Alors que les intérêts français en Asie Pacifique apparaissent menacés par la montée en puissance d'acteurs locaux, l'Armée de l'Air et de l'Espace revoit sa stratégie régionale et exploite à fonds la carte du Rafale dans sa politique d'influence.
Vaste région géopolitique englobant les océans Pacifique et Indien, l’Indo-Pacifique est un espace maritime immense de 233 millions de km2. Pour la France, cette zone représente des attributs de puissance singuliers. À travers l’exercice de la souveraineté dans les collectivités françaises de la zone (CFIP[1]), 93% des 11 millions de km2 de sa zone économique exclusive (ZEE) se situent dans la région. C’est donc légitimement l’élément marin qui prévaut dans l’inconscient collectif quand on évoque l’espace Indo-Pacifique français. Pourtant, le milieu aérien est aussi une composante fondamentale de la puissance multidimensionnelle française dans cette région. La capacité de projection permanente de moyens militaires aériens, les partenariats aéronautiques internationaux, les marchés à l’export civils et militaires, et les coopérations internationales des forces aériennes sont autant de secteurs clés que l’État cherche à valoriser dans le cadre de la stratégie Indo-Pacifique.
À cet égard, l’Armée de l’Air et de l’Espace (AAE) contribue pleinement à l’affirmation de la puissance française en Indo-Pacifique. Compte tenu des distances géographiques importantes entre la métropole et les forces prépositionnées françaises dans la région, elle est l’outil indispensable qui conditionne de nombreux déploiements militaires. À l’heure où les relations internationales et le contexte géopolitique de la France sont en pleine reconfiguration, la région Indo-Pacifique apparait comme le nouvel espace stratégique de la puissance aérienne française.
L’AAE participe à la mise en œuvre des axes de la stratégie de défense en Indo-Pacifique grâce aux forces aériennes déployées en permanence dans la zone. Dans les CFIP, le Détachement air 190 Tahiti-Faa’a, la base aérienne 186 Nouméa-Tontouta et la base aérienne 181 à Sainte-Marie de la Réunion, disposent de capacités modérées de transport intrathéâtre à partir d’avions tactiques et logistiques (6 Casa CN-235, deux dans chaque base) et de 3 hélicoptères Puma SA 330 en Nouvelle-Calédonie. Pour les forces de présence à l’étranger, la base aérienne 104 d’Al Dhafra aux Émirats arabes unis (EAU), héberge l’escadron de chasse 1/7 Provence avec six 6 avions-Rafale. Enfin la base aérienne 188 de Djibouti déploie quatre Mirages 2000-5F, un CASA CN-235, deux hélicoptères Puma et une section de défense sol-air avec des missiles Mistral.
L’AAE démontre régulièrement ses capacités opérationnelles depuis les points d’appui avec des moyens aériens prépositionnés. C’est notamment le cas lors d’exercices militaires internationaux et interarmées, simulant des scénarios de catastrophes naturelles, d’assistance humanitaire ou d’évacuations de ressortissants. Ce type d’ exercices sont notamment organisés tous les deux ans en Polynésie française (exercice Marara), en Nouvelle-Calédonie (exercice de Croix du Sud), et sur l’île de La Réunion (exercice Papangue). Les moyens aériens des forces armées sont également régulièrement mis à contribution pour effectuer des évacuations sanitaires (EVASAC), notamment entre Mayotte et La Réunion, à Wallis-et-Futuna, dans les archipels isolés de Polynésie française, mais aussi auprès des États insulaires océaniens quand ils en font la demande.Les aviateurs de l’AAE remplissent donc le large spectre des missions qui leur sont confiées, et ce malgré un manque de moyens plusieurs fois épinglé par diverses études. Ainsi, l’AAE est considérée comme la composante des forces prépositionnées la plus affaiblie par une étude de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Le retrait des avions C -160 Transall a été compensé par des C-235 CASA, qui disposent d’une capacité d’emport bien moindre (6 tonnes pour le Transall contre 1,5 pour le Casa). La même étude de l’IFRI pointe un déficit en termes de rendement et de disponibilité opérationnelle des hélicoptères Puma, ainsi qu’une « dette d’infrastructure » pour les emprises ultramarines (absence de système de défense).
Ce déficit capacitaire a été pris en compte par la nouvelle Loi de programmation militaire ( LPM) 2024-30, qui précise que les emprises outre-mer seront dotées à terme de cinq A400M Atlas (dont un en permanence dans l’océan Indien) et de 6 hélicoptères de manœuvre. Un investissement à hauteur de 800 millions d’euros au profit des infrastructures a également été annoncé. Ses investissements conséquents démontrent une prise de conscience de la part de l’exécutif de l’importance stratégique des territoires ultramarins en général, particulièrement les CFIP.
L’Indo-Pacifique est devenue en l’espace de quelques années, un nouveau centre de tensions géopolitiques mondiales, théâtre d’une rivalité sino-américaine croissante. Pour légitimer son statut de puissance riveraine, la France y déploie une diplomatie multimodale : représentation diplomatique dans quasi tous les pays qui bordent l’Indo-Pacifique, une influence culturelle à travers la pratique de la francophonie, une diplomatie scientifique proactive, des aides au développement et un réseau économique très développé. Outre son soft power, son réseau de points d’appui militaires quadrillant l’Indo-Pacifique et sa capacité de projection permanente sur l’ensemble de la zone sont gage de crédibilité. Et dans ce domaine, l’AAE a opéré un véritable tournant en multipliant les missions dans la région.
Depuis plus d'une décennie, les projections militaires aériennes françaises ont connu une évolution considérable grâce à l'engagement combiné des avions-Rafale/A 330-MRTT/A400M-Atlas, permettant le ravitaillement en vol et la projection à longue distance d’hommes et de matériel en peu de temps. Ces déploiements ponctuels ont pour objectif de démontrer la capacité de projection permanente réactive des forces et de garantir la liberté d’action de la France dans les espaces communs. Ainsi en 2021, l’AAE a conduit un exercice baptisé Skyros , en ralliant Djibouti, l’Inde, les EAU puis l’Égypte (14 000 km). Sept avions, dont quatre Rafales, ont été mobilisés. La même année, mais à l’autre extrémité de l’Indo-Pacifique, la mission Heifara 2021 a mobilisé trois Rafales, deux avions A330 MRTT et deux A400M Atlas pour réaliser une projection de puissance vers la Polynésie française en moins de 40 heures depuis la métropole (17 000km). Plus récemment, la mission PEGASE 2023 fut la plus importante et la plus ambitieuse jamais entreprise par l'armée française dans l'Indo-Pacifique.
Du 25 juin au 3 août, l’AAE a déployé 19 avions, 320 aviateurs et 55 tonnes de fret dans l'Indo-Pacifique. Partant de la France métropolitaine, la mission comprenait 11 escales et 14 manœuvres opérationnelles avec plusieurs forces aériennes partenaires : les Émirats arabes unis, Singapour, la Malaisie, l'Indonésie, le Qatar, Djibouti, la Corée du Sud et le Japon. Les forces françaises ont ainsi participé à plusieurs exercices militaires internationaux, notamment Northern Edge et Talisman Saber, depuis l'île de Guam, un territoire sous souveraineté américaine. Le 10 juillet, en coopération avec la garde côtière américaine, un avion français A400M a même été impliqué dans une véritable mission de recherche et de sauvetage autour des îles Mariannes. Fin juillet, plusieurs avions ont également été déployés en Nouvelle-Calédonie concomitamment à la visite du Président Macron.
Ainsi, les missions de diplomatie aérienne telles que PEGASE crédibilisent et renforcent les objectifs stratégiques mis en œuvre par les autorités politiques françaises. Concrètement, l’AAE démontre aux yeux du monde, sa capacité à engager des avions de chasse Rafale à près de 20 000 kilomètres de leur base d'origine en 48 heures, en réalisant des opérations aériennes à grande échelle capables d'atteindre n'importe quel point de la région Indo-Pacifique en un minimum de temps.
En multipliant les projections militaires longues distances, les forces armées françaises soutiennent également l'exportation de matériels militaires (SOUTEX). En 2022, la France est devenue le troisième exportateur d’armement au monde, et serait même en passe de ravir la seconde place à la Russie. À cet égard, la région Indo-Pacifique constitue un marché privilégié pour le BITD français. Sur la période 2010-2022, 8 des 10 plus importateurs d’armements français sont des pays de la zone Indo-Pacifique: l’Inde, l’Égypte, les EAU, l’Arabie Saoudite et le Qatar arrivant largement en tête.
Il n'est donc pas surprenant que la plupart des escales de PEGASE aient été effectuées dans des pays qui achètent ou prévoient d'acheter des équipements français (le Qatar, les Émirats arabes unis, Singapour, l'Indonésie et la Malaisie). Symbole de l’excellence industrielle française, et grand succès à l’exportation, le Rafale, avion-omnirôle développé par le constructeur français Dassault Aviation, illustre parfaitement le soutien à l’exportation- des armées en appui de la stratégie diplomatique de l’État. D’aucuns parlent même du Rafale comme une arme diplomatique …
Depuis le premier contrat à l’export en Égypte en 2015, le Rafale est un véritable succès commercial, près de 490 appareils seront en services à l’horizon 2028 (210 dans les armées françaises et 280 à l’étranger). Parmi les récents succès on peut citer, la commande de 80 aéronefs par les EAU en décembre 2021 pour un montant de 15 milliards d’euros, l’Indonésie avec l’acquisition de 42 appareils en 2022, et enfin l’Inde en 2023 qui a confirmé l’achat de 26 avions-Rafale marine (qui s’ajoutent aux 36 avions de chasse livrés par la France entre 2020 et 2022).
Vendre des armes n’est évidemment pas un acte neutre, dénué de tout intérêt politique, particulièrement quand il s’agit d’avions de chasse.
Outre la diffusion de standard d’entrainement et de mise en application doctrinale, les transferts de technologies deviennent un calcul géopolitique et une stratégie à long terme. À l’heure où la rivalité sino-américaine structure et polarise l’ensemble des relations internationales en Indo-Pacifique, la France, une puissance nucléaire, membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, et dernier État de l'UE encore souverain dans la zone, cherche à se positionner comme une puissance d’équilibre. Emmanuel Macron propose même une « troisième voie française dans l’Indo-Pacifique ». Assurément, les récents succès commerciaux du Rafale démontrent que de nombreux pays de la zone préfèrent recourir à un matériel français plutôt que chinois, américain ou russe. À cet égard, l’AAE constitue un outil diplomatique de choix et contribue pleinement à la stratégie Indo-Pacifique mise en œuvre par l’État.
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L'auteur : Dr Paco Milhiet, docteur en géopolitique de l’Institut Catholique de Paris et de l’Université de la Polynésie française. Ancien officier d’active de l’Armée de l’Air et de l’Espace, il est actuellement en poste à Singapour au sein de la S. Rajaratnam School of International studies (RSIS), dans le cadre d’un contrat postdoctoral. Auteur du livre « Géopolitique de l’Indo-Pacifique : enjeux internationaux, perspectives françaises » aux éditions le Cavalier Bleu
Alors que les intérêts français en Asie Pacifique apparaissent menacés par la montée en puissance d'acteurs locaux, l'Armée de l'Air et de l'Espace revoit sa stratégie régionale et exploite à fonds la carte du Rafale dans sa politique d'influence.
Vaste région géopolitique englobant les océans Pacifique et Indien, l’Indo-Pacifique est un espace maritime immense de 233 millions de km2. Pour la France, cette zone représente des attributs de puissance singuliers. À travers l’exercice de la souveraineté dans les collectivités françaises de la zone (CFIP[1]), 93% des 11 millions de km2 de sa zone économique exclusive (ZEE) se situent dans la région. C’est donc légitimement l’élément marin qui prévaut dans l’inconscient collectif quand on évoque l’espace Indo-Pacifique français. Pourtant, le milieu aérien est aussi une composante fondamentale de la puissance multidimensionnelle française dans cette région. La capacité de projection permanente de moyens militaires aériens, les partenariats aéronautiques internationaux, les marchés à l’export civils et militaires, et les coopérations internationales des forces aériennes sont autant de secteurs clés que l’État cherche à valoriser dans le cadre de la stratégie Indo-Pacifique.
À cet égard, l’Armée de l’Air et de l’Espace (AAE) contribue pleinement à l’affirmation de la puissance française en Indo-Pacifique. Compte tenu des distances géographiques importantes entre la métropole et les forces prépositionnées françaises dans la région, elle est l’outil indispensable qui conditionne de nombreux déploiements militaires. À l’heure où les relations internationales et le contexte géopolitique de la France sont en pleine reconfiguration, la région Indo-Pacifique apparait comme le nouvel espace stratégique de la puissance aérienne française.
L’AAE participe à la mise en œuvre des axes de la stratégie de défense en Indo-Pacifique grâce aux forces aériennes déployées en permanence dans la zone. Dans les CFIP, le Détachement air 190 Tahiti-Faa’a, la base aérienne 186 Nouméa-Tontouta et la base aérienne 181 à Sainte-Marie de la Réunion, disposent de capacités modérées de transport intrathéâtre à partir d’avions tactiques et logistiques (6 Casa CN-235, deux dans chaque base) et de 3 hélicoptères Puma SA 330 en Nouvelle-Calédonie. Pour les forces de présence à l’étranger, la base aérienne 104 d’Al Dhafra aux Émirats arabes unis (EAU), héberge l’escadron de chasse 1/7 Provence avec six 6 avions-Rafale. Enfin la base aérienne 188 de Djibouti déploie quatre Mirages 2000-5F, un CASA CN-235, deux hélicoptères Puma et une section de défense sol-air avec des missiles Mistral.
L’AAE démontre régulièrement ses capacités opérationnelles depuis les points d’appui avec des moyens aériens prépositionnés. C’est notamment le cas lors d’exercices militaires internationaux et interarmées, simulant des scénarios de catastrophes naturelles, d’assistance humanitaire ou d’évacuations de ressortissants. Ce type d’ exercices sont notamment organisés tous les deux ans en Polynésie française (exercice Marara), en Nouvelle-Calédonie (exercice de Croix du Sud), et sur l’île de La Réunion (exercice Papangue). Les moyens aériens des forces armées sont également régulièrement mis à contribution pour effectuer des évacuations sanitaires (EVASAC), notamment entre Mayotte et La Réunion, à Wallis-et-Futuna, dans les archipels isolés de Polynésie française, mais aussi auprès des États insulaires océaniens quand ils en font la demande.Les aviateurs de l’AAE remplissent donc le large spectre des missions qui leur sont confiées, et ce malgré un manque de moyens plusieurs fois épinglé par diverses études. Ainsi, l’AAE est considérée comme la composante des forces prépositionnées la plus affaiblie par une étude de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Le retrait des avions C -160 Transall a été compensé par des C-235 CASA, qui disposent d’une capacité d’emport bien moindre (6 tonnes pour le Transall contre 1,5 pour le Casa). La même étude de l’IFRI pointe un déficit en termes de rendement et de disponibilité opérationnelle des hélicoptères Puma, ainsi qu’une « dette d’infrastructure » pour les emprises ultramarines (absence de système de défense).
Ce déficit capacitaire a été pris en compte par la nouvelle Loi de programmation militaire ( LPM) 2024-30, qui précise que les emprises outre-mer seront dotées à terme de cinq A400M Atlas (dont un en permanence dans l’océan Indien) et de 6 hélicoptères de manœuvre. Un investissement à hauteur de 800 millions d’euros au profit des infrastructures a également été annoncé. Ses investissements conséquents démontrent une prise de conscience de la part de l’exécutif de l’importance stratégique des territoires ultramarins en général, particulièrement les CFIP.
L’Indo-Pacifique est devenue en l’espace de quelques années, un nouveau centre de tensions géopolitiques mondiales, théâtre d’une rivalité sino-américaine croissante. Pour légitimer son statut de puissance riveraine, la France y déploie une diplomatie multimodale : représentation diplomatique dans quasi tous les pays qui bordent l’Indo-Pacifique, une influence culturelle à travers la pratique de la francophonie, une diplomatie scientifique proactive, des aides au développement et un réseau économique très développé. Outre son soft power, son réseau de points d’appui militaires quadrillant l’Indo-Pacifique et sa capacité de projection permanente sur l’ensemble de la zone sont gage de crédibilité. Et dans ce domaine, l’AAE a opéré un véritable tournant en multipliant les missions dans la région.
Depuis plus d'une décennie, les projections militaires aériennes françaises ont connu une évolution considérable grâce à l'engagement combiné des avions-Rafale/A 330-MRTT/A400M-Atlas, permettant le ravitaillement en vol et la projection à longue distance d’hommes et de matériel en peu de temps. Ces déploiements ponctuels ont pour objectif de démontrer la capacité de projection permanente réactive des forces et de garantir la liberté d’action de la France dans les espaces communs. Ainsi en 2021, l’AAE a conduit un exercice baptisé Skyros , en ralliant Djibouti, l’Inde, les EAU puis l’Égypte (14 000 km). Sept avions, dont quatre Rafales, ont été mobilisés. La même année, mais à l’autre extrémité de l’Indo-Pacifique, la mission Heifara 2021 a mobilisé trois Rafales, deux avions A330 MRTT et deux A400M Atlas pour réaliser une projection de puissance vers la Polynésie française en moins de 40 heures depuis la métropole (17 000km). Plus récemment, la mission PEGASE 2023 fut la plus importante et la plus ambitieuse jamais entreprise par l'armée française dans l'Indo-Pacifique.
Du 25 juin au 3 août, l’AAE a déployé 19 avions, 320 aviateurs et 55 tonnes de fret dans l'Indo-Pacifique. Partant de la France métropolitaine, la mission comprenait 11 escales et 14 manœuvres opérationnelles avec plusieurs forces aériennes partenaires : les Émirats arabes unis, Singapour, la Malaisie, l'Indonésie, le Qatar, Djibouti, la Corée du Sud et le Japon. Les forces françaises ont ainsi participé à plusieurs exercices militaires internationaux, notamment Northern Edge et Talisman Saber, depuis l'île de Guam, un territoire sous souveraineté américaine. Le 10 juillet, en coopération avec la garde côtière américaine, un avion français A400M a même été impliqué dans une véritable mission de recherche et de sauvetage autour des îles Mariannes. Fin juillet, plusieurs avions ont également été déployés en Nouvelle-Calédonie concomitamment à la visite du Président Macron.
Ainsi, les missions de diplomatie aérienne telles que PEGASE crédibilisent et renforcent les objectifs stratégiques mis en œuvre par les autorités politiques françaises. Concrètement, l’AAE démontre aux yeux du monde, sa capacité à engager des avions de chasse Rafale à près de 20 000 kilomètres de leur base d'origine en 48 heures, en réalisant des opérations aériennes à grande échelle capables d'atteindre n'importe quel point de la région Indo-Pacifique en un minimum de temps.
En multipliant les projections militaires longues distances, les forces armées françaises soutiennent également l'exportation de matériels militaires (SOUTEX). En 2022, la France est devenue le troisième exportateur d’armement au monde, et serait même en passe de ravir la seconde place à la Russie. À cet égard, la région Indo-Pacifique constitue un marché privilégié pour le BITD français. Sur la période 2010-2022, 8 des 10 plus importateurs d’armements français sont des pays de la zone Indo-Pacifique: l’Inde, l’Égypte, les EAU, l’Arabie Saoudite et le Qatar arrivant largement en tête.
Il n'est donc pas surprenant que la plupart des escales de PEGASE aient été effectuées dans des pays qui achètent ou prévoient d'acheter des équipements français (le Qatar, les Émirats arabes unis, Singapour, l'Indonésie et la Malaisie). Symbole de l’excellence industrielle française, et grand succès à l’exportation, le Rafale, avion-omnirôle développé par le constructeur français Dassault Aviation, illustre parfaitement le soutien à l’exportation- des armées en appui de la stratégie diplomatique de l’État. D’aucuns parlent même du Rafale comme une arme diplomatique …
Depuis le premier contrat à l’export en Égypte en 2015, le Rafale est un véritable succès commercial, près de 490 appareils seront en services à l’horizon 2028 (210 dans les armées françaises et 280 à l’étranger). Parmi les récents succès on peut citer, la commande de 80 aéronefs par les EAU en décembre 2021 pour un montant de 15 milliards d’euros, l’Indonésie avec l’acquisition de 42 appareils en 2022, et enfin l’Inde en 2023 qui a confirmé l’achat de 26 avions-Rafale marine (qui s’ajoutent aux 36 avions de chasse livrés par la France entre 2020 et 2022).
Vendre des armes n’est évidemment pas un acte neutre, dénué de tout intérêt politique, particulièrement quand il s’agit d’avions de chasse.
Outre la diffusion de standard d’entrainement et de mise en application doctrinale, les transferts de technologies deviennent un calcul géopolitique et une stratégie à long terme. À l’heure où la rivalité sino-américaine structure et polarise l’ensemble des relations internationales en Indo-Pacifique, la France, une puissance nucléaire, membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, et dernier État de l'UE encore souverain dans la zone, cherche à se positionner comme une puissance d’équilibre. Emmanuel Macron propose même une « troisième voie française dans l’Indo-Pacifique ». Assurément, les récents succès commerciaux du Rafale démontrent que de nombreux pays de la zone préfèrent recourir à un matériel français plutôt que chinois, américain ou russe. À cet égard, l’AAE constitue un outil diplomatique de choix et contribue pleinement à la stratégie Indo-Pacifique mise en œuvre par l’État.
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L'auteur : Dr Paco Milhiet, docteur en géopolitique de l’Institut Catholique de Paris et de l’Université de la Polynésie française. Ancien officier d’active de l’Armée de l’Air et de l’Espace, il est actuellement en poste à Singapour au sein de la S. Rajaratnam School of International studies (RSIS), dans le cadre d’un contrat postdoctoral. Auteur du livre « Géopolitique de l’Indo-Pacifique : enjeux internationaux, perspectives françaises » aux éditions le Cavalier Bleu
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