aéroport de Castres, nous ferons mouvement à 150km au nord, vers Cahors. C'est un enchaînement de phases ambitieux avec des moyens conséquents: Orion est un exercice inédit combinant à grande échelle les moyens des trois armées, du cyber, de l'espace».
La brigade a aussi intégré cette dernière dimension, en prenant en compte aussi les horaires de passage des satellites classés adverses et éviter de s'exposer à leur vue, une démarche nouvelle. Elle pratiquera par contre de façon routinière les effets dans les champs immatériels, afin d'induire l'ennemi en erreur. Diffusion de bandes sonores de matériels totalement virtuels, usage de leurres visuels gonflables, tout est bon (ou presque) pour abuser l'ennemi, mais aussi répondre aux coups, avec, par exemple, l'usage de tracts (physiques ou numériques) ou de diffusions sonores pour arrimer la population locale aux actions militaires en cours.
Un tel engagement de moyens ne peut pas se faire sans un renseignement préalable et complet sur la zone de saut, ses abords. Le renseignement d'origine aérienne et spatiale est primordial, mais se décline aussi au sol, avec le largage, 24 h en amont du gros des troupes, d'équipes du groupement commando parachutiste (GCP) qui actualisent le renseignement. Juste avant le largage, elles peuvent neutraliser des capacités de défense ennemies présentes sur la zone. Leur largage à 4000m d'altitude et à une dizaine de kilomètres de l'objectif était prévu à 48h du jourJ, mais la météo en décidé autrement et les deux Casa 235 ont dû ramener leurs commandos à Toulouse. Une action de forces spéciales non identifiées a aussi neutralisé un système sol-air SA-18 simulé à proximité de Castres, sans quoi le largage massif sur la zone de saut n'aurait pas été possible.
Sous coordination aérienne d'un Awacs, les Atlas sont appuyés par des chasseurs durant leur infiltration jusqu'à l'objectif. La phase la plus vulnérable commence aux approches, puis durant le largage, à une altitude de 400m (les parachutes EPC sont qualifiés pour un saut à 250m minimum). Les parachutistes ne resteront sous voile qu'une minute à peine, comme l'explique le capitaine Thibault, qui commande la 3e compagnie du 8e RPIMa, chargée de saisir l'aéroport de Castres. «Nous sommes vulnérables durant notre descente, puis durant la phase de réarticulation», celle où les paras encore dispersés sur la zone de saut, se rassemblent vers un point déterminé à l'avance et signalé par un parachutiste porteur d'un drapeau jaune.
«Mais l'ennemi sera aussi désorganisé par notre saut durant cette phase». Confirmation, d'ailleurs, au moment du saut, quelques rafales sporadiques viendront accueillir la compagnie, mais sans pertes. La haute intensité est souvent synonyme de forte consommation de munitions «donc on emporte chacun un obus de 81mm dans notre sac, on sacrifie le peu de confort qu'il nous restait au profit de la puissance de feu. On dispose ainsi des deux lots de 24 obus des gaines collectives et 150 obus amenés par chaque para de la compagnie, médecin compris!». Cette procédure n'est pas propre à la haute intensité, mais en haute intensité, elle est incontournable, car un 81 mm bien manié peut faire du dégât dans les 5 700 m à la ronde. Et surtout dans les premières heures de l'assaut, les fantassins ne disposant que de missiles Eryx et MMP, en plus de ces mortiers. Leurs joint terminal attack controllers (JTAC, spécialistes du guidage des frappes aériennes) peuvent aussi mobiliser les chasseurs qu'on entend dans le ciel de Castres, en prélude au largage.
Le lendemain, le deuxième axe d'effort de l'entrée en premier commence dans l'Hérault, avec deux points d'entrée, dans le port de Sète et sur une cale dans la commune voisine de Frontignan. Deux porte-hélicoptères amphibies (PHA), le Mistral et le Tonnerre, ont été mobilisés par la Marine pour débarquer le plus rapidement possible les 700 hommes et 145 véhicules de la 6e brigade légère blindée (BLB) de Nîmes. Mais tout a commencé une semaine plus tôt, par une série de combats navals intenses, bien plus au sud. Le Charles de Gaulle a mobilisé les Rafale et les Hawkeye de son groupe aérien pour frapper très à l'ouest, alors qu'il n'était encore positionné qu'à hauteur de la Crète.
Les frégates ont lancé leurs missiles anti-navires, en étudiant très parcimonieusement chaque frappe. En parallèle, les forces aériennes ont commencé l'attrition sur les défenses de la zone de Sète, batteries sol-air et défenses côtières, pour s'éviter toute mauvaise surprise lors de la phase amphibie. Le Crotale NG qui était positionné à Frontignan a été annihilé par une frappe de missiles la veille du jour J. Pour le Mamba, positionné dans l'arrière-pays sur un point haut, le massif de la Gardiole, c'est une opération nocturne des forces spéciales qui a permis de positionner un implant électronique sur une liaison filaire entre le radar GM200 et le centre de management de la défense 3D (CMD3D).
La veille du jour J, les artilleurs sol-air se sont retrouvés avec des écrans saturés, sans pouvoir savoir quels échos adverses étaient réels ou pas ! La même nuit, une opération héliportée (OHP) a permis d'infiltrer le groupe d'aide à l'engagement amphibie (GAEA) dans le même massif. Deux Caïman, soutenus par deux Tigre, ont quitté le PHA Mistral pour déposer une cinquantaine de commandos et le matériel leur permettant d'observer et d'intercepter les masses adverses qui sont venues, comme prévu, de la région de Montpellier, plus au nord. Le GAEA a aussi guidé des frappes aériennes sur des blindés ennemis.
Cette OHP a pu être réalisée in extremis, alors que la météo avait commencé à se détériorer, en mer, obligeant les PHA à se rapprocher plus que prévu de la côte. Dès le samedi 18 h, les «forces avancées» comprenant les plongeurs démineurs, les spécialistes de la reconnaissance des plages de la flottille amphibie, ainsi que des fusiliers marins et des commandos marine ont quitté leurs navires, au large, pour préparer le débarquement. À 22 h, sur la plage de Frontignan, les experts ont décidé d'abandonner le projet initial d'amener le flot de troupes sur une plage, au gradient insuffisant.
Avec les complications météo, «l'heure du débarquement a été avancée, détaille le général Éric Ozanne, commandant la 6e brigade légère blindée, on a exploité un créneau entre 4h du matin et midi. D'habitude, il y a toujours des aléas mais cette fois, on a pu aller plus vite que prévu». Au final, toutes les forces combattantes ont pu être débarquées à temps, seul l'échelon de soutien a dû patienter au lendemain. «Mais les troupes avaient débarqué avec une autonomie de quatre jours en vivres et en munitions, donc cela n'a pas vraiment posé problème», relativise le commandant de la 6e BLB.
Ce 26 février, alors que la 6e BLB débarquait, les forces navales et terrestres ont pu bénéficier de créneaux de Mirage 2000D et de Rafale (Air et Marine) en appui aérien rapproché et pour des attaques dans la profondeur, avec des Rafale Air pour tenir la suprématie aérienne. Du côté des capteurs spécialisés, la Marine a engagé un ATL2 et un Hawkeye, l'Armée de l'Air et de l'Espace, un AWACS, un drone Reaper, avec au moins un avion de renseignement Vador et une patrouille de Mirage 2000D dotés d'un pod ASTAC, pour éclairer l'ordre de bataille électromagnétique.
Les armées ont profité d'Orion pour tester des matériels fournis par les industriels, mais aussi adapter leurs tactiques, comme on l'a vu avec la neutralisation non cinétique du Mamba de Sète. La Marine a, par exemple, testé un drone sous-marin pour tenter de détecter un sous-marin adverse. Elle a aussi utilisé du Li-fi à bord de certains navires, et l'Armée de Terre doit également l'utiliser dans son PC, pour la prochaine phase dynamique d'Orion, dans les camps de Champagne, à partir d'avril.
La Marine a aussi utilisé en grandeur réelle et «avec des résultats concordants» la liaison 22 (L22) cryptée qui se déploie progressivement sur certains navires et aéronefs pour remplacer la L11, qui sera bientôt obsolescente. Elle offre bien plus de débit et encore plus de sécurité, avec un cryptage renforcé. Quatre frégates multi-missions (Bretagne, Provence, Alsace, Lorraine) et un patrouilleur de haute mer (une classe de navires qui sera pourtant retirée du service dans deux ans ) ont pu la mettre en oeuvre, ainsi qu'un hélicoptère Panther du CEPA10S, qui l'expérimente (le premier des trois avions-radar E-2C Hawkeye doit être équipé en fin d'année).
Mais pas les porte-hélicoptères amphibies, dont le Tonnerre, qui porte l'état-major embarqué de la composante navale : il leur faudra attendre 2024-2025. Le cerveau de la force navale a donc dû utiliser l'existant, SATCOM ou L11 pour pousser ses consignes vers ces unités déjà raccordées au monde moderne. Le porte-avions Charles de Gaulle doit, lui, être équipé d'ici la fin de l'année, dans le cadre d'un arrêt technique de six mois.
Air & Cosmos a pu visualiser une partie de la mécanique des opérations, aéroportée et amphibie, de l'exercice interarmées Orion 2, du 25 au 27 février. Cet article a été publié le 16 mars 2023 dans le magazine n° 2821.
Le 25 février 2023, le pôle national des opérations aéroportées (PNOAP), installé au 1er régiment du train parachutiste (RTP) de Toulouse est en ébullition. C'est de là que doit partir le premier effort d'Orion 2, exercice interarmées et interallié, avec le largage de 600 parachutistes de la 11e brigade parachutiste. Ce bataillon comprend deux compagnies du 8e RPIMa, un escadron du 1er RHP et des éléments du 17e RGP. Ils devront saisir l'aéroport de Castres, désigné pour devenir le terrain d'entrée en premier. C'est à partir de là qu'auront lieu d'autres opérations aéroportées (OAP).
L'exercice Orion 2 comprend au total la mobilisation de 7 000 militaires, dont 1 000 pour simuler les adversaires au sol. Les armées n'ont pas connu pareil exercice depuis Moineau Hardi, en 1988, rappelle le général de brigade Éric Ozanne, commandant la 6e brigade légère blindée. La genèse en revient au général Thierry Burkhard, en 2019, alors qu'il n'était encore que chef d'état-major de l'Armée de Terre. Devenu chef d'état-major des armées, il avait épaissi le thème et les moyens de l'exercice, pour en faire une séquence interarmées et interalliée, balayant tous les champs de la conflictualité.
Depuis une semaine, les spécialistes du 1er RTP conditionnent les charges qui vont être larguées pour appuyer l'effort des parachutistes, dans la durée, jusqu'à concurrence de dix jours : de l'eau, des rations, des munitions, mais aussi, dès le départ, du matériel. Pas moins de six Airbus A400M Atlas et un Lockheed Martin C-130J sont mobilisés ce matin-là, pour réaliser les largages de personnel (douze sorties prévues) et de fret (quatorze). Pour la durée des OAP, la 11e BP compte sur huit Atlas, trois C130H/J et deux Casa 235.
Les deux premiers Atlas ont réussi à se poser in extremis entre 6 h 27 et 7 h du matin pour charger du fret, mais ensuite, la purée de pois s'installe, et les gros-porteurs de la 61e escadre de transport doivent orbiter au-dessus de Toulouse avant de pouvoir percer. Comme dans les opérations réelles, les paras n'ont pas la main sur la météo, particulièrement sur le vent : pas de largage au-delà de 9 m/s. Lors de la répétition d'Orion 2 (déjà à Castres), en septembre, les largages avaient dû être interrompus face aux premiers blessés liés au saut, et de la casse matérielle.
Dans le hangar dédié, le conditionnement des charges est quasiment achevé, reste à les engouffrer dans les Atlas suivants. Deux véhicules blindés légers du 1er RHP doivent être largués, et pas moins de cinq fardiers, un nouveau type de véhicule léger utilisé par les transmetteurs de la 11e CCTP et les artilleurs du 35e RAP. C'est la première fois que la 11e BP va larguer ces engins de 2 650 kg, jusqu'alors, c'est la section technique de l'Armée de Terre qui s'en était chargée, comme ce fut le cas lors de l'exercice Manticores, en septembre dernier, avec deux véhicules engagés. Pour Orion, la charge la plus lourde est un engin du génie TC910 de 7,8 t.
La France est la dernière armée européenne à avoir conservé cette capacité de largage de matériel (et non pas seulement de fret de ravitaillement) et une brigade entière dédiée aux opérations aéroportées, c'est une carte maîtresse dans la main du chef d'état-major des armées (lui-même issu de la 11e BP) pour l'entrée en premier, et particulièrement en haute intensité. Le 1er RTP est incontournable pour réaliser ces largages de fret et de matériel, mais aussi rééditer l'effort à distance de sa base. « Une base gonflable que nous utiliserons à Castres nous permettra de re-projeter la force vers l'étape suivante, dans la région de Cahors », explique le colonel Frédéric Laprévotte, chef de corps du 1er RTP.
Une trentaine de personnels du régiment font partie des 2 000 paras largués au total, afin d'accompagner cet effort de soutien direct. Le régiment est habitué à ces soutiens loin de ses bases, avec 70 de ses personnels déployés en permanence dans le monde entier, particulièrement en Afrique où la demande reste soutenue, malgré la fin de l'opération Barkhane. 500 t de fret ont été larguées en 2022 au Sahel. Une centaine de personnels sont aussi en alerte permanente dans le cadre de l'échelon national d'urgence (ENU). Les dix-huit Mistral conditionnés par le 1er RTP. Le 35e RAP les utilisera pour la protection rapprochée de l'aéroport de Castres.
L'entrée en premier peut être source d'une attrition importante, la 11e BP a donc intégré une antenne de chirurgie de sauvetage aérolargable capable de prendre en compte jusqu'à huit blessés. Les colis ont été calculés pour assurer une autonomie initiale en produits de santé et de matériels d'environnement (brancards, génératrices, éclairages, etc). Dans les unités larguées dès le premier jour, on trouve aussi des artilleurs sol-air du 35e RAP, qui assureront la couverture rapprochée de la piste de Castres et des unités paras.
Parmi les charges qui doivent être larguées, une attire l'oeil immédiatement, avec ses dix-huit missiles, chacun protégé dans un tube spécial. Par contre, le plot de défense sol-air ne fonctionnera qu'à vue, sans moyen radar militaire. Le génie est essentiel à la manoeuvre parachutiste, et ce sera encore plus le cas à Castres, avec la nécessité de dégager des obstacles placés sur la piste. Ce n'est qu'une fois qu'elle en sera libérée qu'elle pourra être utilisée pour l'aéro-transport de capacités plus lourdes, des véhicules qui ne peuvent pas être aéro-largués (véhicules de transport VAB et Griffon, chars AMX10RC ). Le régiment avait ainsi pu rendre à nouveau disponible la piste de Tombouctou, en janvier 2013, après le saut du 2e régiment étranger de parachutistes (REP).
Son chef d'alors, Benoît Desmeulles, est désormais aux commandes de la 11e brigade parachutiste, qu'il transmettra cet été à son successeur. Il rappelle les enjeux d'Orion pour l'Armée de Terre : «l'Armée de Terre engage 5 000 soldats et la totalité de l'échelon national d'urgence des troupes aéroportées, complétées par d'autres unités. Notre espace de manoeuvre est assez inédit, de Sète à Cahors, soit 300km de long sur 80 de large, durant trois semaines. On va pratiquer à l'échelle 1 une opération d'entrée en premier mêlant aéroporté et amphibie. Puis, après la saisie de l'aéroport de Castres, nous ferons mouvement à 150km au nord, vers Cahors. C'est un enchaînement de phases ambitieux avec des moyens conséquents: Orion est un exercice inédit combinant à grande échelle les moyens des trois armées, du cyber, de l'espace».
La brigade a aussi intégré cette dernière dimension, en prenant en compte aussi les horaires de passage des satellites classés adverses et éviter de s'exposer à leur vue, une démarche nouvelle. Elle pratiquera par contre de façon routinière les effets dans les champs immatériels, afin d'induire l'ennemi en erreur. Diffusion de bandes sonores de matériels totalement virtuels, usage de leurres visuels gonflables, tout est bon (ou presque) pour abuser l'ennemi, mais aussi répondre aux coups, avec, par exemple, l'usage de tracts (physiques ou numériques) ou de diffusions sonores pour arrimer la population locale aux actions militaires en cours.
Un tel engagement de moyens ne peut pas se faire sans un renseignement préalable et complet sur la zone de saut, ses abords. Le renseignement d'origine aérienne et spatiale est primordial, mais se décline aussi au sol, avec le largage, 24 h en amont du gros des troupes, d'équipes du groupement commando parachutiste (GCP) qui actualisent le renseignement. Juste avant le largage, elles peuvent neutraliser des capacités de défense ennemies présentes sur la zone. Leur largage à 4000m d'altitude et à une dizaine de kilomètres de l'objectif était prévu à 48h du jourJ, mais la météo en décidé autrement et les deux Casa 235 ont dû ramener leurs commandos à Toulouse. Une action de forces spéciales non identifiées a aussi neutralisé un système sol-air SA-18 simulé à proximité de Castres, sans quoi le largage massif sur la zone de saut n'aurait pas été possible.
Sous coordination aérienne d'un Awacs, les Atlas sont appuyés par des chasseurs durant leur infiltration jusqu'à l'objectif. La phase la plus vulnérable commence aux approches, puis durant le largage, à une altitude de 400m (les parachutes EPC sont qualifiés pour un saut à 250m minimum). Les parachutistes ne resteront sous voile qu'une minute à peine, comme l'explique le capitaine Thibault, qui commande la 3e compagnie du 8e RPIMa, chargée de saisir l'aéroport de Castres. «Nous sommes vulnérables durant notre descente, puis durant la phase de réarticulation», celle où les paras encore dispersés sur la zone de saut, se rassemblent vers un point déterminé à l'avance et signalé par un parachutiste porteur d'un drapeau jaune.
«Mais l'ennemi sera aussi désorganisé par notre saut durant cette phase». Confirmation, d'ailleurs, au moment du saut, quelques rafales sporadiques viendront accueillir la compagnie, mais sans pertes. La haute intensité est souvent synonyme de forte consommation de munitions «donc on emporte chacun un obus de 81mm dans notre sac, on sacrifie le peu de confort qu'il nous restait au profit de la puissance de feu. On dispose ainsi des deux lots de 24 obus des gaines collectives et 150 obus amenés par chaque para de la compagnie, médecin compris!». Cette procédure n'est pas propre à la haute intensité, mais en haute intensité, elle est incontournable, car un 81 mm bien manié peut faire du dégât dans les 5 700 m à la ronde. Et surtout dans les premières heures de l'assaut, les fantassins ne disposant que de missiles Eryx et MMP, en plus de ces mortiers. Leurs joint terminal attack controllers (JTAC, spécialistes du guidage des frappes aériennes) peuvent aussi mobiliser les chasseurs qu'on entend dans le ciel de Castres, en prélude au largage.
Le lendemain, le deuxième axe d'effort de l'entrée en premier commence dans l'Hérault, avec deux points d'entrée, dans le port de Sète et sur une cale dans la commune voisine de Frontignan. Deux porte-hélicoptères amphibies (PHA), le Mistral et le Tonnerre, ont été mobilisés par la Marine pour débarquer le plus rapidement possible les 700 hommes et 145 véhicules de la 6e brigade légère blindée (BLB) de Nîmes. Mais tout a commencé une semaine plus tôt, par une série de combats navals intenses, bien plus au sud. Le Charles de Gaulle a mobilisé les Rafale et les Hawkeye de son groupe aérien pour frapper très à l'ouest, alors qu'il n'était encore positionné qu'à hauteur de la Crète.
Les frégates ont lancé leurs missiles anti-navires, en étudiant très parcimonieusement chaque frappe. En parallèle, les forces aériennes ont commencé l'attrition sur les défenses de la zone de Sète, batteries sol-air et défenses côtières, pour s'éviter toute mauvaise surprise lors de la phase amphibie. Le Crotale NG qui était positionné à Frontignan a été annihilé par une frappe de missiles la veille du jour J. Pour le Mamba, positionné dans l'arrière-pays sur un point haut, le massif de la Gardiole, c'est une opération nocturne des forces spéciales qui a permis de positionner un implant électronique sur une liaison filaire entre le radar GM200 et le centre de management de la défense 3D (CMD3D).
La veille du jour J, les artilleurs sol-air se sont retrouvés avec des écrans saturés, sans pouvoir savoir quels échos adverses étaient réels ou pas ! La même nuit, une opération héliportée (OHP) a permis d'infiltrer le groupe d'aide à l'engagement amphibie (GAEA) dans le même massif. Deux Caïman, soutenus par deux Tigre, ont quitté le PHA Mistral pour déposer une cinquantaine de commandos et le matériel leur permettant d'observer et d'intercepter les masses adverses qui sont venues, comme prévu, de la région de Montpellier, plus au nord. Le GAEA a aussi guidé des frappes aériennes sur des blindés ennemis.
Cette OHP a pu être réalisée in extremis, alors que la météo avait commencé à se détériorer, en mer, obligeant les PHA à se rapprocher plus que prévu de la côte. Dès le samedi 18 h, les «forces avancées» comprenant les plongeurs démineurs, les spécialistes de la reconnaissance des plages de la flottille amphibie, ainsi que des fusiliers marins et des commandos marine ont quitté leurs navires, au large, pour préparer le débarquement. À 22 h, sur la plage de Frontignan, les experts ont décidé d'abandonner le projet initial d'amener le flot de troupes sur une plage, au gradient insuffisant.
Avec les complications météo, «l'heure du débarquement a été avancée, détaille le général Éric Ozanne, commandant la 6e brigade légère blindée, on a exploité un créneau entre 4h du matin et midi. D'habitude, il y a toujours des aléas mais cette fois, on a pu aller plus vite que prévu». Au final, toutes les forces combattantes ont pu être débarquées à temps, seul l'échelon de soutien a dû patienter au lendemain. «Mais les troupes avaient débarqué avec une autonomie de quatre jours en vivres et en munitions, donc cela n'a pas vraiment posé problème», relativise le commandant de la 6e BLB.
Ce 26 février, alors que la 6e BLB débarquait, les forces navales et terrestres ont pu bénéficier de créneaux de Mirage 2000D et de Rafale (Air et Marine) en appui aérien rapproché et pour des attaques dans la profondeur, avec des Rafale Air pour tenir la suprématie aérienne. Du côté des capteurs spécialisés, la Marine a engagé un ATL2 et un Hawkeye, l'Armée de l'Air et de l'Espace, un AWACS, un drone Reaper, avec au moins un avion de renseignement Vador et une patrouille de Mirage 2000D dotés d'un pod ASTAC, pour éclairer l'ordre de bataille électromagnétique.
Les armées ont profité d'Orion pour tester des matériels fournis par les industriels, mais aussi adapter leurs tactiques, comme on l'a vu avec la neutralisation non cinétique du Mamba de Sète. La Marine a, par exemple, testé un drone sous-marin pour tenter de détecter un sous-marin adverse. Elle a aussi utilisé du Li-fi à bord de certains navires, et l'Armée de Terre doit également l'utiliser dans son PC, pour la prochaine phase dynamique d'Orion, dans les camps de Champagne, à partir d'avril.
La Marine a aussi utilisé en grandeur réelle et «avec des résultats concordants» la liaison 22 (L22) cryptée qui se déploie progressivement sur certains navires et aéronefs pour remplacer la L11, qui sera bientôt obsolescente. Elle offre bien plus de débit et encore plus de sécurité, avec un cryptage renforcé. Quatre frégates multi-missions (Bretagne, Provence, Alsace, Lorraine) et un patrouilleur de haute mer (une classe de navires qui sera pourtant retirée du service dans deux ans ) ont pu la mettre en oeuvre, ainsi qu'un hélicoptère Panther du CEPA10S, qui l'expérimente (le premier des trois avions-radar E-2C Hawkeye doit être équipé en fin d'année).
Mais pas les porte-hélicoptères amphibies, dont le Tonnerre, qui porte l'état-major embarqué de la composante navale : il leur faudra attendre 2024-2025. Le cerveau de la force navale a donc dû utiliser l'existant, SATCOM ou L11 pour pousser ses consignes vers ces unités déjà raccordées au monde moderne. Le porte-avions Charles de Gaulle doit, lui, être équipé d'ici la fin de l'année, dans le cadre d'un arrêt technique de six mois.
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