Le 16 juin 1963, deux vaisseaux habités soviétiques réalisaient le deuxième vol jumelé de l’histoire. Dans l’un des deux se trouvait Valentina Terechkova, une jeune femme de 26 ans.
[Suite de l’article paru le 18 juin 2018 sur notre site]
De l’ombre à la lumière.
Jusqu’au dernier moment, toutes les opérations conduisant au vol spatial de la première femme ont été tenues au secret, comme cela était de coutume sous le régime soviétique. Ainsi, l’échec pouvait être dissimulé ou minimisé. En cas de succès, cela permettait au contraire d’auréoler un peu plus la science et la technologie soviétiques, le tout savamment relayé par les différents médias à commencer par les plus complaisants à l’égard de l’idéologie communiste.
Ainsi, en France, l’Humanité titre le 18 juin 1963 : « Tandis que le monde entier exprime son admiration, LA RONDE COSMIQUE DE VALERI ET VALENTINA se poursuit dans d’excellentes conditions ». Nombreux ont ainsi été les médias enchantés par le fait qu’une femme tournait autour de la Terre, certes accompagnée par un homme mais néanmoins seule dans son vaisseau. La Liberté titrait le 17 juin : « Valentina (Vostok 6) tourne en même temps que Bykovski. La première cosmonaute du monde (jolie brune de 26 ans) semble très à l’aise dans sa cabine spatiale ». La « preuve » était apportée qu’une femme pouvait donc s’épanouir comme un homme dans un milieu de micropesanteur. Toutefois, le vol ne s’est pas déroulé de manière aussi parfaite que la propagande ne le laissait croire…
Les difficultés pendant le vol.
Au cours de la mission orbitale, Valentina Terechkova a éprouvé un certain nombre de problèmes, telles que des nausées et de la fatigue. Cela n’avait cependant rien de spectaculaire, d’autres cosmonautes ont connu et connaitront ces désagréments. Néanmoins, Valentina semble avoir dormi plus longtemps que prévu, ce qui a mis les équipes au sol dans un stress certain.
Plus grave, elle n’a pas confirmé au sol le processus de déroulement du retour sur Terre, comme le début du cycle automatique, l’orientation du vaisseau, l’allumage et l’extinction du moteur, etc. Pour le spécialiste de la cosmonautique russe Christian Lardier [et ancien responsable de la rubrique Espace d’Air & Cosmos], « Le sol était donc très inquiet car il ne savait rien sur ce qu’il advenait du vaisseau et de son passager. Je pense que c’est ce dernier point qui a provoqué la colère de Korolev » qui, après coup, était encore moins favorable à renvoyer une femme dans l’espace. Aucune autre Soviétique ne revolera ainsi avant Svetlana Savitskaïa, en août 1982. Ajoutons que la mort de Sergueï Korolev, en janvier 1966, et celle du cosmonaute Vladimir Komarov, en avril 1967 lors de son retour sur Terre, n’ont pas offert un terrain favorable au vol d’autres femmes, à commencer par celui des doublures de Terechkova, Valentina Ponomariova et Irina Soloviova.
Pendant le vol, Valentina Terechkova a rencontré un autre souci, plus important encore : le dysfonctionnement dans le système d’orientation du vaisseau. Elle s’en expliquera bien des années plus tard, notamment lors d’une interview donnée en 2011 : « Je dois dire que mon vaisseau spatial avait un défaut sur un système automatique. Pendant la phase de freinage, le vaisseau était orienté non pas pour la descente mais pour la montée. Son orbite remontait. Du coup, j’aurais pu ne pas revenir. (…). J’ai transmis cette information au Constructeur principal Sergueï Korolev. Et j’ai reçu les correctifs qui m’ont permis de rentrer sur Terre ». Les responsables se sont bien gardés de communiquer sur ce problème, non imputable à Valentina. « A cette époque, précisera-t-elle, on ne travaillait pas normalement, parce qu’on était en opposition avec les Américains. C’est pourquoi le Constructeur principal m’a dit : "On n’en parle pas" ». Valentina respectera l’ordre pendant plusieurs décennies…
Les réactions médiatiques
Pendant que Valentina effectue sa mission, les médias occidentaux se prennent de passion pour son « extraordinaire aventure ». Ceux-ci posent notamment la question de l’intérêt d’envoyer une femme dans l’espace. Par exemple, le quotidien La Liberté écrit le 17 juin 1963 en une et en dernière page : « Pourquoi une femme ? ». La réponse donnée est la suivante : « 1. Techniquement, la présence d’une femme à bord du Vostok 6 ne présente pas un intérêt majeur. (…) La cosmonaute a un rôle de démonstration et d’illustration. 2. Biologiquement et physiologiquement, un intérêt certain apparaît. Cet intérêt prend un sens pratique dans les vaisseaux spatiaux de l’avenir lointain. (…) Des éléments nouveaux peuvent entrer en jeu : système nerveux, mécanisme hormonale et glandulaire, fonctions reproductrices notamment. (…) 3. Psychologiquement, l’intérêt du lancement d’une femme dans l’espace est majeur et se passe de commentaires ».
Côté soviétique, la propagande apporte des éléments d’explication, notamment par l’intermédiaire de Youri Gagarine. Ainsi, dans le livre Bonjour cosmos ! (publié fin août 1963), le premier homme de l’espace souligne que « Pour la première fois, une femme y participait [à l’aventure spatial]. Or, l’homme et la femme, par leurs caractéristiques psychologiques, par leurs aptitudes différentes pour chaque activité et par leurs habitudes acquises, se complètent. Ceci a une importance énorme pour les vols interplanétaires de longue durée. L’harmonie entre les deux genres humains dont témoigne l’expérience « terrestre » depuis des millénaires doit aussi bien remplir ses fonctions dans l’espace cosmiques ». L’intérêt scientifique de faire voler une femme est aussi abordé par la presse. Le 17 juin, Le Figaro évoque les études médico-biologiques, qui sont d’une grande importance pour comprendre « l’influence de divers facteurs du vol cosmique sur l’organisme humain. On procédera notamment à l’analyse comparative de l’influence de ces facteurs sur les organismes masculin et féminin ». Toutefois, le vol de Terechkova a plus relevé de l’exploit technique que scientifique.
Après le vol.
Une fois son exploit réalisé, Valentina Terechkova se marie en novembre 1963avec le cosmonaute Andrian Nikolaïev, avec qui elle aura une fille, Alyona, le « premier enfant de l’espace ». Elle reprend ses études à l’Académie des ingénieurs de l’Air Joukovsky en 1963, devient ingénieure en 1969, puis candidate es sciences techniques en 1977. Parallèlement, la cosmonaute joue également un rôle politique non négligeable, au service du Parti communiste et de la cause des femmes. En 1971, elle devient même membre du Comité central.
En 2011, Valentina déclare que « depuis le premier vol de Youri Gagarine, notre pays a toujours voulu que l’exploration de l’espace soit pacifique parce que la Terre sur laquelle nous vivons n’appartient pas à une seule nation. Et c’est très bien que les chefs d’Etat l’aient compris. Ainsi, aujourd’hui, nous travaillons en coopération dans l’espace ».
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Références
Un ouvrage : Bonjour cosmos !, Valentina Terechkova et Valéry Bykovski, préfacé par Youri Gagarine, EFR, Paris, 1963.
Une interview de Valentina Terechkova sur Enjoy Space TV, 2011.
Le 16 juin 1963, deux vaisseaux habités soviétiques réalisaient le deuxième vol jumelé de l’histoire. Dans l’un des deux se trouvait Valentina Terechkova, une jeune femme de 26 ans.
[Suite de l’article paru le 18 juin 2018 sur notre site]
De l’ombre à la lumière.
Jusqu’au dernier moment, toutes les opérations conduisant au vol spatial de la première femme ont été tenues au secret, comme cela était de coutume sous le régime soviétique. Ainsi, l’échec pouvait être dissimulé ou minimisé. En cas de succès, cela permettait au contraire d’auréoler un peu plus la science et la technologie soviétiques, le tout savamment relayé par les différents médias à commencer par les plus complaisants à l’égard de l’idéologie communiste.
Ainsi, en France, l’Humanité titre le 18 juin 1963 : « Tandis que le monde entier exprime son admiration, LA RONDE COSMIQUE DE VALERI ET VALENTINA se poursuit dans d’excellentes conditions ». Nombreux ont ainsi été les médias enchantés par le fait qu’une femme tournait autour de la Terre, certes accompagnée par un homme mais néanmoins seule dans son vaisseau. La Liberté titrait le 17 juin : « Valentina (Vostok 6) tourne en même temps que Bykovski. La première cosmonaute du monde (jolie brune de 26 ans) semble très à l’aise dans sa cabine spatiale ». La « preuve » était apportée qu’une femme pouvait donc s’épanouir comme un homme dans un milieu de micropesanteur. Toutefois, le vol ne s’est pas déroulé de manière aussi parfaite que la propagande ne le laissait croire…
Les difficultés pendant le vol.
Au cours de la mission orbitale, Valentina Terechkova a éprouvé un certain nombre de problèmes, telles que des nausées et de la fatigue. Cela n’avait cependant rien de spectaculaire, d’autres cosmonautes ont connu et connaitront ces désagréments. Néanmoins, Valentina semble avoir dormi plus longtemps que prévu, ce qui a mis les équipes au sol dans un stress certain.
Plus grave, elle n’a pas confirmé au sol le processus de déroulement du retour sur Terre, comme le début du cycle automatique, l’orientation du vaisseau, l’allumage et l’extinction du moteur, etc. Pour le spécialiste de la cosmonautique russe Christian Lardier [et ancien responsable de la rubrique Espace d’Air & Cosmos], « Le sol était donc très inquiet car il ne savait rien sur ce qu’il advenait du vaisseau et de son passager. Je pense que c’est ce dernier point qui a provoqué la colère de Korolev » qui, après coup, était encore moins favorable à renvoyer une femme dans l’espace. Aucune autre Soviétique ne revolera ainsi avant Svetlana Savitskaïa, en août 1982. Ajoutons que la mort de Sergueï Korolev, en janvier 1966, et celle du cosmonaute Vladimir Komarov, en avril 1967 lors de son retour sur Terre, n’ont pas offert un terrain favorable au vol d’autres femmes, à commencer par celui des doublures de Terechkova, Valentina Ponomariova et Irina Soloviova.
Pendant le vol, Valentina Terechkova a rencontré un autre souci, plus important encore : le dysfonctionnement dans le système d’orientation du vaisseau. Elle s’en expliquera bien des années plus tard, notamment lors d’une interview donnée en 2011 : « Je dois dire que mon vaisseau spatial avait un défaut sur un système automatique. Pendant la phase de freinage, le vaisseau était orienté non pas pour la descente mais pour la montée. Son orbite remontait. Du coup, j’aurais pu ne pas revenir. (…). J’ai transmis cette information au Constructeur principal Sergueï Korolev. Et j’ai reçu les correctifs qui m’ont permis de rentrer sur Terre ». Les responsables se sont bien gardés de communiquer sur ce problème, non imputable à Valentina. « A cette époque, précisera-t-elle, on ne travaillait pas normalement, parce qu’on était en opposition avec les Américains. C’est pourquoi le Constructeur principal m’a dit : "On n’en parle pas" ». Valentina respectera l’ordre pendant plusieurs décennies…
Les réactions médiatiques
Pendant que Valentina effectue sa mission, les médias occidentaux se prennent de passion pour son « extraordinaire aventure ». Ceux-ci posent notamment la question de l’intérêt d’envoyer une femme dans l’espace. Par exemple, le quotidien La Liberté écrit le 17 juin 1963 en une et en dernière page : « Pourquoi une femme ? ». La réponse donnée est la suivante : « 1. Techniquement, la présence d’une femme à bord du Vostok 6 ne présente pas un intérêt majeur. (…) La cosmonaute a un rôle de démonstration et d’illustration. 2. Biologiquement et physiologiquement, un intérêt certain apparaît. Cet intérêt prend un sens pratique dans les vaisseaux spatiaux de l’avenir lointain. (…) Des éléments nouveaux peuvent entrer en jeu : système nerveux, mécanisme hormonale et glandulaire, fonctions reproductrices notamment. (…) 3. Psychologiquement, l’intérêt du lancement d’une femme dans l’espace est majeur et se passe de commentaires ».
Côté soviétique, la propagande apporte des éléments d’explication, notamment par l’intermédiaire de Youri Gagarine. Ainsi, dans le livre Bonjour cosmos ! (publié fin août 1963), le premier homme de l’espace souligne que « Pour la première fois, une femme y participait [à l’aventure spatial]. Or, l’homme et la femme, par leurs caractéristiques psychologiques, par leurs aptitudes différentes pour chaque activité et par leurs habitudes acquises, se complètent. Ceci a une importance énorme pour les vols interplanétaires de longue durée. L’harmonie entre les deux genres humains dont témoigne l’expérience « terrestre » depuis des millénaires doit aussi bien remplir ses fonctions dans l’espace cosmiques ». L’intérêt scientifique de faire voler une femme est aussi abordé par la presse. Le 17 juin, Le Figaro évoque les études médico-biologiques, qui sont d’une grande importance pour comprendre « l’influence de divers facteurs du vol cosmique sur l’organisme humain. On procédera notamment à l’analyse comparative de l’influence de ces facteurs sur les organismes masculin et féminin ». Toutefois, le vol de Terechkova a plus relevé de l’exploit technique que scientifique.
Après le vol.
Une fois son exploit réalisé, Valentina Terechkova se marie en novembre 1963avec le cosmonaute Andrian Nikolaïev, avec qui elle aura une fille, Alyona, le « premier enfant de l’espace ». Elle reprend ses études à l’Académie des ingénieurs de l’Air Joukovsky en 1963, devient ingénieure en 1969, puis candidate es sciences techniques en 1977. Parallèlement, la cosmonaute joue également un rôle politique non négligeable, au service du Parti communiste et de la cause des femmes. En 1971, elle devient même membre du Comité central.
En 2011, Valentina déclare que « depuis le premier vol de Youri Gagarine, notre pays a toujours voulu que l’exploration de l’espace soit pacifique parce que la Terre sur laquelle nous vivons n’appartient pas à une seule nation. Et c’est très bien que les chefs d’Etat l’aient compris. Ainsi, aujourd’hui, nous travaillons en coopération dans l’espace ».
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Références
Un ouvrage : Bonjour cosmos !, Valentina Terechkova et Valéry Bykovski, préfacé par Youri Gagarine, EFR, Paris, 1963.
Une interview de Valentina Terechkova sur Enjoy Space TV, 2011.
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