En octobre 1957, alors que les Soviétiques procédaient au lancement de leur premier Spoutnik, les Etats-Unis réalisaient des expérimentations originales : des lancements de fusée à partir de nacelle-ballon.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les physiciens sont sur le point de disposer de fusées-sondes pour explorer la haute atmosphère. Toutefois, les technologies sont encore rudimentaires pour amener une charge utile à de hautes altitudes…
Des ballons pour envoyer des fusées dans l’atmosphère.
Une poignée de spécialistes américains, parmi lesquels le physicien James van Allen, réfléchit à une méthode simple et rapide pouvant amener 18 kg d’appareils scientifiques de 50 à 100 km d’altitude, permettant d’effectuer des études in situ de la haute atmosphère. Soutenus par l’ONR, l’Office of Naval Research de l’USAF (l’Office scientifique de recherches maritimes de l’Armée de l’Air), ces spécialistes imaginent dès 1949 le moyen de tirer une petite fusée (à propulsion solide) depuis… une nacelle suspendue à un ballon. Le programme Rockoon (Rocket/Balloon) était né.
Ne pouvant procéder aux tirs des Rockoon depuis le sol pour des raisons de sécurité, James van Allen les effectue depuis un brise-glace à proximité du Groenland. Son objectif est alors de prendre des mesures proches du pôle magnétique pour en savoir plus sur les phénomènes de rayonnements qui se produisent dans la haute atmosphère. Le système Rockoon est testé pour la première fois le 29 juillet 1952, mais il échoue. Après plusieurs autres tests, la première expérience scientifique est effectuée le 29 août suivant : ce jour-là, la petite fusée Deacon, lancée depuis 77,55 latitude Nord et 73,50 de longitude Ouest, atteint l’altitude de 60 km et réalise avec succès l’expérience embarquée pour le compte de l’Université de l’Iowa.
Au total, 77 Deacon sont lancés depuis un ballon entre le 21 août 1952 et 27 juillet 1956. Le système Rockoon permet notamment de détecter la présence de radiations piégées dans le champ magnétique. D’autres fusées sont utilisées, dont les Loki, dépassant les 100 km d’altitude.
La dynamique de l’AGI.
Au cours de la seconde moitié des années cinquante, se profile l’Année géophysique internationale (AGI), une manifestation internationale qui prévoie pour 1957-58 une étude globale de la Terre, y compris de la haute atmosphère. De nombreuses fusées-sondes ainsi que des satellites artificiels sont prévus pour cette occasion. Le concept Rockoon revient au goût du jour avec, cette fois-ci, l’ambition d’atteindre des altitudes plus élevées et à moindre coût…
En 1956, l’ONR décide le lancement par ballons de six fusées dans le cadre du programme Farside : des ballons de 60 m de diamètre (soit un volume de 106 188 m3) gonflés à l’hélium sont fournis par General Mills Co, tandis que des fusées-sondes Farside sont fabriquées par Aeronutronic Systems Inc, une filiale de Ford Motors Co. La responsabilité du programme incombe à H. F. Gregory et à Morton H. Alperin (directeur des programmes avancés de l’ONR).
Chaque fusée Farside est structurée par 4 étages à propulsion solide : le 1er étage est composé de quatre Recruit, le 2e d’un seul Recruit, le 3e de quatre Arrow 2 et le 4e étage d’un seul Arrow 2, le tout délivrant une poussée de 667 kN. Au sommet de l’engin se trouve une pointe emportant les appareils scientifiques fournis par l’Université du Maryland. D’une masse totale d’environ 900 kg pour une hauteur de 7,30 m, l’ensemble est placé dans une nacelle en aluminium. Les lancements doivent se faire depuis Eniwetok, un atoll localisé au nord-ouest des îles Marshall, au cœur de l’océan Pacifique.
Farside vs Spoutnik.
Lancé le 25 septembre 1957, le premier Farside échoue à cause du ballon qui se déchire. Le deuxième lancement est planifié peu de temps avant l’événement du Spoutnik 1 : le 3 octobre, le ballon s’élève alors doucement pendant plusieurs heures puis, vers l’altitude de 30 à 32 km, un ordre radio déclenche les moteurs de la fusée qui traverse rapidement le ballon en direction de l’espace. L’ensemble atteint l’altitude de 800 km et… endommagée lors de l’ascension, la radio n’arrive pas à renvoyer les données attendues. Quant au Spoutnik soviétique, il remporte peu après un succès planétaire sans appel, éclipsant l’opération Farside…
Néanmoins, quatre autres Farside suivent comme prévu les 7, 11, 20 et 22 octobre. Le succès n’est cependant au rendez-vous qu’avec le cinquième lancement : l’engin, dépassant les 5 000 km d’altitude, a renvoyé des observations et des mesures sur le milieu traversé. Le programme s’arrête néanmoins, faute de crédits.
Précisons que la mauvaise télémétrie a semble-t-il handicapé le bon déroulement des opérations. Il est très probable que les instruments scientifiques auraient pu collecter davantage d’informations sur la partie basse de la ceinture de radiation de van Allen. Toutefois, Farside a tout de même permis de réunir des données utiles pour Explorer 1, le premier satellite artificiel américain qui, placé sur orbite fin janvier 1958, mettra clairement en lumière ladite ceinture de radiation.
Renaissance ?
La page d’histoire du concept Rockoon semble ne pas être tournée. En effet, la société espagnole zero2infinity a récemment repris l’idée avec pour objectif l’emport à de hautes altitudes –à l’aide d’une fusée et d’un ballon (système Bloostar)– de petites charges scientifiques ou commerciales, voire des microsatellites placés sur orbite basse…
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Références.
Un ouvrage : International Missile and Spacecraft Guide, par Frederick I. Ordway III, Ronald C. Wakeford, McGraw-Hill, 1960
Une vidéo : Space Race. US In Lead With 4 000 mile Rocket, in Les actualités d’Universal International News, octobre 1957
En octobre 1957, alors que les Soviétiques procédaient au lancement de leur premier Spoutnik, les Etats-Unis réalisaient des expérimentations originales : des lancements de fusée à partir de nacelle-ballon.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les physiciens sont sur le point de disposer de fusées-sondes pour explorer la haute atmosphère. Toutefois, les technologies sont encore rudimentaires pour amener une charge utile à de hautes altitudes…
Des ballons pour envoyer des fusées dans l’atmosphère.
Une poignée de spécialistes américains, parmi lesquels le physicien James van Allen, réfléchit à une méthode simple et rapide pouvant amener 18 kg d’appareils scientifiques de 50 à 100 km d’altitude, permettant d’effectuer des études in situ de la haute atmosphère. Soutenus par l’ONR, l’Office of Naval Research de l’USAF (l’Office scientifique de recherches maritimes de l’Armée de l’Air), ces spécialistes imaginent dès 1949 le moyen de tirer une petite fusée (à propulsion solide) depuis… une nacelle suspendue à un ballon. Le programme Rockoon (Rocket/Balloon) était né.
Ne pouvant procéder aux tirs des Rockoon depuis le sol pour des raisons de sécurité, James van Allen les effectue depuis un brise-glace à proximité du Groenland. Son objectif est alors de prendre des mesures proches du pôle magnétique pour en savoir plus sur les phénomènes de rayonnements qui se produisent dans la haute atmosphère. Le système Rockoon est testé pour la première fois le 29 juillet 1952, mais il échoue. Après plusieurs autres tests, la première expérience scientifique est effectuée le 29 août suivant : ce jour-là, la petite fusée Deacon, lancée depuis 77,55 latitude Nord et 73,50 de longitude Ouest, atteint l’altitude de 60 km et réalise avec succès l’expérience embarquée pour le compte de l’Université de l’Iowa.
Au total, 77 Deacon sont lancés depuis un ballon entre le 21 août 1952 et 27 juillet 1956. Le système Rockoon permet notamment de détecter la présence de radiations piégées dans le champ magnétique. D’autres fusées sont utilisées, dont les Loki, dépassant les 100 km d’altitude.
La dynamique de l’AGI.
Au cours de la seconde moitié des années cinquante, se profile l’Année géophysique internationale (AGI), une manifestation internationale qui prévoie pour 1957-58 une étude globale de la Terre, y compris de la haute atmosphère. De nombreuses fusées-sondes ainsi que des satellites artificiels sont prévus pour cette occasion. Le concept Rockoon revient au goût du jour avec, cette fois-ci, l’ambition d’atteindre des altitudes plus élevées et à moindre coût…
En 1956, l’ONR décide le lancement par ballons de six fusées dans le cadre du programme Farside : des ballons de 60 m de diamètre (soit un volume de 106 188 m3) gonflés à l’hélium sont fournis par General Mills Co, tandis que des fusées-sondes Farside sont fabriquées par Aeronutronic Systems Inc, une filiale de Ford Motors Co. La responsabilité du programme incombe à H. F. Gregory et à Morton H. Alperin (directeur des programmes avancés de l’ONR).
Chaque fusée Farside est structurée par 4 étages à propulsion solide : le 1er étage est composé de quatre Recruit, le 2e d’un seul Recruit, le 3e de quatre Arrow 2 et le 4e étage d’un seul Arrow 2, le tout délivrant une poussée de 667 kN. Au sommet de l’engin se trouve une pointe emportant les appareils scientifiques fournis par l’Université du Maryland. D’une masse totale d’environ 900 kg pour une hauteur de 7,30 m, l’ensemble est placé dans une nacelle en aluminium. Les lancements doivent se faire depuis Eniwetok, un atoll localisé au nord-ouest des îles Marshall, au cœur de l’océan Pacifique.
Farside vs Spoutnik.
Lancé le 25 septembre 1957, le premier Farside échoue à cause du ballon qui se déchire. Le deuxième lancement est planifié peu de temps avant l’événement du Spoutnik 1 : le 3 octobre, le ballon s’élève alors doucement pendant plusieurs heures puis, vers l’altitude de 30 à 32 km, un ordre radio déclenche les moteurs de la fusée qui traverse rapidement le ballon en direction de l’espace. L’ensemble atteint l’altitude de 800 km et… endommagée lors de l’ascension, la radio n’arrive pas à renvoyer les données attendues. Quant au Spoutnik soviétique, il remporte peu après un succès planétaire sans appel, éclipsant l’opération Farside…
Néanmoins, quatre autres Farside suivent comme prévu les 7, 11, 20 et 22 octobre. Le succès n’est cependant au rendez-vous qu’avec le cinquième lancement : l’engin, dépassant les 5 000 km d’altitude, a renvoyé des observations et des mesures sur le milieu traversé. Le programme s’arrête néanmoins, faute de crédits.
Précisons que la mauvaise télémétrie a semble-t-il handicapé le bon déroulement des opérations. Il est très probable que les instruments scientifiques auraient pu collecter davantage d’informations sur la partie basse de la ceinture de radiation de van Allen. Toutefois, Farside a tout de même permis de réunir des données utiles pour Explorer 1, le premier satellite artificiel américain qui, placé sur orbite fin janvier 1958, mettra clairement en lumière ladite ceinture de radiation.
Renaissance ?
La page d’histoire du concept Rockoon semble ne pas être tournée. En effet, la société espagnole zero2infinity a récemment repris l’idée avec pour objectif l’emport à de hautes altitudes –à l’aide d’une fusée et d’un ballon (système Bloostar)– de petites charges scientifiques ou commerciales, voire des microsatellites placés sur orbite basse…
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Références.
Un ouvrage : International Missile and Spacecraft Guide, par Frederick I. Ordway III, Ronald C. Wakeford, McGraw-Hill, 1960
Une vidéo : Space Race. US In Lead With 4 000 mile Rocket, in Les actualités d’Universal International News, octobre 1957
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