Le 14 décembre 1962, la sonde américaine Mariner 2 devient le premier engin fabriqué par l’homme à survoler avec succès une autre planète. Une grande première astronautique.
Dès que les portes de l’espace s’ouvrent, de nombreuses sondes spatiales s’élancent en direction de la Lune, puis très vite de Mars et Vénus, des mondes qui deviennent des enjeux de la course-compétition entre les Soviétiques et les Américains. Ceux-ci engagent des programmes dont l’objectif est d’approcher et étudier ces mondes par étapes à commencer par le survol…
Après avoir lancé les programmes Pioneer (exploration des corps célestes accessibles du système solaire et du milieu interplanétaire – 1958-1978) et Ranger (étude de la surface lunaire - 1961-1965), les Etats-Unis engagent en 1961 Mariner, un programme dédié aux planètes intérieures (Mercure, Vénus, Mars – 1962-1973). Outre la maîtrise de la navigation au long cours (d’où le nom du programme) et d’un certain nombre d’opérations (communication lointaine, correction de trajectoire, etc.), les deux premières sondes Mariner sont affectées à l’étude de Vénus. Pour les Américains, il s’agit également de ne pas laisser les Soviétiques seuls « à l’assaut » de l’étoile du berger. En effet, ces derniers viennent en février 1961 de lancer deux engins Venera, mais l’un ne quitte pas l’orbite terrestre, l’autre dysfonctionne et tout contact est perdu quelques jours plus tard. Bien que muette, la seconde passe à environ 100 000 km de Vénus. Les Américains comptent bien faire mieux.
Le lanceur prévu n’étant pas prêt, deux sondes Mariner allégées (Mariner-Venus ou Mariner R), d’une largeur de 4,9 m et d’une hauteur de 3,7 m pour une masse totale chacune d’un peu plus de 200 kg (dont 22 kg pour l’instrumentation), sont conçues à partir des Ranger (d’où le qualificatif R). Si elles reprennent la structure de ces dernières (plate-forme hexagonale avec deux panneaux solaires rectangulaires et une tour conique recevant les instruments de mesure), des nouveautés techniques sont cependant apportées, comme la stabilisation des engins sur trois axes, offrant une meilleure manœuvrabilité. Pour assurer les diverses communications, les sondes sont dotées de trois antennes, dont une grande parabole de 1,2 m de diamètre fixée en dessous.
Quant aux appareils scientifiques, Mariner 1 et 2 ont quasi les mêmes instruments. A bord de Mariner 2, se trouvent un radiomètre micro-onde (mesure du rayonnement de Vénus), un radiomètre infrarouge (température de la planète), un magnétomètre (champ magnétique), des détecteurs de particules, de vent solaire et de poussières cosmiques, des expériences de mécanique céleste (mesure des masses de Vénus et de la Lune, etc.). La charge utile étant déjà conséquente et sachant que Vénus a une atmosphère particulièrement dense empêchant de voir le sol, aucun système d’imagerie embarque dans les deux Mariner.
Le 22 juillet 1962, une fusée Atlas-Agena décolle avec Mariner 1, mais 294 secondes plus tard « Echec de Mariner I dont la fusée porteuse a dû être détruite en vol », comme l’annonce le 23 La Liberté, en raison du fait que le lanceur a dévié de sa trajectoire. Au grand soulagement des responsables, le lancement de la sonde jumelle Mariner 2 (à l’aide d’un Atlas-Agena) réussit le 27 août suivant, tandis que du côté soviétique les trois tentatives de lancement vers Vénus échouent toutes (25 août, 1er et 12 septembre) ; l’opportunité est à saisir pour les Américains…
Placée sur une orbite de transfert héliosynchrone, Mariner déploie ses panneaux solaires, ses instruments et la grande antenne sont progressivement activés ou orientés et, comme l’annonce le 28 La Nouvelle République, « Mariner II est parti pour un voyage de 291 millions de km » d’une durée de trois mois et demi. Se trouvant à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre, une correction de trajectoire est réalisée le 4 septembre afin de mieux diriger la sonde vers sa cible – une première dans les vols interplanétaires. Au cours du vol, Mariner 2 rencontre un certain nombre de difficultés (panne du système de stabilisation, défaillance d’un panneau solaire…), résiste même à une éruption solaire fin octobre.
Le 12 décembre, le logiciel de bord présente à son tour des problèmes l’empêchant de déclencher automatiquement les prises de données. Tout doit alors se faire manuellement. Malgré cela, la sonde effectue correctement le 14 le survol à une distance d’environ 34 800 km d’altitude, devenant ainsi le premier vaisseau spatial à survoler et à transmettre des données (qu’elle renvoie à la Terre jusque début janvier) d’une planète autre que la nôtre.
Incontestablement, Mariner 2 a réalisé un grand succès astronautique en effectuant un voyage au long cours, alors que la plupart des satellites et sondes spatiales de l’époque ont des durées de vie limitées ; les instruments ont également plutôt bien résisté aux radiations et autres particules du milieu interplanétaire. Dans Le Monde du 15 décembre 1962, Nicolas Vichney, dans son article « Mariner-II va pendant quarante-deux minutes observer Vénus … », considère trois faits caractérisant la prouesse de Mariner : frôler Vénus alors qu’elle se trouvait à environ 50 millions de kilomètres, maintenir des contacts radio à une distance record, obtenir des données scientifiques d’un monde méconnu… ce que le rival idéologique ne réussissait alors pas.
Bien que la sonde ne fasse qu’un survol de la planète, celle-ci collecte au total 11 millions de données, permettant d’en savoir plus sur la planète : une pression au sol élevée, une température de surface de 420°C (côté obscur) à 460°C (côté éclairé), une atmosphère principalement constituée de dioxyde de carbone, etc., ou encore l’absence d’un champ magnétique comme le note Le Figaro le 28 décembre : « Révélation de Mariner II : Vénus ne possède pas de champ magnétique ». Mariner apporte également de précieuses informations sur le milieu dans lequel elle a évolué comme la poussière interplanétaire se révélant moins importante que prévu, la présence d’un fort champ magnétique solaire avec des particules de haute énergie, etc.
Toutefois, comme l’a récemment écrit Eric Bottlaender sur le site Clubic, la mission Mariner 2 « reste un accomplissement majeur… mais ironiquement, alors même que les États-Unis ont réussi cette première, il s'agissait essentiellement d'une prouesse technique sans suite majeure. L'URSS de son côté poursuivra durant deux décennies son programme Venera avec plus d'une dizaine de missions et des succès majeurs jusqu'à la surface de Vénus ». Emettant pour la dernière fois le 3 janvier 1963, Mariner 2, inactive, évolue à jamais sur une orbite héliosynchrone…
- Un article, « Avec Mariner 2, survoler Vénus en premier », Eric Bottlaender, 19 novembre 2022
- Les communiqués de presse du JPL, « Mariner Spacecraft », 19 juillet 1962 ; « Mariner Scientific Experiments », 19 juillet 1962
- Archives de la Nasa/JPL sur Mariner 2
- Vidéo du lancement de Mariner 2, Nasa, décembre 1962.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 14 décembre 1962, la sonde américaine Mariner 2 devient le premier engin fabriqué par l’homme à survoler avec succès une autre planète. Une grande première astronautique.
Dès que les portes de l’espace s’ouvrent, de nombreuses sondes spatiales s’élancent en direction de la Lune, puis très vite de Mars et Vénus, des mondes qui deviennent des enjeux de la course-compétition entre les Soviétiques et les Américains. Ceux-ci engagent des programmes dont l’objectif est d’approcher et étudier ces mondes par étapes à commencer par le survol…
Après avoir lancé les programmes Pioneer (exploration des corps célestes accessibles du système solaire et du milieu interplanétaire – 1958-1978) et Ranger (étude de la surface lunaire - 1961-1965), les Etats-Unis engagent en 1961 Mariner, un programme dédié aux planètes intérieures (Mercure, Vénus, Mars – 1962-1973). Outre la maîtrise de la navigation au long cours (d’où le nom du programme) et d’un certain nombre d’opérations (communication lointaine, correction de trajectoire, etc.), les deux premières sondes Mariner sont affectées à l’étude de Vénus. Pour les Américains, il s’agit également de ne pas laisser les Soviétiques seuls « à l’assaut » de l’étoile du berger. En effet, ces derniers viennent en février 1961 de lancer deux engins Venera, mais l’un ne quitte pas l’orbite terrestre, l’autre dysfonctionne et tout contact est perdu quelques jours plus tard. Bien que muette, la seconde passe à environ 100 000 km de Vénus. Les Américains comptent bien faire mieux.
Le lanceur prévu n’étant pas prêt, deux sondes Mariner allégées (Mariner-Venus ou Mariner R), d’une largeur de 4,9 m et d’une hauteur de 3,7 m pour une masse totale chacune d’un peu plus de 200 kg (dont 22 kg pour l’instrumentation), sont conçues à partir des Ranger (d’où le qualificatif R). Si elles reprennent la structure de ces dernières (plate-forme hexagonale avec deux panneaux solaires rectangulaires et une tour conique recevant les instruments de mesure), des nouveautés techniques sont cependant apportées, comme la stabilisation des engins sur trois axes, offrant une meilleure manœuvrabilité. Pour assurer les diverses communications, les sondes sont dotées de trois antennes, dont une grande parabole de 1,2 m de diamètre fixée en dessous.
Quant aux appareils scientifiques, Mariner 1 et 2 ont quasi les mêmes instruments. A bord de Mariner 2, se trouvent un radiomètre micro-onde (mesure du rayonnement de Vénus), un radiomètre infrarouge (température de la planète), un magnétomètre (champ magnétique), des détecteurs de particules, de vent solaire et de poussières cosmiques, des expériences de mécanique céleste (mesure des masses de Vénus et de la Lune, etc.). La charge utile étant déjà conséquente et sachant que Vénus a une atmosphère particulièrement dense empêchant de voir le sol, aucun système d’imagerie embarque dans les deux Mariner.
Le 22 juillet 1962, une fusée Atlas-Agena décolle avec Mariner 1, mais 294 secondes plus tard « Echec de Mariner I dont la fusée porteuse a dû être détruite en vol », comme l’annonce le 23 La Liberté, en raison du fait que le lanceur a dévié de sa trajectoire. Au grand soulagement des responsables, le lancement de la sonde jumelle Mariner 2 (à l’aide d’un Atlas-Agena) réussit le 27 août suivant, tandis que du côté soviétique les trois tentatives de lancement vers Vénus échouent toutes (25 août, 1er et 12 septembre) ; l’opportunité est à saisir pour les Américains…
Placée sur une orbite de transfert héliosynchrone, Mariner déploie ses panneaux solaires, ses instruments et la grande antenne sont progressivement activés ou orientés et, comme l’annonce le 28 La Nouvelle République, « Mariner II est parti pour un voyage de 291 millions de km » d’une durée de trois mois et demi. Se trouvant à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre, une correction de trajectoire est réalisée le 4 septembre afin de mieux diriger la sonde vers sa cible – une première dans les vols interplanétaires. Au cours du vol, Mariner 2 rencontre un certain nombre de difficultés (panne du système de stabilisation, défaillance d’un panneau solaire…), résiste même à une éruption solaire fin octobre.
Le 12 décembre, le logiciel de bord présente à son tour des problèmes l’empêchant de déclencher automatiquement les prises de données. Tout doit alors se faire manuellement. Malgré cela, la sonde effectue correctement le 14 le survol à une distance d’environ 34 800 km d’altitude, devenant ainsi le premier vaisseau spatial à survoler et à transmettre des données (qu’elle renvoie à la Terre jusque début janvier) d’une planète autre que la nôtre.
Incontestablement, Mariner 2 a réalisé un grand succès astronautique en effectuant un voyage au long cours, alors que la plupart des satellites et sondes spatiales de l’époque ont des durées de vie limitées ; les instruments ont également plutôt bien résisté aux radiations et autres particules du milieu interplanétaire. Dans Le Monde du 15 décembre 1962, Nicolas Vichney, dans son article « Mariner-II va pendant quarante-deux minutes observer Vénus … », considère trois faits caractérisant la prouesse de Mariner : frôler Vénus alors qu’elle se trouvait à environ 50 millions de kilomètres, maintenir des contacts radio à une distance record, obtenir des données scientifiques d’un monde méconnu… ce que le rival idéologique ne réussissait alors pas.
Bien que la sonde ne fasse qu’un survol de la planète, celle-ci collecte au total 11 millions de données, permettant d’en savoir plus sur la planète : une pression au sol élevée, une température de surface de 420°C (côté obscur) à 460°C (côté éclairé), une atmosphère principalement constituée de dioxyde de carbone, etc., ou encore l’absence d’un champ magnétique comme le note Le Figaro le 28 décembre : « Révélation de Mariner II : Vénus ne possède pas de champ magnétique ». Mariner apporte également de précieuses informations sur le milieu dans lequel elle a évolué comme la poussière interplanétaire se révélant moins importante que prévu, la présence d’un fort champ magnétique solaire avec des particules de haute énergie, etc.
Toutefois, comme l’a récemment écrit Eric Bottlaender sur le site Clubic, la mission Mariner 2 « reste un accomplissement majeur… mais ironiquement, alors même que les États-Unis ont réussi cette première, il s'agissait essentiellement d'une prouesse technique sans suite majeure. L'URSS de son côté poursuivra durant deux décennies son programme Venera avec plus d'une dizaine de missions et des succès majeurs jusqu'à la surface de Vénus ». Emettant pour la dernière fois le 3 janvier 1963, Mariner 2, inactive, évolue à jamais sur une orbite héliosynchrone…
- Un article, « Avec Mariner 2, survoler Vénus en premier », Eric Bottlaender, 19 novembre 2022
- Les communiqués de presse du JPL, « Mariner Spacecraft », 19 juillet 1962 ; « Mariner Scientific Experiments », 19 juillet 1962
- Archives de la Nasa/JPL sur Mariner 2
- Vidéo du lancement de Mariner 2, Nasa, décembre 1962.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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