"Mais où sont passés les Su-35 égyptiens ?" analyse exclusive OSINT
"Mais où sont passés les Su-35 égyptiens ?" analyse exclusive OSINT

publié le 03 janvier 2022 à 16:56

1373 mots

"Mais où sont passés les Su-35 égyptiens ?" analyse exclusive OSINT

Alors que le contrat pour l'acquisition de Sukhoï Su-35 par l'Egypte a été signé et que leur construction a bien été réalisée, les appareils ne sont toujours pas livrés à l'Egypte. Analyse OSINT (Open Source INTelligence) de Antoine BOISSY, consultant et auditeur jeune IHEDN.


Aucun signe d’eux lors du vol de formation mené en conclusion du volet égyptien des exercices Skyros en février 2021. Aucune trace non plus lors de la deuxième édition du salon EDEX qui s’est tenue au Caire du 28 novembre au 2 décembre dernier. Aucun communiqué officiel, aucune image (même « fuitée »), provenant de l’Egyptian Air Force (EAF ou El Qūwāt El Gawīyä El Maṣrīya). Mais où sont donc les Su-35 (sans suffixe pour la version export) dont on annonce la livraison à l’EAF depuis désormais plus d’un an ?

Un contrat signé en 2019

En 2018, la révélation de l’acquisition par un nouveau client export du chasseur lourd fabriqué par l’usine d’aviation de Komsomolsk-sur-Amour (KnAAPO) constitue une surprise pour nombre d’observateurs. Le 18 mars 2019, le quotidien économique moscovite Kommersant vend la mèche : l’Egypte du Maréchal Al-Sissi aurait acquis 20 appareils pour un montant d’environ 2 milliards de dollars (n’intégrant vraisemblablement pas les armements, ni le soutien). Accréditant de manière dramatique l’information dévoilée, l’article est rapidement supprimé et deux journalistes de Kommersant sont arrêtés au motif de « trahison ».

Le "PHOTEX" final de l'exercice Skyros 2021 a réunit l'ensemble des aéronefs des pays participants... Mais pas les Su-35 égyptiens !
Le "PHOTEX" final de l'exercice Skyros 2021 a réunit l'ensemble des aéronefs des pays participants... Mais pas les Su-35 égyptiens ! © Armée de l'Air et de l'Espace
Le "PHOTEX" final de l'exercice Skyros 2021 a réunit l'ensemble des aéronefs des pays participants... Mais pas les Su-35 égyptiens !

Signe de l’extrême discrétion entourant ce contrat, on ne doit sa confirmation institutionnelle qu’à l’identification le 14 mai 2020 de la référence du contrat sur le site internet relatif à l’attribution des marchés publics russes, préalable à un communiqué minimaliste de l’agence d’Etat TASS, deux jours après. 

La confirmation de l’importation d’un quatrième type d’appareil de combat peut constituer une surprise dans la mesure où l’on pensait l’EAF rassasiée de sa frénésie importatrice, après l’acquisition de 20 F-16C/D Block 52 reçus à partir de 2012 (Programme Peace Vector VII), complétés par 52 MiG-29M/M2 puis 24 Rafale EM/DM après signature de contrats en 2015. S’il vient indubitablement complexifier la gestion logistique du parc de l’EAF, cet achat doit être compris dans un contexte de volonté du nouveau pouvoir égyptien de multiplier ses canaux d’approvisionnement en armements avancés, et ainsi limiter les conséquences d’une rupture brutale causée par des facteurs politiques.

Su-35 Flanker.jpg
Le Su-35 est lévolution la plus récente du Su-27. Il est entré en service dans les forces russes en 2012. ©
Su-35 Flanker.jpg

Des avions mais pas de livraison

Après de premières observations satellite du tarmac extrême-oriental de KnAAZ à la fin du mois de juin 2020, il faut attendre la fin mois de juillet pour que des clichés (ci-contre) permettant d’attester d’un début d’exécution du contrat apparaissent. Ils montrent des appareils au camouflage gris deux-tons, analogue à celle de certains des MiG-29M/M2 de l’EAF, et arborant son système d’immatriculation à quatre digits (mais sans aucune marque d’identification nationale) à l’atterrissage sur la partie militaire de l’aéroport de Novossibirsk-Tomalchevo. Ces 5 Su-35, qui portent les numéros 9210, 9211, 9212, 9213 et 9214, semblent constituer le premier lot d’appareils en convoyage à destination de l’Egypte.

En août 2020, le film d’une visite de KnAAZ par le Ministre de la Défense russe, Sergeï Choïgu, permet d’obtenir de nouvelles informations « volées » quant à l’état du contrat russo-égyptien (image ci-dessous). Celui-ci ne porte non pas sur 20 ou 24 Su-35, mais bien sur 30 exemplaires dont la production est répartie comme suit : 22 pour l’année 2020 et 8 pour 2021.

Mig29 Su35.jpg
L'identification des Su-35 egyptiens a d'abord été rendue possible grâce aux couleurs du camouflage, identique à celui du MIG-29 ©
Mig29 Su35.jpg
Photo sat 15 Su35.jpg
Les Su-35 stationnés en Russie portent le même camouflage que les Mig-29 égyptiens. ©
Photo sat 15 Su35.jpg

L’histoire aurait pu s’arrêter-là et considérer ces 5 premiers appareils comme effectivement livrés sur une base aérienne égyptienne d’où ils mèneraient d’hypothétiques exercices de combat aérien face aux Rafale de Dassault Aviation. Cette idée serait renforcée par des informations publiées le 11 mars 2021 par le quotidien Zhukovskie Vesti indiquant que l’Egypte aurait bien perçu ses premiers Su-35 en 2020 (le magazine professionnel New Defence Order Strategy vient même donner le chiffre de 5 appareils livrés pour 2020) et en recevrait 10 nouveaux en 2021. De sérieux doutes provenant d’observateurs et analystes indépendants viennent cependant contrebalancer cette opinion admise.

Comment expliquer plusieurs détails troublants : 

  • Aucune image ou aucun communiqué officiel ne permet d’attester d’une quelconque livraison sur le sol égyptien, et ce plus d’un an après la date présumée de la livraison du premier lot d’appareils.
  • Dès le mois de décembre 2020 les Su-35 n°9212, 9213 et 9214 effectuant des essais en vol sont identifiés au décollage du Gromov Flight Research Institute (LII) de Zhukovsky, à 40 km de Moscou. En février 2021, le 9214 est remarqué à nouveau.
  • Mois après mois, de nouveaux Su-35 à la livrée similaire aux appareils déjà identifiés viennent s’accumuler sur le tarmac de KnAAZ : de 11 appareils en juin à 15 appareils en décembre 2021 (image ci-contre), dont un appareil immatriculé 9226 (soit théoriquement le 17e appareil égyptien).
  • Plus troublant encore, le même mois, c’est au tour du Su-35 numéroté 9210 d’être identifié au décollage du LII, avant que le 9211 ne le soit aussi en octobre 2021.
air team image.jpg
Le suivi des avions par les spotteurs permet de confirmer que les appareils n'ont pas quitté la Russie © VKontakt
air team image.jpg

Ainsi, entre décembre 2020 et octobre 2021, l’ensemble du premier lot de production aura été identifié à Moscou avec 15 appareils supplémentaires sur le sol de l’usine de production à Komsomolsk-sur-Amour, sans aucune preuve concrète que le Su-35 n’ait foulé la terre des Pharaons. Il est néanmoins possible que l’imbroglio relatif à la livraison trouve tout son sens en changeant de perspective et en considérant la notion de livraison comme un transfert officiel de la responsabilité des appareils de KnAAZ à l’EAF, s’entraînant sur leur nouvelle monture depuis le LII, à défaut d’être en mesure de pouvoir les emmener au pays. Cela aurait le mérite de donner un cadre aux différents vols observés depuis Zhukovsky, ainsi qu’aux armements identifiables sous les ailes des Flanker.

Le CAATSA une deuxième fois fatal à un contrat Su-35 ? 

L’arme fatale qui pourrait avoir ralenti (à défaut d’avoir tué) l’exécution du contrat Su-35 entre l’Egypte et la Russie se dénomme CAATSA pour Countering America’s Opponents through Sanctions. Cette loi fédérale américaine adoptée en juillet 2017 sous l’administration Trump, vise à donner aux Etats-Unis des instruments juridiques pour sanctionner les activités déstabilisatrices des régimes iraniens, russes et nord-coréens. Sa section 231 « Imposition of sanctions with respect to persons engaging in transactions with the intelligence or defense sectors of the government of the Russian Federation” est sans ambiguïté : des sanctions économiques s’appliqueront en de mise en exécution d’un contrat d’armement avec la Russie, excepté dérogation spécifique de la Présidence américaine autorisée par le Congrès.

On distingue bien les armements installés sous les ailes de ce Su-35
On distingue bien les armements installés sous les ailes de ce Su-35 ©
On distingue bien les armements installés sous les ailes de ce Su-35

Le spectre de la mise en application du CAATSA a déjà fait une première victime parmi les contrats Su-35. Le 23 décembre 2021 (voir notre article dédié : L'Indonésie renonce au Su-35, pour choisir entre le Rafale et le F-15EX), le gouvernement indonésien annonce officiellement avoir renoncé « à contre cœur » à son idée d’acquérir le Su-35 sélectionné en 2015, avec un contrat pour 11 exemplaires en gestation depuis 2018 (s’il a bien été signé, il semblerait qu’il n’ait jamais été exécuté avec versement des acomptes nécessaires à l’initiation de la production des appareils).

S’il est encore trop tôt pour présager d’un destin à l’indonésienne, force est de constater que le contrat russo-égyptien semble à minima en situation de blocage. L’extrême précaution prise par les officiels égyptiens pour ne laisser filtrer aucune information relative à ce contrat, à laquelle s’ajoute la mise en garde du 23 février 2021 adressée par les Etats-Unis par l’intermédiaire du Secrétaire d’Etat Anthony Blinken « préoccupé » par « le potentiel achat par l’Egypte d’avion de combat Su-35 à la Russie » à son homologue égyptien Sameh Choukri le 23 février 2021 ne faisant que conforter un peu plus cette idée. 

SU-35.jpg
Un Su-35 en vol, différenciable du Mig-29 par sa queue située entre les réacteurs. Elle comprend notamment le parachute de freinage, des leurres, le système de vidage en urgence des réservoirs. ©
SU-35.jpg

Si l’hypothèse d’un blocage devait se poursuivre dans la durée pour se transformer en impasse, la question sera d’imaginer le devenir de ces appareils flambant neufs aux capacités de combat modernes. La nature ayant horreur du vide, on est en droit de s’interroger sur le poids pris par l’incapacité de la Russie et de l’Egypte à exécuter le contrat Su-35 dans le processus décisionnel ayant mené à l’acquisition de 30 Rafale supplémentaires auprès de Dassault Aviation en janvier 2021, puis confirmé en novembre par le versement du premier acompte. 

L'Egypte opère déja 24 Rafale et a passé une commande supplémentaire de 30 appareils en novembre 2021
L'Egypte opère déja 24 Rafale et a passé une commande supplémentaire de 30 appareils en novembre 2021 © Dassault Aviation
L'Egypte opère déja 24 Rafale et a passé une commande supplémentaire de 30 appareils en novembre 2021
Commentaires
user_picture Petrau 03/01/2022 17:28

Et si l'Égypte n'avait tout simplement pas trouvé de financement pour l'achat des SU35 ?

user_picture user_picture 03/01/2022 17:45

La Russie lui aurait fait un prêt. C'est très courant.  

user_picture user_picture 04/01/2022 00:45

Ce sont aussi les EAU qui financent l'Egypte.  



user_picture Californien 04/01/2022 00:51

Très curieux ! Mais si les Américains ont fait pression alors cela s'explique.



user_picture Hannosset Étie 04/01/2022 14:21

Voilà ce qui ressemble à un démenti d’une information précédente d’Air et Cosmos ... Pas de livraison de SU35 à l’Égypte, donc pas de ... "duel" entre Rafale et SU35 égyptiens et donc pas de victoire du Rafale... 🤔🤔🤔 plus

user_picture user_picture 04/01/2022 18:24

Finalement, hannosset presque rien, en tout cas hannosset pas grand chose. Hannosset pas très glorieux pour un pilote de chasse de Flight Simulator!  

user_picture user_picture 04/01/2022 18:57

Je pense être, l'âge aidant, l'un des plus anciens lecteurs d'A&C (il ne doit manquer à ma lecture que les cent premiers numéros). J'ai ...  pu voir évoluer ce journal, et maintenant ce site, vers la géopolitique au détriment du domaine aérospatial. Et ceci s'accompagne d'approximations, voir d'inexactitudes, quand l'"information" n'est guère plus que la traduction de sites "éloignés" dont la vérité n'est pas établie et encore moins vérifiée. Dommage ! Cordialement. plus

user_picture user_picture 04/01/2022 22:54

@Petrau. Effectivement, c’est dommage. Le Fake News qui circulent sur le Net et qui parfois se retrouvent même dans la presse écrite sont tellement ...  légions, que les rédacteurs doivent ou en tout cas devraient faire preuve de la plus grande prudence quand ils répercutent une information trouvée sur un site dont ils ne savent pas grand chose. plus

user_picture user_picture 05/01/2022 23:15

Pas le même auteur, et l’information peut évoluer aussi dans le temps, et être démentie.  

user_picture user_picture 06/01/2022 12:22

@AlphaB2. Il faut nuancer. Lorsque une information qui porte sur un FAIT, présenté comme réel, est ultérieurement démentie parce qu'il s’avère que le FAIT ...  était en réalité un FAKE, cela pose toute la question de ta crédibilité des informations communiquées par un rédacteur ou une revue... Citer ses sources est un gage de sérieux et donc de crédibilité. D’ailleurs, Airrecognition commence toujours ses articles par les mots magiques "Selon une information communiquée par (etc)"... plus

user_picture user_picture 06/01/2022 12:26

CORRECTION : LA crédibilité et pas TA crédibilité. Sorry.  



user_picture Ali 05/01/2022 19:31

dire que le rafale est plus performant que le su-35 en disant qu'il a peut-être battu dans un hypothétique combat en Égypte. vous êtes juste ... un torchon journalistique plus

user_picture user_picture 06/01/2022 11:43

Je suis moi-même très exigeant, et donc très critique au besoin, envers A&C. Mais parler de "torchon journalistique" me fait penser qu'il existe aussi ...  des commentaires qui sont aussi de véritables torchons. Et puis, personne n'est obligé de lire A&C ! plus



user_picture AlphaB2 05/01/2022 23:18

C’est exactement ce que dit l’auteur : il n’y a certainement jamais eu de Su-35 en Égypte et donc jamais d’exercice.

user_picture user_picture 06/01/2022 12:45

C’est exact, me semble-t-il. Malheureusement, un grand nombre de lecteurs qui n’auront pas lu le présent article continueront de penser que lors d’un exercice ...  de confrontation entre un Rafale et un Su35, en Égypte, le Rafale a été capable d’hanihiler toute l’électronique du Su35 au point que celui-ci a été contraint de se poser ... Ils penseront que le Rafale est vraiment le meilleur avion de combat au monde. Finalement, n’était ce pas le but de l’article ? Info ou propagande ? That’s the question. plus



user_picture Thibault 07/01/2022 18:22

Très intéressant, merci pour cet article !



user_picture tounsi Blid 21/01/2022 20:51

Je comprends pas - les usa laissent la France leurs piquer du fric et pas la Russie ! le Sukhoi S35 " ... Normalement équipé" à contrario de la version export serait il plus dangereux pour les F15 et F 16 israéliens que le Rafale !? plus



03/01/2022 16:56
1373 mots

"Mais où sont passés les Su-35 égyptiens ?" analyse exclusive OSINT

Alors que le contrat pour l'acquisition de Sukhoï Su-35 par l'Egypte a été signé et que leur construction a bien été réalisée, les appareils ne sont toujours pas livrés à l'Egypte. Analyse OSINT (Open Source INTelligence) de Antoine BOISSY, consultant et auditeur jeune IHEDN.

"Mais où sont passés les Su-35 égyptiens ?" analyse exclusive OSINT
"Mais où sont passés les Su-35 égyptiens ?" analyse exclusive OSINT

L'Egypte opère déja 24 Rafale et a passé une commande supplémentaire de 30 appareils en novembre 2021
L'Egypte opère déja 24 Rafale et a passé une commande supplémentaire de 30 appareils en novembre 2021 © Dassault Aviation
L'Egypte opère déja 24 Rafale et a passé une commande supplémentaire de 30 appareils en novembre 2021

03/01/2022 17:28

Et si l'Égypte n'avait tout simplement pas trouvé de financement pour l'achat des SU35 ?  


Aucun signe d’eux lors du vol de formation mené en conclusion du volet égyptien des exercices Skyros en février 2021. Aucune trace non plus lors de la deuxième édition du salon EDEX qui s’est tenue au Caire du 28 novembre au 2 décembre dernier. Aucun communiqué officiel, aucune image (même « fuitée »), provenant de l’Egyptian Air Force (EAF ou El Qūwāt El Gawīyä El Maṣrīya). Mais où sont donc les Su-35 (sans suffixe pour la version export) dont on annonce la livraison à l’EAF depuis désormais plus d’un an ?

Un contrat signé en 2019

En 2018, la révélation de l’acquisition par un nouveau client export du chasseur lourd fabriqué par l’usine d’aviation de Komsomolsk-sur-Amour (KnAAPO) constitue une surprise pour nombre d’observateurs. Le 18 mars 2019, le quotidien économique moscovite Kommersant vend la mèche : l’Egypte du Maréchal Al-Sissi aurait acquis 20 appareils pour un montant d’environ 2 milliards de dollars (n’intégrant vraisemblablement pas les armements, ni le soutien). Accréditant de manière dramatique l’information dévoilée, l’article est rapidement supprimé et deux journalistes de Kommersant sont arrêtés au motif de « trahison ».

Le "PHOTEX" final de l'exercice Skyros 2021 a réunit l'ensemble des aéronefs des pays participants... Mais pas les Su-35 égyptiens !
Le "PHOTEX" final de l'exercice Skyros 2021 a réunit l'ensemble des aéronefs des pays participants... Mais pas les Su-35 égyptiens ! © Armée de l'Air et de l'Espace
Le "PHOTEX" final de l'exercice Skyros 2021 a réunit l'ensemble des aéronefs des pays participants... Mais pas les Su-35 égyptiens !

Signe de l’extrême discrétion entourant ce contrat, on ne doit sa confirmation institutionnelle qu’à l’identification le 14 mai 2020 de la référence du contrat sur le site internet relatif à l’attribution des marchés publics russes, préalable à un communiqué minimaliste de l’agence d’Etat TASS, deux jours après. 

La confirmation de l’importation d’un quatrième type d’appareil de combat peut constituer une surprise dans la mesure où l’on pensait l’EAF rassasiée de sa frénésie importatrice, après l’acquisition de 20 F-16C/D Block 52 reçus à partir de 2012 (Programme Peace Vector VII), complétés par 52 MiG-29M/M2 puis 24 Rafale EM/DM après signature de contrats en 2015. S’il vient indubitablement complexifier la gestion logistique du parc de l’EAF, cet achat doit être compris dans un contexte de volonté du nouveau pouvoir égyptien de multiplier ses canaux d’approvisionnement en armements avancés, et ainsi limiter les conséquences d’une rupture brutale causée par des facteurs politiques.

Su-35 Flanker.jpg
Le Su-35 est lévolution la plus récente du Su-27. Il est entré en service dans les forces russes en 2012. ©
Su-35 Flanker.jpg

Des avions mais pas de livraison

Après de premières observations satellite du tarmac extrême-oriental de KnAAZ à la fin du mois de juin 2020, il faut attendre la fin mois de juillet pour que des clichés (ci-contre) permettant d’attester d’un début d’exécution du contrat apparaissent. Ils montrent des appareils au camouflage gris deux-tons, analogue à celle de certains des MiG-29M/M2 de l’EAF, et arborant son système d’immatriculation à quatre digits (mais sans aucune marque d’identification nationale) à l’atterrissage sur la partie militaire de l’aéroport de Novossibirsk-Tomalchevo. Ces 5 Su-35, qui portent les numéros 9210, 9211, 9212, 9213 et 9214, semblent constituer le premier lot d’appareils en convoyage à destination de l’Egypte.

En août 2020, le film d’une visite de KnAAZ par le Ministre de la Défense russe, Sergeï Choïgu, permet d’obtenir de nouvelles informations « volées » quant à l’état du contrat russo-égyptien (image ci-dessous). Celui-ci ne porte non pas sur 20 ou 24 Su-35, mais bien sur 30 exemplaires dont la production est répartie comme suit : 22 pour l’année 2020 et 8 pour 2021.

Mig29 Su35.jpg
L'identification des Su-35 egyptiens a d'abord été rendue possible grâce aux couleurs du camouflage, identique à celui du MIG-29 ©
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Les Su-35 stationnés en Russie portent le même camouflage que les Mig-29 égyptiens. ©
Photo sat 15 Su35.jpg

L’histoire aurait pu s’arrêter-là et considérer ces 5 premiers appareils comme effectivement livrés sur une base aérienne égyptienne d’où ils mèneraient d’hypothétiques exercices de combat aérien face aux Rafale de Dassault Aviation. Cette idée serait renforcée par des informations publiées le 11 mars 2021 par le quotidien Zhukovskie Vesti indiquant que l’Egypte aurait bien perçu ses premiers Su-35 en 2020 (le magazine professionnel New Defence Order Strategy vient même donner le chiffre de 5 appareils livrés pour 2020) et en recevrait 10 nouveaux en 2021. De sérieux doutes provenant d’observateurs et analystes indépendants viennent cependant contrebalancer cette opinion admise.

Comment expliquer plusieurs détails troublants : 

  • Aucune image ou aucun communiqué officiel ne permet d’attester d’une quelconque livraison sur le sol égyptien, et ce plus d’un an après la date présumée de la livraison du premier lot d’appareils.
  • Dès le mois de décembre 2020 les Su-35 n°9212, 9213 et 9214 effectuant des essais en vol sont identifiés au décollage du Gromov Flight Research Institute (LII) de Zhukovsky, à 40 km de Moscou. En février 2021, le 9214 est remarqué à nouveau.
  • Mois après mois, de nouveaux Su-35 à la livrée similaire aux appareils déjà identifiés viennent s’accumuler sur le tarmac de KnAAZ : de 11 appareils en juin à 15 appareils en décembre 2021 (image ci-contre), dont un appareil immatriculé 9226 (soit théoriquement le 17e appareil égyptien).
  • Plus troublant encore, le même mois, c’est au tour du Su-35 numéroté 9210 d’être identifié au décollage du LII, avant que le 9211 ne le soit aussi en octobre 2021.
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Le suivi des avions par les spotteurs permet de confirmer que les appareils n'ont pas quitté la Russie © VKontakt
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Ainsi, entre décembre 2020 et octobre 2021, l’ensemble du premier lot de production aura été identifié à Moscou avec 15 appareils supplémentaires sur le sol de l’usine de production à Komsomolsk-sur-Amour, sans aucune preuve concrète que le Su-35 n’ait foulé la terre des Pharaons. Il est néanmoins possible que l’imbroglio relatif à la livraison trouve tout son sens en changeant de perspective et en considérant la notion de livraison comme un transfert officiel de la responsabilité des appareils de KnAAZ à l’EAF, s’entraînant sur leur nouvelle monture depuis le LII, à défaut d’être en mesure de pouvoir les emmener au pays. Cela aurait le mérite de donner un cadre aux différents vols observés depuis Zhukovsky, ainsi qu’aux armements identifiables sous les ailes des Flanker.

Le CAATSA une deuxième fois fatal à un contrat Su-35 ? 

L’arme fatale qui pourrait avoir ralenti (à défaut d’avoir tué) l’exécution du contrat Su-35 entre l’Egypte et la Russie se dénomme CAATSA pour Countering America’s Opponents through Sanctions. Cette loi fédérale américaine adoptée en juillet 2017 sous l’administration Trump, vise à donner aux Etats-Unis des instruments juridiques pour sanctionner les activités déstabilisatrices des régimes iraniens, russes et nord-coréens. Sa section 231 « Imposition of sanctions with respect to persons engaging in transactions with the intelligence or defense sectors of the government of the Russian Federation” est sans ambiguïté : des sanctions économiques s’appliqueront en de mise en exécution d’un contrat d’armement avec la Russie, excepté dérogation spécifique de la Présidence américaine autorisée par le Congrès.

On distingue bien les armements installés sous les ailes de ce Su-35
On distingue bien les armements installés sous les ailes de ce Su-35 ©
On distingue bien les armements installés sous les ailes de ce Su-35

Le spectre de la mise en application du CAATSA a déjà fait une première victime parmi les contrats Su-35. Le 23 décembre 2021 (voir notre article dédié : L'Indonésie renonce au Su-35, pour choisir entre le Rafale et le F-15EX), le gouvernement indonésien annonce officiellement avoir renoncé « à contre cœur » à son idée d’acquérir le Su-35 sélectionné en 2015, avec un contrat pour 11 exemplaires en gestation depuis 2018 (s’il a bien été signé, il semblerait qu’il n’ait jamais été exécuté avec versement des acomptes nécessaires à l’initiation de la production des appareils).

S’il est encore trop tôt pour présager d’un destin à l’indonésienne, force est de constater que le contrat russo-égyptien semble à minima en situation de blocage. L’extrême précaution prise par les officiels égyptiens pour ne laisser filtrer aucune information relative à ce contrat, à laquelle s’ajoute la mise en garde du 23 février 2021 adressée par les Etats-Unis par l’intermédiaire du Secrétaire d’Etat Anthony Blinken « préoccupé » par « le potentiel achat par l’Egypte d’avion de combat Su-35 à la Russie » à son homologue égyptien Sameh Choukri le 23 février 2021 ne faisant que conforter un peu plus cette idée. 

SU-35.jpg
Un Su-35 en vol, différenciable du Mig-29 par sa queue située entre les réacteurs. Elle comprend notamment le parachute de freinage, des leurres, le système de vidage en urgence des réservoirs. ©
SU-35.jpg

Si l’hypothèse d’un blocage devait se poursuivre dans la durée pour se transformer en impasse, la question sera d’imaginer le devenir de ces appareils flambant neufs aux capacités de combat modernes. La nature ayant horreur du vide, on est en droit de s’interroger sur le poids pris par l’incapacité de la Russie et de l’Egypte à exécuter le contrat Su-35 dans le processus décisionnel ayant mené à l’acquisition de 30 Rafale supplémentaires auprès de Dassault Aviation en janvier 2021, puis confirmé en novembre par le versement du premier acompte. 



Commentaires
03/01/2022 17:28

Et si l'Égypte n'avait tout simplement pas trouvé de financement pour l'achat des SU35 ?

user_picture Jdg 03/01/2022 17:45

La Russie lui aurait fait un prêt. C'est très courant.  

user_picture Oliver 04/01/2022 00:45

Ce sont aussi les EAU qui financent l'Egypte.  



04/01/2022 00:51

Très curieux ! Mais si les Américains ont fait pression alors cela s'explique.



04/01/2022 14:21

Voilà ce qui ressemble à un démenti d’une information précédente d’Air et Cosmos ... Pas de livraison de SU35 à l’Égypte, donc pas de ... "duel" entre Rafale et SU35 égyptiens et donc pas de victoire du Rafale... 🤔🤔🤔 plus

user_picture Espelette 04/01/2022 18:24

Finalement, hannosset presque rien, en tout cas hannosset pas grand chose. Hannosset pas très glorieux pour un pilote de chasse de Flight Simulator!  

user_picture Petrau 04/01/2022 18:57

Je pense être, l'âge aidant, l'un des plus anciens lecteurs d'A&C (il ne doit manquer à ma lecture que les cent premiers numéros). J'ai ...  pu voir évoluer ce journal, et maintenant ce site, vers la géopolitique au détriment du domaine aérospatial. Et ceci s'accompagne d'approximations, voir d'inexactitudes, quand l'"information" n'est guère plus que la traduction de sites "éloignés" dont la vérité n'est pas établie et encore moins vérifiée. Dommage ! Cordialement. plus

user_picture Etienne Hannosset 04/01/2022 22:54

@Petrau. Effectivement, c’est dommage. Le Fake News qui circulent sur le Net et qui parfois se retrouvent même dans la presse écrite sont tellement ...  légions, que les rédacteurs doivent ou en tout cas devraient faire preuve de la plus grande prudence quand ils répercutent une information trouvée sur un site dont ils ne savent pas grand chose. plus

user_picture AlphaB2 05/01/2022 23:15

Pas le même auteur, et l’information peut évoluer aussi dans le temps, et être démentie.  

user_picture Hannosset Étienne 06/01/2022 12:22

@AlphaB2. Il faut nuancer. Lorsque une information qui porte sur un FAIT, présenté comme réel, est ultérieurement démentie parce qu'il s’avère que le FAIT ...  était en réalité un FAKE, cela pose toute la question de ta crédibilité des informations communiquées par un rédacteur ou une revue... Citer ses sources est un gage de sérieux et donc de crédibilité. D’ailleurs, Airrecognition commence toujours ses articles par les mots magiques "Selon une information communiquée par (etc)"... plus

user_picture Hannosset Étienne 06/01/2022 12:26

CORRECTION : LA crédibilité et pas TA crédibilité. Sorry.  



05/01/2022 19:31

dire que le rafale est plus performant que le su-35 en disant qu'il a peut-être battu dans un hypothétique combat en Égypte. vous êtes juste ... un torchon journalistique plus

user_picture Petrau 06/01/2022 11:43

Je suis moi-même très exigeant, et donc très critique au besoin, envers A&C. Mais parler de "torchon journalistique" me fait penser qu'il existe aussi ...  des commentaires qui sont aussi de véritables torchons. Et puis, personne n'est obligé de lire A&C ! plus



05/01/2022 23:18

C’est exactement ce que dit l’auteur : il n’y a certainement jamais eu de Su-35 en Égypte et donc jamais d’exercice.

user_picture Hannosset Étienne 06/01/2022 12:45

C’est exact, me semble-t-il. Malheureusement, un grand nombre de lecteurs qui n’auront pas lu le présent article continueront de penser que lors d’un exercice ...  de confrontation entre un Rafale et un Su35, en Égypte, le Rafale a été capable d’hanihiler toute l’électronique du Su35 au point que celui-ci a été contraint de se poser ... Ils penseront que le Rafale est vraiment le meilleur avion de combat au monde. Finalement, n’était ce pas le but de l’article ? Info ou propagande ? That’s the question. plus



07/01/2022 18:22

Très intéressant, merci pour cet article !



21/01/2022 20:51

Je comprends pas - les usa laissent la France leurs piquer du fric et pas la Russie ! le Sukhoi S35 " ... Normalement équipé" à contrario de la version export serait il plus dangereux pour les F15 et F 16 israéliens que le Rafale !? plus