Thales quintuple sa capacité de production de roquettes de 70 mm à guidage à laser
Thales quintuple sa capacité de production de roquettes de 70 mm à guidage à laser
© Gaétan Powis

publié le 11 juillet 2024 à 18:35

2204 mots

Thales quintuple sa capacité de production de roquettes de 70 mm à guidage à laser

Avec une demande en constante augmentation, Thales Belgium a investi dans une nouvelle ligne de production pour ses roquettes de 70 mm à guidage laser. L’objectif visé est d’atteindre le cap des 5 000 roquettes produites l’année prochaine. Cette roquette peut être emportée par de nombreux systèmes aériens, terrestres ou encore navals et peut frapper une cible avec une précision inférieure au mètre.


Inauguration

Le 1er juillet, Ludivine Dedonder, ministre de la Défense belge, Hervé Dammann, Directeur général adjoint Systèmes Terrestres et Aériens, Thales et Alain Quevrin, directeur Thales Belgium, inauguraient une nouvelle ligne de production de roquettes à guidage laser FZ275 LGR (Laser Guided Rocket) sur le site Thales Belgium à Herstal (Liège, Belgique). Cette inauguration fait suite à une demande croissante pour l'industriel, sans compter qu’au niveau européen, le site d'Herstal est l'unique producteur de roquettes de 70 mm (standard OTAN). Précédemment, Thales Belgium produisait 1 000 roquettes FZ275 LGR chaque année et vise, à l’horizon 2025, le cap des 5 000 roquettes.

(g. à dr.) Alain Quevrin, Hervé Dammann et Ludivine Dedonder lors de l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes à guidage laser sur le site de Thales Belgium à Herstal (1er juillet 2024).
(g. à dr.) Alain Quevrin, Hervé Dammann et Ludivine Dedonder lors de l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes à guidage laser sur le site de Thales Belgium à Herstal (1er juillet 2024). © Gaétan Powis
(g. à dr.) Alain Quevrin, Hervé Dammann et Ludivine Dedonder lors de l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes à guidage laser sur le site de Thales Belgium à Herstal (1er juillet 2024).

Cette roquette dispose d’une portée de 7 kilomètres et ce, avec une précision inférieure au mètre. De fait, la FZ275 LGR permet de fournir aux troupes au sol une solution plus lointaine qu’un tir direct de canon et, à plus faible portée mais moins coûteuse et tout aussi précise qu’un missile. D’ailleurs, grâce à la désignation laser, la FZ275 LGR est capable de toucher un véhicule en mouvement (vitesse max de 100 km/h).

Sur le terrain, la roquette à guidage laser de 70 mm peut être tirée depuis différents moyens : avions, hélicoptères, navires, drones aériens mais aussi des véhicules terrestres, drones terrestres,… C’est ainsi que Thales Belgium coopère avec plusieurs industriels pour fournir des solutions diverses et variées, comme ce modèle réduit (ci-dessous) exposé à Herstal. Durant le salon du Bourget, une présentation vidéo avait été effectuée sur la combinaison d’un drone, ce dernier étant porteur d’un autre drone lance-roquette, capable de projeter la FZ275 LGR à plus de 120-130 kilomètres de son point de décollage.

Drone AIHMI-1X équipé d’une roquette de 70 mm à guidage laser FZ275 LGR.
Drone AIHMI-1X équipé d’une roquette de 70 mm à guidage laser FZ275 LGR. © Gaétan Powis
Drone AIHMI-1X équipé d’une roquette de 70 mm à guidage laser FZ275 LGR.

Une tête de guidage spéciale

Concrètement, la roquette de 70 mm de Thales peut effectuer de nombreuses missions, en fonction de la variante utilisée : FZ71 à charge explosive, FZ181 éclairante, FZ319 anti-véhicule,… Ces roquettes disposent toutes du même système de propulsion mais diffèrent au niveau de la tête de la roquette. Cependant, elles sont toutes non guidées, hormis la FZ275 LGR, intégrant une tête avec des ailettes de guidage et un capteur laser. Ce capteur est très important car, lors d’une frappe, il peut détecter une cible illuminée par un pointeur laser (pod d’un avion, jumelle d’un JTAC,…) et donc, se diriger sur sa cible avec précision.

Pour ce faire, la tête de guidage détecte le ciblage laser via un stack optique, fabriqué par Lambda-X. Juste derrière, se trouve un quatre quadrants, véritable rétine de la roquette, qui va envoyer les informations de directions de la roquette par rapport au pointeur laser vers la carte électronique. Celle-ci se présente sous la forme de plusieurs cercles dont le diamètre équivaut au diamètre interne de la roquette. Ces cercles sont reliés et mis l'un derrière l'autre (flex-rigide) dans la tête de la roquette, permettant d’économiser de la place. À noter qu'à elle seule, cette carte électronique intègre plus de 1 000 composants. La tête comprend également une centrale inertielle (technologie MEMS), capable de mesurer les trois axes d'accélération et les trois vitesses de rotations de la roquette.

Les informations acquises par le capteur infrarouge et la centrale inertielle sont alors transmises au calculateur. Si le capteur et la centrale inertielle peuvent être comparable à des yeux, le calculateur représente le cerveau de la roquette. Il va ainsi exécuter des algorithmes de guidage-pilotage :

  • guidage car il faut définir la trajectoire, avec la position de la roquette dans le ciel et la position de la cible illuminée
  • pilotage car il faut envoyer des informations aux canards pour diriger la roquette

L’alimentation de ces systèmes provient d’une pile thermique. Celle-ci est inerte jusqu'au tir de la roquette, ce choix permettant d’assurer une durée de vie de 10 ans pour chaque roquette. Inversement, une pile standard active aurait eu une durée de vie de seulement 1 an !

Composants de la tête de guidage laser d’une roquette FZ275 LGR : capteur infrarouge, centrale inertielle, pile thermique, carte électronique,…
Composants de la tête de guidage laser d’une roquette FZ275 LGR : capteur infrarouge, centrale inertielle, pile thermique, carte électronique,… © Gaétan Powis
Composants de la tête de guidage laser d’une roquette FZ275 LGR : capteur infrarouge, centrale inertielle, pile thermique, carte électronique,…

Une fois la roquette tirée, la pile est enclenchée suite à l'accélération de la roquette. Une réaction thermique est déclenchée, atteignant une température de 200 °C. Elle permet de fournir l'énergie nécessaire au bon fonctionnement des différents systèmes. L’énergie libérée est même supérieure au besoin ; avec une vitesse d'environ Mach 2 (soit 2 469 km/h), la durée de vol est de 4 secondes au minimum à 30 secondes en portée maximale. À noter qu’en plus des systèmes électroniques, la pile produit aussi l’énergie nécessaire aux quatre ailettes : lors de son vol, la roquette tourne sur elle-même (plusieurs tours par seconde). Dès lors, en plus de diriger la roquette dans la bonne direction, les ailettes doivent aussi prendre en compte la rotation de la roquette.

Enfin, une bague de configuration (Configuration and Communication Module, CCM) permet de lier la roquette avec le bon signal laser. Celui-ci est extrêmement important dans le cadre d'un combat où plusieurs cibles sont illuminées par différents pointeurs laser : il faut que la bonne munition se dirige vers sa cible malgré les différents lasers émis sur le champ de bataille, en ne prenant pas compte des autres pointeurs laser.

Une production sur deux sites

D'un point de vue plutôt industriel, chaque pièce produite chez les sous-traitants est testée et vérifiée avant leur envoi à Herstal. Des tests peuvent être à nouveau effectués au sein de Thales : près de 30 % des pièces arrivant sur le site sont à nouveau vérifiées aléatoirement. Par exemple, un robot équipé d'une caméra de haute précision analyse la base de la tête (encore non montée) avec une précision de 3 microns. Pour rappel, un cheveu humain est large de ‘seulement’ 70 microns ! L’assemblage est alors effectué en plusieurs parties et à la main, avec bien évidemment des vérifications à nouveau effectuées après chaque opération de montage.

Machine de mesure tri-dimensionnelle à 5 axes inspectant des têtes de guidage laser (non assemblées) avec une précision de 3 microns (diamètre d’un cheveu = 70 microns).
Machine de mesure tri-dimensionnelle à 5 axes inspectant des têtes de guidage laser (non assemblées) avec une précision de 3 microns (diamètre d’un cheveu = 70 microns). © Gaétan Powis
Machine de mesure tri-dimensionnelle à 5 axes inspectant des têtes de guidage laser (non assemblées) avec une précision de 3 microns (diamètre d’un cheveu = 70 microns).

La toute dernière étape de l’assemblage concerne la calibration et l'essai de toutes les têtes à guidage laser. Elle est effectuée au sein de trois bancs de calibration et d'essais. Ils permettent de calibrer les capteurs laser avec exactitude mais aussi de tester la tête, pendant 45 minutes. Les bancs peuvent aussi simuler un environnement grand froid (jusqu'à -40 °C) ou inversement, en chaleur intense 70 °C). Ces trois bancs permettent alors à Thales de pouvoir sortir de production une tête de guidage laser toutes les 15 minutes.

Cependant, cette étape ne concerne uniquement la tête de guidage. Suite à son implantation en zone urbaine, le site d’Herstal ne manipule aucun explosif ou comburant solide de roquette. Cette étape finale d’assemblage est effectuée non loin, au sein du fort d'Évegnée. C’est aussi là que les roquettes sont stockées avant leur envoi chez le client.

Un soutien envers les sous-traitants

Comme expliqué précédemment, Thales Belgium travaille avec plusieurs sous-traitants. Ceux-ci sont soutenus par les autorités belges, européennes ou encore Thales. Mais il est déjà arrivé que le soutien en question ne soit pas suffisant. Ce fut le cas pendant la crise du COVID : l'entreprise en charge de la fusée (fuze, le mécanisme enclenchant l'explosion de la charge), était tombée en faillite. Deux conséquences sont très vites apparues : la production devait continuer pour honorer les contrats et une personne capable d'assembler les fusées doit avoir suivi une formation de 1 à 1,5 an. Cette longue durée s’explique par le besoin de précision requis : il s’agit d’assembler une fusée de 80 pièces pour créer une fusée de seulement quelques centimètres de haute et de l’ordre de 2 cm de diamètre ! Dès lors, Thales a choisi de reprendre l'activité fuze en interne en embauchant les personnels de l'entreprise tombée en faillite.

L'exportation en ligne de mire

Cette nouvelle ligne de production de FZ275 LGR est clairement destinée à l’export au sein de l’OTAN mais aussi en dehors. Cette présence "grand export" a d'ailleurs été rappelée par Hervé Dammann et Ludivine Dedonder durant l’inauguration :

"Ces équipements de roquettes guidées et non-guidées, aujourd'hui produites à Herstal, sont vendues en Europe, sur le continent européen et d'une manière plus générale, à de nombreux clients internationaux, y compris le grand export à partir de la Belgique, dès lors que le gouvernement fédéral et la Région donne l'autorisation, selon les règles en vigueur." H. Dammann

Hervé Dammann, directeur général adjoint, Systèmes Terrestres et Aériens, Thales, durant l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes FZ275 LGR (1er juillet 2024).
Hervé Dammann, directeur général adjoint, Systèmes Terrestres et Aériens, Thales, durant l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes FZ275 LGR (1er juillet 2024). © Gaétan Powis
Hervé Dammann, directeur général adjoint, Systèmes Terrestres et Aériens, Thales, durant l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes FZ275 LGR (1er juillet 2024).

"L’agrandissement de la ligne de production de roquettes de 70 mm répond à une demande internationale en pleine expansion, ainsi qu’aux besoins de la Défense, en raison d'une situation sécuritaire mondiale préoccupante. Face aux défis géopolitiques actuels, cette initiative contribue à renforcer l'autonomie stratégique de la Belgique et à garantir la paix et la sécurité en Europe." L. Dedonder

Il faut rappeler qu’au niveau de la Défense belge, le soutien et la coopération avec Thales Belgium avait fait un pas en avant le 6 décembre 2023, lorsque la ministre de la Défense avait signé une lettre d’intention en vue de futurs coopérations, essais communs, soutien technique,… au fort d’Évegnée. L’ouverture de cette ligne de production est un exemple concret de cette coopération. Il faut d’ailleurs s’attendre à une future commande de ces roquettes sous la prochaine législature belge, la Force aérienne belge ayant commandé auprès d’Airbus Helicopter 15 hélicoptères de combat léger H145M.

Ludivine Dedonder, ministre de la Défense belge, lors de l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes FZ275 LGR (1er juillet 2024).
Ludivine Dedonder, ministre de la Défense belge, lors de l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes FZ275 LGR (1er juillet 2024). © Gaétan Powis
Ludivine Dedonder, ministre de la Défense belge, lors de l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes FZ275 LGR (1er juillet 2024).

Une volonté d’être encore plus présent à l’export

Au niveau historique, la roquette de 70 mm (FZ 70 mm) et sa version à guidage laser (FZ275 LGR) sont déjà intégrées sur de nombreuses plateformes. Au niveau voilures tournantes, la FZ 70 mm équipe les hélicoptères de combat Rooivalk AH-2 sud-africains (pod M159, choix effectué en 1995), les Tigre UHT allemands (pod FZ225, en 2005) et les Tigres HAD espagnols (en 2007) ou encore les HAL ALH indiens (en 2006, premier tir en 2016).

En 2010, la roquette à guidage laser FZ275 LGR est tirée pour la toute première fois sur le champ de tir de Bergen (Allemagne). Le tir est réussi, la cible de 3 mètres par 3 est touchée avec une précision d’un demi-mètre. Cette roquette est ensuite testée en 2015 sur le Rooivalk sud-africain.

L’année 2016 est une année charnière pour le site d’Herstal, avec la sélection de l’entreprise belge comme fournisseur de roquettes pour Airbus Helicopter : la totalité de la gamme HForce sera compatible pour tirer les roquettes de 70 mm de Thales. Des essais sont effectués l’année suivante en Hongrie (H145M équipé du pod FZ231) et en Suède (H145M, par grand froid).

En 2018, la FZ275 LGR est testée en Malaisie pendant une campagne de tir. Les roquettes ne sont pas tirées depuis des hélicoptères mais des avions de combat légers Hawk 208 et avions de combat multi-missions F/A-18D Hornet malaisiens.

En juin 2024, à l’occasion du salon Eurosatory, Thales Belgium et Adani Defence and Aerospace signent un protocole d’accord. L’objectif sera de pouvoir produire directement en Inde la FZ275 LGR et la FZ90 pour les ALH indiens mais aussi le plus récent LCH (Light Combat Helicopter).

Ces roquettes de 70 mm ne sont pas uniquement développées dans une optique air-sol. En 2019, Rheinmetall et Thales Belgium combinent le pod lance-roquettes FZ220 avec le drone de combat terrestre (UGV) Mission Master. En 2020, John Cockerill décide d’intégrer le pod LAU32 Mod.5 sur sa tourelle 3030.

Conclusion

En six mois, Thales Belgium a construit de toute pièce une chaine de montage capable de sortir une tête de roquette à guidage laser FZ275 LGR toutes les 15 minutes, avec un objectif annuel de 5 000 roquettes produites chaque année. Cette montée en puissance est stratégique car la situation sur le flanc est de l’OTAN a déclenché un réveil au sein des Armées européennes : il faut revenir à des armées de haute intensité, avec des stocks de munitions complets. L’augmentation de la demande ne concerne pas uniquement l’OTAN ou encore l’Europe au sens large : le grand export est aussi ciblé, avec, comme précisé précédemment, de nombreuses campagnes de tirs dans différents pays. L’intégration sur la HForce d’Airbus Helicopter assure aussi cette augmentation de la demande : chaque acquéreur de H125M, H145M ou H225M est un demandeur potentiel de roquettes de 70 mm. L’accord avec Adani Defence and Aerospace est également prometteur pour l’écosystème indien.

Roquette à guidage laser FZ275 LGR sortant d’un pod lance-roquettes FZ602.
Roquette à guidage laser FZ275 LGR sortant d’un pod lance-roquettes FZ602. © Gaétan Powis
Roquette à guidage laser FZ275 LGR sortant d’un pod lance-roquettes FZ602.

La FZ275 LGR présente aussi l’avantage de pouvoir frapper une cible avec grande précision, y compris une cible en mouvement… avec une seule et unique roquette de 70 mm. La guerre en Ukraine a montré l’utilisation de roquettes non-guidées depuis des hélicoptères ou avions de combat lors de tirs en Spray-and-Pray. Ces tirs permettent d’arroser une zone tout en gardant une certaine distance de sécurité par rapport à la cible. Cependant, ces tirs consomment de nombreuses roquettes… non guidées. L’utilisation d’une roquette à guidage laser offre la possibilité d’avoir 1 tir pour 1 coup au but. Alors bien évidemment, le JTAC ou l’appareil équipé d’un pod de désignation laser peut prendre des risques… mais cette guerre démontre aussi l’importance du drone sur ce champ de bataille : un drone aérien d’observation équipé d’un désignateur laser suffit ! D’ailleurs, la solution de l’avion ou l’hélicoptère n’est pas non plus nécessaire, Thales Belgium coopérant avec de nombreux industriels pour développer des drones aériens capables de lancer des roquettes FZ275 LGR. Au niveau terrestre, des coopérations existent aussi, avec par exemple le drone terrestre Mission Master de Rheinmetall. D’ailleurs, ce dernier peut représenter un appui important pour les troupes au sol : avec deux pods FZ220, il peut lancer jusqu’à 14 roquettes à guidage laser sur potentiellement 14 cibles différentes en une salve… si bien évidemment, 14 pointeurs laser sont disponibles !

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11/07/2024 18:35
2204 mots

Thales quintuple sa capacité de production de roquettes de 70 mm à guidage à laser

Avec une demande en constante augmentation, Thales Belgium a investi dans une nouvelle ligne de production pour ses roquettes de 70 mm à guidage laser. L’objectif visé est d’atteindre le cap des 5 000 roquettes produites l’année prochaine. Cette roquette peut être emportée par de nombreux systèmes aériens, terrestres ou encore navals et peut frapper une cible avec une précision inférieure au mètre.

Thales quintuple sa capacité de production de roquettes de 70 mm à guidage à laser
Thales quintuple sa capacité de production de roquettes de 70 mm à guidage à laser

Inauguration

Le 1er juillet, Ludivine Dedonder, ministre de la Défense belge, Hervé Dammann, Directeur général adjoint Systèmes Terrestres et Aériens, Thales et Alain Quevrin, directeur Thales Belgium, inauguraient une nouvelle ligne de production de roquettes à guidage laser FZ275 LGR (Laser Guided Rocket) sur le site Thales Belgium à Herstal (Liège, Belgique). Cette inauguration fait suite à une demande croissante pour l'industriel, sans compter qu’au niveau européen, le site d'Herstal est l'unique producteur de roquettes de 70 mm (standard OTAN). Précédemment, Thales Belgium produisait 1 000 roquettes FZ275 LGR chaque année et vise, à l’horizon 2025, le cap des 5 000 roquettes.

(g. à dr.) Alain Quevrin, Hervé Dammann et Ludivine Dedonder lors de l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes à guidage laser sur le site de Thales Belgium à Herstal (1er juillet 2024).
(g. à dr.) Alain Quevrin, Hervé Dammann et Ludivine Dedonder lors de l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes à guidage laser sur le site de Thales Belgium à Herstal (1er juillet 2024). © Gaétan Powis
(g. à dr.) Alain Quevrin, Hervé Dammann et Ludivine Dedonder lors de l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes à guidage laser sur le site de Thales Belgium à Herstal (1er juillet 2024).

Cette roquette dispose d’une portée de 7 kilomètres et ce, avec une précision inférieure au mètre. De fait, la FZ275 LGR permet de fournir aux troupes au sol une solution plus lointaine qu’un tir direct de canon et, à plus faible portée mais moins coûteuse et tout aussi précise qu’un missile. D’ailleurs, grâce à la désignation laser, la FZ275 LGR est capable de toucher un véhicule en mouvement (vitesse max de 100 km/h).

Sur le terrain, la roquette à guidage laser de 70 mm peut être tirée depuis différents moyens : avions, hélicoptères, navires, drones aériens mais aussi des véhicules terrestres, drones terrestres,… C’est ainsi que Thales Belgium coopère avec plusieurs industriels pour fournir des solutions diverses et variées, comme ce modèle réduit (ci-dessous) exposé à Herstal. Durant le salon du Bourget, une présentation vidéo avait été effectuée sur la combinaison d’un drone, ce dernier étant porteur d’un autre drone lance-roquette, capable de projeter la FZ275 LGR à plus de 120-130 kilomètres de son point de décollage.

Drone AIHMI-1X équipé d’une roquette de 70 mm à guidage laser FZ275 LGR.
Drone AIHMI-1X équipé d’une roquette de 70 mm à guidage laser FZ275 LGR. © Gaétan Powis
Drone AIHMI-1X équipé d’une roquette de 70 mm à guidage laser FZ275 LGR.

Une tête de guidage spéciale

Concrètement, la roquette de 70 mm de Thales peut effectuer de nombreuses missions, en fonction de la variante utilisée : FZ71 à charge explosive, FZ181 éclairante, FZ319 anti-véhicule,… Ces roquettes disposent toutes du même système de propulsion mais diffèrent au niveau de la tête de la roquette. Cependant, elles sont toutes non guidées, hormis la FZ275 LGR, intégrant une tête avec des ailettes de guidage et un capteur laser. Ce capteur est très important car, lors d’une frappe, il peut détecter une cible illuminée par un pointeur laser (pod d’un avion, jumelle d’un JTAC,…) et donc, se diriger sur sa cible avec précision.

Pour ce faire, la tête de guidage détecte le ciblage laser via un stack optique, fabriqué par Lambda-X. Juste derrière, se trouve un quatre quadrants, véritable rétine de la roquette, qui va envoyer les informations de directions de la roquette par rapport au pointeur laser vers la carte électronique. Celle-ci se présente sous la forme de plusieurs cercles dont le diamètre équivaut au diamètre interne de la roquette. Ces cercles sont reliés et mis l'un derrière l'autre (flex-rigide) dans la tête de la roquette, permettant d’économiser de la place. À noter qu'à elle seule, cette carte électronique intègre plus de 1 000 composants. La tête comprend également une centrale inertielle (technologie MEMS), capable de mesurer les trois axes d'accélération et les trois vitesses de rotations de la roquette.

Les informations acquises par le capteur infrarouge et la centrale inertielle sont alors transmises au calculateur. Si le capteur et la centrale inertielle peuvent être comparable à des yeux, le calculateur représente le cerveau de la roquette. Il va ainsi exécuter des algorithmes de guidage-pilotage :

  • guidage car il faut définir la trajectoire, avec la position de la roquette dans le ciel et la position de la cible illuminée
  • pilotage car il faut envoyer des informations aux canards pour diriger la roquette

L’alimentation de ces systèmes provient d’une pile thermique. Celle-ci est inerte jusqu'au tir de la roquette, ce choix permettant d’assurer une durée de vie de 10 ans pour chaque roquette. Inversement, une pile standard active aurait eu une durée de vie de seulement 1 an !

Composants de la tête de guidage laser d’une roquette FZ275 LGR : capteur infrarouge, centrale inertielle, pile thermique, carte électronique,…
Composants de la tête de guidage laser d’une roquette FZ275 LGR : capteur infrarouge, centrale inertielle, pile thermique, carte électronique,… © Gaétan Powis
Composants de la tête de guidage laser d’une roquette FZ275 LGR : capteur infrarouge, centrale inertielle, pile thermique, carte électronique,…

Une fois la roquette tirée, la pile est enclenchée suite à l'accélération de la roquette. Une réaction thermique est déclenchée, atteignant une température de 200 °C. Elle permet de fournir l'énergie nécessaire au bon fonctionnement des différents systèmes. L’énergie libérée est même supérieure au besoin ; avec une vitesse d'environ Mach 2 (soit 2 469 km/h), la durée de vol est de 4 secondes au minimum à 30 secondes en portée maximale. À noter qu’en plus des systèmes électroniques, la pile produit aussi l’énergie nécessaire aux quatre ailettes : lors de son vol, la roquette tourne sur elle-même (plusieurs tours par seconde). Dès lors, en plus de diriger la roquette dans la bonne direction, les ailettes doivent aussi prendre en compte la rotation de la roquette.

Enfin, une bague de configuration (Configuration and Communication Module, CCM) permet de lier la roquette avec le bon signal laser. Celui-ci est extrêmement important dans le cadre d'un combat où plusieurs cibles sont illuminées par différents pointeurs laser : il faut que la bonne munition se dirige vers sa cible malgré les différents lasers émis sur le champ de bataille, en ne prenant pas compte des autres pointeurs laser.

Une production sur deux sites

D'un point de vue plutôt industriel, chaque pièce produite chez les sous-traitants est testée et vérifiée avant leur envoi à Herstal. Des tests peuvent être à nouveau effectués au sein de Thales : près de 30 % des pièces arrivant sur le site sont à nouveau vérifiées aléatoirement. Par exemple, un robot équipé d'une caméra de haute précision analyse la base de la tête (encore non montée) avec une précision de 3 microns. Pour rappel, un cheveu humain est large de ‘seulement’ 70 microns ! L’assemblage est alors effectué en plusieurs parties et à la main, avec bien évidemment des vérifications à nouveau effectuées après chaque opération de montage.

Machine de mesure tri-dimensionnelle à 5 axes inspectant des têtes de guidage laser (non assemblées) avec une précision de 3 microns (diamètre d’un cheveu = 70 microns).
Machine de mesure tri-dimensionnelle à 5 axes inspectant des têtes de guidage laser (non assemblées) avec une précision de 3 microns (diamètre d’un cheveu = 70 microns). © Gaétan Powis
Machine de mesure tri-dimensionnelle à 5 axes inspectant des têtes de guidage laser (non assemblées) avec une précision de 3 microns (diamètre d’un cheveu = 70 microns).

La toute dernière étape de l’assemblage concerne la calibration et l'essai de toutes les têtes à guidage laser. Elle est effectuée au sein de trois bancs de calibration et d'essais. Ils permettent de calibrer les capteurs laser avec exactitude mais aussi de tester la tête, pendant 45 minutes. Les bancs peuvent aussi simuler un environnement grand froid (jusqu'à -40 °C) ou inversement, en chaleur intense 70 °C). Ces trois bancs permettent alors à Thales de pouvoir sortir de production une tête de guidage laser toutes les 15 minutes.

Cependant, cette étape ne concerne uniquement la tête de guidage. Suite à son implantation en zone urbaine, le site d’Herstal ne manipule aucun explosif ou comburant solide de roquette. Cette étape finale d’assemblage est effectuée non loin, au sein du fort d'Évegnée. C’est aussi là que les roquettes sont stockées avant leur envoi chez le client.

Un soutien envers les sous-traitants

Comme expliqué précédemment, Thales Belgium travaille avec plusieurs sous-traitants. Ceux-ci sont soutenus par les autorités belges, européennes ou encore Thales. Mais il est déjà arrivé que le soutien en question ne soit pas suffisant. Ce fut le cas pendant la crise du COVID : l'entreprise en charge de la fusée (fuze, le mécanisme enclenchant l'explosion de la charge), était tombée en faillite. Deux conséquences sont très vites apparues : la production devait continuer pour honorer les contrats et une personne capable d'assembler les fusées doit avoir suivi une formation de 1 à 1,5 an. Cette longue durée s’explique par le besoin de précision requis : il s’agit d’assembler une fusée de 80 pièces pour créer une fusée de seulement quelques centimètres de haute et de l’ordre de 2 cm de diamètre ! Dès lors, Thales a choisi de reprendre l'activité fuze en interne en embauchant les personnels de l'entreprise tombée en faillite.

L'exportation en ligne de mire

Cette nouvelle ligne de production de FZ275 LGR est clairement destinée à l’export au sein de l’OTAN mais aussi en dehors. Cette présence "grand export" a d'ailleurs été rappelée par Hervé Dammann et Ludivine Dedonder durant l’inauguration :

"Ces équipements de roquettes guidées et non-guidées, aujourd'hui produites à Herstal, sont vendues en Europe, sur le continent européen et d'une manière plus générale, à de nombreux clients internationaux, y compris le grand export à partir de la Belgique, dès lors que le gouvernement fédéral et la Région donne l'autorisation, selon les règles en vigueur." H. Dammann

Hervé Dammann, directeur général adjoint, Systèmes Terrestres et Aériens, Thales, durant l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes FZ275 LGR (1er juillet 2024).
Hervé Dammann, directeur général adjoint, Systèmes Terrestres et Aériens, Thales, durant l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes FZ275 LGR (1er juillet 2024). © Gaétan Powis
Hervé Dammann, directeur général adjoint, Systèmes Terrestres et Aériens, Thales, durant l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes FZ275 LGR (1er juillet 2024).

"L’agrandissement de la ligne de production de roquettes de 70 mm répond à une demande internationale en pleine expansion, ainsi qu’aux besoins de la Défense, en raison d'une situation sécuritaire mondiale préoccupante. Face aux défis géopolitiques actuels, cette initiative contribue à renforcer l'autonomie stratégique de la Belgique et à garantir la paix et la sécurité en Europe." L. Dedonder

Il faut rappeler qu’au niveau de la Défense belge, le soutien et la coopération avec Thales Belgium avait fait un pas en avant le 6 décembre 2023, lorsque la ministre de la Défense avait signé une lettre d’intention en vue de futurs coopérations, essais communs, soutien technique,… au fort d’Évegnée. L’ouverture de cette ligne de production est un exemple concret de cette coopération. Il faut d’ailleurs s’attendre à une future commande de ces roquettes sous la prochaine législature belge, la Force aérienne belge ayant commandé auprès d’Airbus Helicopter 15 hélicoptères de combat léger H145M.

Ludivine Dedonder, ministre de la Défense belge, lors de l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes FZ275 LGR (1er juillet 2024).
Ludivine Dedonder, ministre de la Défense belge, lors de l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes FZ275 LGR (1er juillet 2024). © Gaétan Powis
Ludivine Dedonder, ministre de la Défense belge, lors de l’inauguration de la nouvelle ligne de production de roquettes FZ275 LGR (1er juillet 2024).

Une volonté d’être encore plus présent à l’export

Au niveau historique, la roquette de 70 mm (FZ 70 mm) et sa version à guidage laser (FZ275 LGR) sont déjà intégrées sur de nombreuses plateformes. Au niveau voilures tournantes, la FZ 70 mm équipe les hélicoptères de combat Rooivalk AH-2 sud-africains (pod M159, choix effectué en 1995), les Tigre UHT allemands (pod FZ225, en 2005) et les Tigres HAD espagnols (en 2007) ou encore les HAL ALH indiens (en 2006, premier tir en 2016).

En 2010, la roquette à guidage laser FZ275 LGR est tirée pour la toute première fois sur le champ de tir de Bergen (Allemagne). Le tir est réussi, la cible de 3 mètres par 3 est touchée avec une précision d’un demi-mètre. Cette roquette est ensuite testée en 2015 sur le Rooivalk sud-africain.

L’année 2016 est une année charnière pour le site d’Herstal, avec la sélection de l’entreprise belge comme fournisseur de roquettes pour Airbus Helicopter : la totalité de la gamme HForce sera compatible pour tirer les roquettes de 70 mm de Thales. Des essais sont effectués l’année suivante en Hongrie (H145M équipé du pod FZ231) et en Suède (H145M, par grand froid).

En 2018, la FZ275 LGR est testée en Malaisie pendant une campagne de tir. Les roquettes ne sont pas tirées depuis des hélicoptères mais des avions de combat légers Hawk 208 et avions de combat multi-missions F/A-18D Hornet malaisiens.

En juin 2024, à l’occasion du salon Eurosatory, Thales Belgium et Adani Defence and Aerospace signent un protocole d’accord. L’objectif sera de pouvoir produire directement en Inde la FZ275 LGR et la FZ90 pour les ALH indiens mais aussi le plus récent LCH (Light Combat Helicopter).

Ces roquettes de 70 mm ne sont pas uniquement développées dans une optique air-sol. En 2019, Rheinmetall et Thales Belgium combinent le pod lance-roquettes FZ220 avec le drone de combat terrestre (UGV) Mission Master. En 2020, John Cockerill décide d’intégrer le pod LAU32 Mod.5 sur sa tourelle 3030.

Conclusion

En six mois, Thales Belgium a construit de toute pièce une chaine de montage capable de sortir une tête de roquette à guidage laser FZ275 LGR toutes les 15 minutes, avec un objectif annuel de 5 000 roquettes produites chaque année. Cette montée en puissance est stratégique car la situation sur le flanc est de l’OTAN a déclenché un réveil au sein des Armées européennes : il faut revenir à des armées de haute intensité, avec des stocks de munitions complets. L’augmentation de la demande ne concerne pas uniquement l’OTAN ou encore l’Europe au sens large : le grand export est aussi ciblé, avec, comme précisé précédemment, de nombreuses campagnes de tirs dans différents pays. L’intégration sur la HForce d’Airbus Helicopter assure aussi cette augmentation de la demande : chaque acquéreur de H125M, H145M ou H225M est un demandeur potentiel de roquettes de 70 mm. L’accord avec Adani Defence and Aerospace est également prometteur pour l’écosystème indien.

Roquette à guidage laser FZ275 LGR sortant d’un pod lance-roquettes FZ602.
Roquette à guidage laser FZ275 LGR sortant d’un pod lance-roquettes FZ602. © Gaétan Powis
Roquette à guidage laser FZ275 LGR sortant d’un pod lance-roquettes FZ602.

La FZ275 LGR présente aussi l’avantage de pouvoir frapper une cible avec grande précision, y compris une cible en mouvement… avec une seule et unique roquette de 70 mm. La guerre en Ukraine a montré l’utilisation de roquettes non-guidées depuis des hélicoptères ou avions de combat lors de tirs en Spray-and-Pray. Ces tirs permettent d’arroser une zone tout en gardant une certaine distance de sécurité par rapport à la cible. Cependant, ces tirs consomment de nombreuses roquettes… non guidées. L’utilisation d’une roquette à guidage laser offre la possibilité d’avoir 1 tir pour 1 coup au but. Alors bien évidemment, le JTAC ou l’appareil équipé d’un pod de désignation laser peut prendre des risques… mais cette guerre démontre aussi l’importance du drone sur ce champ de bataille : un drone aérien d’observation équipé d’un désignateur laser suffit ! D’ailleurs, la solution de l’avion ou l’hélicoptère n’est pas non plus nécessaire, Thales Belgium coopérant avec de nombreux industriels pour développer des drones aériens capables de lancer des roquettes FZ275 LGR. Au niveau terrestre, des coopérations existent aussi, avec par exemple le drone terrestre Mission Master de Rheinmetall. D’ailleurs, ce dernier peut représenter un appui important pour les troupes au sol : avec deux pods FZ220, il peut lancer jusqu’à 14 roquettes à guidage laser sur potentiellement 14 cibles différentes en une salve… si bien évidemment, 14 pointeurs laser sont disponibles !



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