Le mot « astronautique » a 90 ans
Le mot « astronautique » a 90 ans
© DR/Association Histoires d'espace

publié le 26 décembre 2017 à 11:24

987 mots

Le mot « astronautique » a 90 ans

Le 26 décembre 1927, au cours d’une soirée parisienne réunissant diverses personnalités, le terme « astronautique » était inventé pour désigner la science et les techniques de la navigation interplanétaire. Le mot a depuis été universellement adopté.


Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les études sur les fusées prennent leur essor, surtout en ce qui concerne les engins à propulsion à liquides. Ces derniers apparaissent alors comme les seuls à pouvoir un jour envoyer des vaisseaux dans l’espace. Bien qu’il y ait eu avant 1914 quelques chercheurs qui s’étaient penchés sur l’application des liquides dans les fusées (dont le Russe Tsiolkovski, l’Américain Goddard et l’Austro-Hongrois Oberth), il a en réalité fallu attendre les années 20-30 pour assister à une réelle avancée, avec les premières expérimentations effectuées notamment par Robert Goddard aux Etats-Unis, Friedrich Sänder et Johannes Winkler en Allemagne, Friedrich Tsander et Sergueï Korolev en Russie soviétique, et d’autres encore.

 

Des débuts difficiles en France.

En 1912, l’ingénieur et inventeur en aéronautique Robert Esnault-Pelterie présente à la Société française de physique une conférence intitulée « Considération sur les résultats d’un allègement indéfini des moteurs ». Pour apparaître crédible devant ses pairs, le conférencier a pris soin d’éviter les terminologies « voyage dans l’espace » ou « navigation interplanétaire ». En effet, jusqu’alors l’idée de naviguer dans l’espace relevait souvent de la littérature, tel un Jules Verne, tel un Henri de Graffigny, etc. Si à ce moment-là Esnault-Pelterie jette en France les bases mathématiques de la recherche sur les moyens de se déplacer dans l’espace, son intervention n’a cependant pas l’écho escompté…

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le contexte change. Ainsi, en Allemagne, les fusées deviennent une véritable « mode ». On assiste même le dimanche au décollage d’engins certes encore bien modestes. Précisons que le traité de Versailles avait oublié d’interdire aux Allemands de développer ce type d’engins, d’où le foisonnement des études qui finissent par intéresser les militaires.

 

Grouper, coordonner, encourager les études.

Constatant cette effervescence outre-Rhin, le jeune banquier André Louis-Hirsch décide de soutenir la cause des fusées en France. Passionné d’aéronautique et d’astronomie depuis son plus jeune âge, celui-ci est persuadé que les recherches françaises ne pourront se développer que si Esnault-Pelterie donne l’exemple en reprenant ses travaux. Les deux hommes se rencontrent au milieu des années 20, comme s’en souviendra Louis-Hirsch des années plus tard : « (…) J’eus le privilège vers 1926 de lui soumettre la plupart des travaux entrepris aux Etats-Unis et surtout en Allemagne. Nous acquîmes tous deux la conviction que cette recherche prenait corps, qu’il y aurait intérêt à grouper et à coordonner les travaux épars (…) ».

Motivé, Esnault-Pelterie prononce le 8 juin 1927 une nouvelle conférence à la Sorbonne sur « L’exploration par fusées de la très haute atmosphère et la possibilité des voyages interplanétaires ». L’engouement est tel que Louis-Hirsch pousse Esnault-Pelterie à aller plus loin en créant un prix international pour récompenser (par une somme d’argent) des travaux pertinents français ou étrangers ; cela devait ainsi favoriser le développement de la jeune science de la navigation interplanétaire. L’initiative est originale mais sera critiquée car elle permet aux Français d'obtenir des informations sur les études menées ailleurs dans le monde…

Surnommé REP-Hirsch, le prix doit être décerné par un Comité de spécialistes que la Société astronomique de France (SAF) accepte d’héberger.

 

La réunion du 26 décembre 1927.

Sur l’invitation d’Alice Hirsch –la mère d’André Louis-Hirsch– mettant à disposition la maison familiale au 47, avenue d’Iéna à Paris, une réunion est organisée au lendemain de Noël 1927. André Louis-Hirsch fait venir huit personnalités : Henri Chrétien (ingénieur opticien, astronome), Ernest Esclangon (mathématicien, astronome), Robert Esnault-Pelterie, Charles Fabry (physicien), le général Ferrié (polytechnicien, spécialiste des transmissions, ancien président de la SAF 1926-27), Jean-Baptiste Perrin (physicien, chimiste, prix Nobel de physique 1926), Emile Fichot (Polytechnicien, ingénieur hydrographe, président de la SAF) et Joseph Henri Rosny aîné (écrivain, président de l’Académie Goncourt depuis 1926).

Au cours de la soirée, les convives débattent de la forme à donner au Comité, à la manière de regrouper et d’encourager les recherches, puis vient ensuite la question de savoir si l’on donne ou pas un nom plus précis à cette jeune science qu’est la « navigation interplanétaire ». Plusieurs propositions sont avancées, comme en témoignera Louis-Hirsch lors d’une interview en 1959 : « (…) Nous avions la chance d’avoir parmi nous le président de l’Académie Goncourt qui s’appelait Rosny Aîné… Robert Esnault-Pelterie avait proposé pour cette séance nouvelle, qu’il fallait tout de même nommer, du nom de « sidération », par parallèle avec l’aviation. Mais on a trouvé le titre un peu ridicule et après avoir proposé le mot « cosmonautique », Rosny Aîné a proposé le mot « astronautique » qui a été adopté à l’unanimité et qui, on peut le dire, a fait le tour du monde. »

 

Des lendemains qui chantent.

Quelques semaines plus tard, en février 1928, l’invention du mot « astronautique » est publiée dans l’Astronomie, le bulletin officiel de la SAF, pour le faire connaître au monde entier. La nouvelle se répand visiblement sans contestation ou polémique. Par exemple, le 20 décembre 1929, dans le quotidien suisse francophone Feuille d’avis de Neuchâtel, l’écrivain Alfred Chapuis évoque la naissance des premières fusées expérimentales qui, un jour, évolueront « vers la fusée interplanétaire. Mais ce résultat acquis, il restera de telles difficultés à surmonter que « l’Astronautique » (ce mot nouveau a été créé par Rosny aîné) restera pendant bien longtemps encore dans le domaine de la théorie ; n’est-il point remarquable déjà qu’elle soit sortie de celui de l’utopie ? ». En 1930, le nouvel ouvrage de Robert Esnaut-Pelterie s'intitulera L'Astronautique.

Il semble toutefois que le mot ait déjà été utilisé de manière ponctuelle et dans des contextes d’usage différents. C’est notamment le cas d’Across the Zodiac de l’astronome britannique Percy Greg, ouvrage paru en 1880 dans lequel le mot « Astronaut » est utilisé pour désigner… un vaisseau spatial.

 

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.

 

Références

Un article : « Comment l’astronautique naquit en France », André Louis-Hirsch, Revue Française n°154, juillet 1963.

Un ouvrage : Robert Esnault-pelterie, de Félix Torres et Jacques Villain, Confluences, 2007.

Une interview d’André Louis-Hirsch sur la naissance de l’astronautique, INA, 14 mai 1959.

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26/12/2017 11:24
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Le mot « astronautique » a 90 ans

Le 26 décembre 1927, au cours d’une soirée parisienne réunissant diverses personnalités, le terme « astronautique » était inventé pour désigner la science et les techniques de la navigation interplanétaire. Le mot a depuis été universellement adopté.

Le mot « astronautique » a 90 ans
Le mot « astronautique » a 90 ans

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les études sur les fusées prennent leur essor, surtout en ce qui concerne les engins à propulsion à liquides. Ces derniers apparaissent alors comme les seuls à pouvoir un jour envoyer des vaisseaux dans l’espace. Bien qu’il y ait eu avant 1914 quelques chercheurs qui s’étaient penchés sur l’application des liquides dans les fusées (dont le Russe Tsiolkovski, l’Américain Goddard et l’Austro-Hongrois Oberth), il a en réalité fallu attendre les années 20-30 pour assister à une réelle avancée, avec les premières expérimentations effectuées notamment par Robert Goddard aux Etats-Unis, Friedrich Sänder et Johannes Winkler en Allemagne, Friedrich Tsander et Sergueï Korolev en Russie soviétique, et d’autres encore.

 

Des débuts difficiles en France.

En 1912, l’ingénieur et inventeur en aéronautique Robert Esnault-Pelterie présente à la Société française de physique une conférence intitulée « Considération sur les résultats d’un allègement indéfini des moteurs ». Pour apparaître crédible devant ses pairs, le conférencier a pris soin d’éviter les terminologies « voyage dans l’espace » ou « navigation interplanétaire ». En effet, jusqu’alors l’idée de naviguer dans l’espace relevait souvent de la littérature, tel un Jules Verne, tel un Henri de Graffigny, etc. Si à ce moment-là Esnault-Pelterie jette en France les bases mathématiques de la recherche sur les moyens de se déplacer dans l’espace, son intervention n’a cependant pas l’écho escompté…

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le contexte change. Ainsi, en Allemagne, les fusées deviennent une véritable « mode ». On assiste même le dimanche au décollage d’engins certes encore bien modestes. Précisons que le traité de Versailles avait oublié d’interdire aux Allemands de développer ce type d’engins, d’où le foisonnement des études qui finissent par intéresser les militaires.

 

Grouper, coordonner, encourager les études.

Constatant cette effervescence outre-Rhin, le jeune banquier André Louis-Hirsch décide de soutenir la cause des fusées en France. Passionné d’aéronautique et d’astronomie depuis son plus jeune âge, celui-ci est persuadé que les recherches françaises ne pourront se développer que si Esnault-Pelterie donne l’exemple en reprenant ses travaux. Les deux hommes se rencontrent au milieu des années 20, comme s’en souviendra Louis-Hirsch des années plus tard : « (…) J’eus le privilège vers 1926 de lui soumettre la plupart des travaux entrepris aux Etats-Unis et surtout en Allemagne. Nous acquîmes tous deux la conviction que cette recherche prenait corps, qu’il y aurait intérêt à grouper et à coordonner les travaux épars (…) ».

Motivé, Esnault-Pelterie prononce le 8 juin 1927 une nouvelle conférence à la Sorbonne sur « L’exploration par fusées de la très haute atmosphère et la possibilité des voyages interplanétaires ». L’engouement est tel que Louis-Hirsch pousse Esnault-Pelterie à aller plus loin en créant un prix international pour récompenser (par une somme d’argent) des travaux pertinents français ou étrangers ; cela devait ainsi favoriser le développement de la jeune science de la navigation interplanétaire. L’initiative est originale mais sera critiquée car elle permet aux Français d'obtenir des informations sur les études menées ailleurs dans le monde…

Surnommé REP-Hirsch, le prix doit être décerné par un Comité de spécialistes que la Société astronomique de France (SAF) accepte d’héberger.

 

La réunion du 26 décembre 1927.

Sur l’invitation d’Alice Hirsch –la mère d’André Louis-Hirsch– mettant à disposition la maison familiale au 47, avenue d’Iéna à Paris, une réunion est organisée au lendemain de Noël 1927. André Louis-Hirsch fait venir huit personnalités : Henri Chrétien (ingénieur opticien, astronome), Ernest Esclangon (mathématicien, astronome), Robert Esnault-Pelterie, Charles Fabry (physicien), le général Ferrié (polytechnicien, spécialiste des transmissions, ancien président de la SAF 1926-27), Jean-Baptiste Perrin (physicien, chimiste, prix Nobel de physique 1926), Emile Fichot (Polytechnicien, ingénieur hydrographe, président de la SAF) et Joseph Henri Rosny aîné (écrivain, président de l’Académie Goncourt depuis 1926).

Au cours de la soirée, les convives débattent de la forme à donner au Comité, à la manière de regrouper et d’encourager les recherches, puis vient ensuite la question de savoir si l’on donne ou pas un nom plus précis à cette jeune science qu’est la « navigation interplanétaire ». Plusieurs propositions sont avancées, comme en témoignera Louis-Hirsch lors d’une interview en 1959 : « (…) Nous avions la chance d’avoir parmi nous le président de l’Académie Goncourt qui s’appelait Rosny Aîné… Robert Esnault-Pelterie avait proposé pour cette séance nouvelle, qu’il fallait tout de même nommer, du nom de « sidération », par parallèle avec l’aviation. Mais on a trouvé le titre un peu ridicule et après avoir proposé le mot « cosmonautique », Rosny Aîné a proposé le mot « astronautique » qui a été adopté à l’unanimité et qui, on peut le dire, a fait le tour du monde. »

 

Des lendemains qui chantent.

Quelques semaines plus tard, en février 1928, l’invention du mot « astronautique » est publiée dans l’Astronomie, le bulletin officiel de la SAF, pour le faire connaître au monde entier. La nouvelle se répand visiblement sans contestation ou polémique. Par exemple, le 20 décembre 1929, dans le quotidien suisse francophone Feuille d’avis de Neuchâtel, l’écrivain Alfred Chapuis évoque la naissance des premières fusées expérimentales qui, un jour, évolueront « vers la fusée interplanétaire. Mais ce résultat acquis, il restera de telles difficultés à surmonter que « l’Astronautique » (ce mot nouveau a été créé par Rosny aîné) restera pendant bien longtemps encore dans le domaine de la théorie ; n’est-il point remarquable déjà qu’elle soit sortie de celui de l’utopie ? ». En 1930, le nouvel ouvrage de Robert Esnaut-Pelterie s'intitulera L'Astronautique.

Il semble toutefois que le mot ait déjà été utilisé de manière ponctuelle et dans des contextes d’usage différents. C’est notamment le cas d’Across the Zodiac de l’astronome britannique Percy Greg, ouvrage paru en 1880 dans lequel le mot « Astronaut » est utilisé pour désigner… un vaisseau spatial.

 

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.

 

Références

Un article : « Comment l’astronautique naquit en France », André Louis-Hirsch, Revue Française n°154, juillet 1963.

Un ouvrage : Robert Esnault-pelterie, de Félix Torres et Jacques Villain, Confluences, 2007.

Une interview d’André Louis-Hirsch sur la naissance de l’astronautique, INA, 14 mai 1959.



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