Lancé le 10 juillet 1962 par les Etats-Unis, le satellite Telstar 1 inaugurait l’ère des télécommunications par satellite. La France y participait.
Jusqu’à la fin des années cinquante, les télécommunications entre les continents sont encore limitées. Bien qu’il existe des câbles sous-marins reliant l’Europe à l’Amérique, ceux-ci ne permettent pas de télévision en direct. Avec l’utilisation récente des faisceaux hertziens, les ondes radioélectriques ultracourtes apparaissent comme une solution à condition de les propager à l’aide de relais. Mais, dans le cadre des liaisons intercontinentales, il n’est guère possible de placer des relais sur les immensités océaniques…
Spécialiste du radar et écrivain talentueux de science-fiction, le Britannique Arthur C. Clarke définit dès octobre 1945 dans son article « Extra-terrestrial Relays » le concept de satellites jouant le rôle de plateforme pour relayer des signaux de télévision provenant de la Terre. Il propose de les placer à 42 000 km d’altitude dans le plan de l’équateur : ainsi, tournant à la même vitesse que la Terre et apparaissant immobile pour les Terriens, ils émettraient en permanence. S’intéressant au concept de Clarke, l’ingénieur américain John Robinson Pierce, travaillant pour l’American Telephone-Telegraph (ATT), le développe et en définit les caractéristiques techniques pour réaliser un satellite placé au-dessus de l’Atlantique assurant les liaisons entre les continents européen et américain. Le concept est d’autant plus crédible que survient le 4 octobre 1957 le premier satellite artificiel qui, depuis son orbite basse, émet par radio ses fameux « bip, bip, bip ».
Dès 1959, la Nasa américaine lance le programme expérimental Echo, consistant en un satellite-ballon passif d’environ 30 m de diamètre (gonflé en orbite), dont la surface métallisée favorise la réflexion des ondes hertziennes permettant le contact entre deux points à la surface de la planète. Le 12 août 1960, Echo 1A est satellisé et, pour la première fois, des signaux de communication sont transmis de Goldstone en Californie à Holmdel dans le New Jersey. En France, Pierre Marzin, le directeur du Centre national d’études des télécommunications (Cnet), saisit l’occasion donnée par la Nasa qui sollicite alors ses alliés occidentaux à participer aux expérimentations. Ainsi, quelques jours après le lancement d’Echo, un signal réfléchi est capté par une antenne au fort militaire d’Issy-les-Moulineaux. En avril 1961, les PTT et le Cnet signent une convention avec la Nasa et la société ATT qui s’apprêtent à aller plus loin.
Construits par Bell Telephone Laboratories pour ATT, plusieurs prototypes de satellites Telstar sont appelés à être lancés par la Nasa (qui doit aussi assurer les fonctions de suivi et de télémétrie). D’une masse de 77 kg, Telstar ressemble à une sphère à 72 facettes de 88 cm de diamètre, équipé de 3 600 cellules photoélectriques pour alimenter le satellite en énergie. Pour effectuer les communications, plusieurs stations terrestres sont prévues : une à Andover dans le Maine (réplique plus grande que celle des laboratoires Bell de Holmdel), une en Angleterre à Goonhilly Downs en Cornouailles, et une autre à Pleumeur-Bodou en Bretagne française. Cette dernière, sous l’impulsion du Cnet, est construite en un temps record de neuf mois !
Le 10 juillet 1962, Telstar est lancé depuis Cap Canveral par une fusée Delta et est placé sur une orbite de 954 km de périgée et 5 637 km d’apogée (avec une inclinaison de 44,79°), pour une période de révolution de 2h37 min. Dix minutes après le lancement, « à la station de réception de Pleumeur-Bodou, le radar de détection fouillait le ciel, annonce les actualités françaises du 18 juillet. (…) le contact était établi. Le deuxième radar entrait en action pour assurer un pointage plus précis à deux centièmes de degrés près (…). Lorsqu’à l’occasion de son sixième passage, le satellite put être capté à la fois par l’Europe et les Etats-Unis, la première émission de télévision transocéanique près de Andover aux USA devenait possible. La mission de Telstar était de relayer cette émission pendant sept minutes. A Lannion, l’heure du suspens sonnait maintenant (…) et à 0h49 la première image apparaissait. Pour la première fois, une image de télévision était transmise en direct d’un continent à un autre », montrant alors le drapeau américain flottant au vent…
Le 23 juillet, la première retransmission publique de télévision en mondovision commence entre Andover, Goonhilly et Pleumeur-Bodou. Des millions de téléspectateurs américains et européens peuvent suivre un débat entre personnalités des deux continents, mais aussi une conférence de presse de John Kennedy. Dans les heures et jours qui suivent, d’autres émissions diffusent des chansons (La chansonnette d’Yves Montand dès le 12 juillet), des épreuves sportives (match de base-ball), etc. ; le satellite n’étant cependant pas sur une orbite géostationnaire, celles-ci ne duraient qu’à peine vingt minutes.
Telstar 1 ne fonctionne correctement que jusqu’en novembre, son électronique dysfonctionne prématurément à cause d’essais nucléaires à haute altitude (américain le 9 juillet, soviétique en août), et dont les radiations finissent par détériorer plusieurs satellites, dont Telstar qui est désactivé le 21 février 1963.
Les images de Telstar excitent les imaginations. En France, on assiste à un véritable déluge médiatique : La Liberté (11 juillet) titre « Un extraordinaire succès scientifique après le lancement du satellite Telstar. LES IMAGES DE LA TELEVISION AMERICAINE ONT ETE RECUES LA NUIT DERNIERE EN FRANCE » ; L’Humanité (11 juillet), « La télévision spatiale est née avec Telstar » ; La Nouvelle République (11 juillet), « TV DES ETOILES aujourd’hui à 13 heures » ; L’Humanité (12 juillet), « TELSTAR : VOICI LA PREMIERE IMAGE DE LA MONDIOVISION » ; France-soir (25 juillet), « Europe et Amérique ont échangé leurs images via Telstar », etc. Telstar influence et nourrit littéralement la culture populaire. On voit ainsi naître des magazines s’appropriant le nom du satellite comme Telstar La presse, ou encore TELSTAR Une étoile en plein jour (pour un public plus féminin). Les compagnons de la chanson lui dédient même un titre commençant par : « Tout là-haut, plus haut que les oiseaux, un astre brille dans le ciel au cœur du silence, il se balance dans l’azur éblouissant d’un beau dimanche (…) » ! Quelques années plus tard, en 1970, l’entreprise Adidas présentera lors de la Coupe du Monde de football au Mexique, le ballon Telstar, blanc à tâches noires, plus perceptible sur les téléviseurs couleurs…
Ainsi, si Telstar est la première mission de vol spatial développée par une entreprise privée, à l’incontestable succès technologique et médiatique, certains ont vu en lui la possibilité d’être aussi un moyen pour contribuer à promouvoir la paix en améliorant les communications entre les peuples… En attendant, en France, le général de Gaulle se rend le 19 octobre 1962 à Pleumeur-Bodou pour inaugurer officiellement le Centre de télécommunication par satellite (CTS) et y féliciter tous ceux qui ont alors permis à la France d’entrer dans l’ère des télécommunications et, à la fin de son discours, il lâche : « Vive la science française ! ».
- Un article : « Extra-Terrestrial Relays », Arthur C. Clarke, in Wireless World, octobre 1945, en ligne
- Un site : « La transmission par satellite », in Histoire des télécommunications françaises, Claude Rizzo-Vignaud, Paris, 2015
- Un reportage : La réception de la première Mondovision, Les Actualités françaises du 18 juillet 1962, INA
- La conférence de presse de J.-F. Kennedy du 23 juillet 1962 relayée par le satellite Telstar
- Une chanson sur Telstar par les Compagnons de la chanson en 1962.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Lancé le 10 juillet 1962 par les Etats-Unis, le satellite Telstar 1 inaugurait l’ère des télécommunications par satellite. La France y participait.
Jusqu’à la fin des années cinquante, les télécommunications entre les continents sont encore limitées. Bien qu’il existe des câbles sous-marins reliant l’Europe à l’Amérique, ceux-ci ne permettent pas de télévision en direct. Avec l’utilisation récente des faisceaux hertziens, les ondes radioélectriques ultracourtes apparaissent comme une solution à condition de les propager à l’aide de relais. Mais, dans le cadre des liaisons intercontinentales, il n’est guère possible de placer des relais sur les immensités océaniques…
Spécialiste du radar et écrivain talentueux de science-fiction, le Britannique Arthur C. Clarke définit dès octobre 1945 dans son article « Extra-terrestrial Relays » le concept de satellites jouant le rôle de plateforme pour relayer des signaux de télévision provenant de la Terre. Il propose de les placer à 42 000 km d’altitude dans le plan de l’équateur : ainsi, tournant à la même vitesse que la Terre et apparaissant immobile pour les Terriens, ils émettraient en permanence. S’intéressant au concept de Clarke, l’ingénieur américain John Robinson Pierce, travaillant pour l’American Telephone-Telegraph (ATT), le développe et en définit les caractéristiques techniques pour réaliser un satellite placé au-dessus de l’Atlantique assurant les liaisons entre les continents européen et américain. Le concept est d’autant plus crédible que survient le 4 octobre 1957 le premier satellite artificiel qui, depuis son orbite basse, émet par radio ses fameux « bip, bip, bip ».
Dès 1959, la Nasa américaine lance le programme expérimental Echo, consistant en un satellite-ballon passif d’environ 30 m de diamètre (gonflé en orbite), dont la surface métallisée favorise la réflexion des ondes hertziennes permettant le contact entre deux points à la surface de la planète. Le 12 août 1960, Echo 1A est satellisé et, pour la première fois, des signaux de communication sont transmis de Goldstone en Californie à Holmdel dans le New Jersey. En France, Pierre Marzin, le directeur du Centre national d’études des télécommunications (Cnet), saisit l’occasion donnée par la Nasa qui sollicite alors ses alliés occidentaux à participer aux expérimentations. Ainsi, quelques jours après le lancement d’Echo, un signal réfléchi est capté par une antenne au fort militaire d’Issy-les-Moulineaux. En avril 1961, les PTT et le Cnet signent une convention avec la Nasa et la société ATT qui s’apprêtent à aller plus loin.
Construits par Bell Telephone Laboratories pour ATT, plusieurs prototypes de satellites Telstar sont appelés à être lancés par la Nasa (qui doit aussi assurer les fonctions de suivi et de télémétrie). D’une masse de 77 kg, Telstar ressemble à une sphère à 72 facettes de 88 cm de diamètre, équipé de 3 600 cellules photoélectriques pour alimenter le satellite en énergie. Pour effectuer les communications, plusieurs stations terrestres sont prévues : une à Andover dans le Maine (réplique plus grande que celle des laboratoires Bell de Holmdel), une en Angleterre à Goonhilly Downs en Cornouailles, et une autre à Pleumeur-Bodou en Bretagne française. Cette dernière, sous l’impulsion du Cnet, est construite en un temps record de neuf mois !
Le 10 juillet 1962, Telstar est lancé depuis Cap Canveral par une fusée Delta et est placé sur une orbite de 954 km de périgée et 5 637 km d’apogée (avec une inclinaison de 44,79°), pour une période de révolution de 2h37 min. Dix minutes après le lancement, « à la station de réception de Pleumeur-Bodou, le radar de détection fouillait le ciel, annonce les actualités françaises du 18 juillet. (…) le contact était établi. Le deuxième radar entrait en action pour assurer un pointage plus précis à deux centièmes de degrés près (…). Lorsqu’à l’occasion de son sixième passage, le satellite put être capté à la fois par l’Europe et les Etats-Unis, la première émission de télévision transocéanique près de Andover aux USA devenait possible. La mission de Telstar était de relayer cette émission pendant sept minutes. A Lannion, l’heure du suspens sonnait maintenant (…) et à 0h49 la première image apparaissait. Pour la première fois, une image de télévision était transmise en direct d’un continent à un autre », montrant alors le drapeau américain flottant au vent…
Le 23 juillet, la première retransmission publique de télévision en mondovision commence entre Andover, Goonhilly et Pleumeur-Bodou. Des millions de téléspectateurs américains et européens peuvent suivre un débat entre personnalités des deux continents, mais aussi une conférence de presse de John Kennedy. Dans les heures et jours qui suivent, d’autres émissions diffusent des chansons (La chansonnette d’Yves Montand dès le 12 juillet), des épreuves sportives (match de base-ball), etc. ; le satellite n’étant cependant pas sur une orbite géostationnaire, celles-ci ne duraient qu’à peine vingt minutes.
Telstar 1 ne fonctionne correctement que jusqu’en novembre, son électronique dysfonctionne prématurément à cause d’essais nucléaires à haute altitude (américain le 9 juillet, soviétique en août), et dont les radiations finissent par détériorer plusieurs satellites, dont Telstar qui est désactivé le 21 février 1963.
Les images de Telstar excitent les imaginations. En France, on assiste à un véritable déluge médiatique : La Liberté (11 juillet) titre « Un extraordinaire succès scientifique après le lancement du satellite Telstar. LES IMAGES DE LA TELEVISION AMERICAINE ONT ETE RECUES LA NUIT DERNIERE EN FRANCE » ; L’Humanité (11 juillet), « La télévision spatiale est née avec Telstar » ; La Nouvelle République (11 juillet), « TV DES ETOILES aujourd’hui à 13 heures » ; L’Humanité (12 juillet), « TELSTAR : VOICI LA PREMIERE IMAGE DE LA MONDIOVISION » ; France-soir (25 juillet), « Europe et Amérique ont échangé leurs images via Telstar », etc. Telstar influence et nourrit littéralement la culture populaire. On voit ainsi naître des magazines s’appropriant le nom du satellite comme Telstar La presse, ou encore TELSTAR Une étoile en plein jour (pour un public plus féminin). Les compagnons de la chanson lui dédient même un titre commençant par : « Tout là-haut, plus haut que les oiseaux, un astre brille dans le ciel au cœur du silence, il se balance dans l’azur éblouissant d’un beau dimanche (…) » ! Quelques années plus tard, en 1970, l’entreprise Adidas présentera lors de la Coupe du Monde de football au Mexique, le ballon Telstar, blanc à tâches noires, plus perceptible sur les téléviseurs couleurs…
Ainsi, si Telstar est la première mission de vol spatial développée par une entreprise privée, à l’incontestable succès technologique et médiatique, certains ont vu en lui la possibilité d’être aussi un moyen pour contribuer à promouvoir la paix en améliorant les communications entre les peuples… En attendant, en France, le général de Gaulle se rend le 19 octobre 1962 à Pleumeur-Bodou pour inaugurer officiellement le Centre de télécommunication par satellite (CTS) et y féliciter tous ceux qui ont alors permis à la France d’entrer dans l’ère des télécommunications et, à la fin de son discours, il lâche : « Vive la science française ! ».
- Un article : « Extra-Terrestrial Relays », Arthur C. Clarke, in Wireless World, octobre 1945, en ligne
- Un site : « La transmission par satellite », in Histoire des télécommunications françaises, Claude Rizzo-Vignaud, Paris, 2015
- Un reportage : La réception de la première Mondovision, Les Actualités françaises du 18 juillet 1962, INA
- La conférence de presse de J.-F. Kennedy du 23 juillet 1962 relayée par le satellite Telstar
- Une chanson sur Telstar par les Compagnons de la chanson en 1962.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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