Le 6 décembre 1965, le lanceur américain Scout plaçait sur orbite FR-1, le premier satellite scientifique français, quelques jours seulement après le A1 (par le lanceur national Diamant).
Au début des années soixante, si la France se donne les moyens d'obtenir rapidement un lanceur (Diamant), elle ne maîtrise cependant pas encore la technologie des satellites. Pour cela, elle compte sur la coopération avec les Etats-Unis pour rattraper son retard.
En 1959, les Etats-Unis proposent aux unions scientifiques ou académies nationales d'embarquer des instruments à bord de leurs fusées-sondes ou satellites artificiels. Ne doutons pas des intérêts qu'ils espèrent alors obtenir en attirant vers eux des compétences et / ou des idées scientifiques d'autres pays. Il n'empêche que la proposition américaine interpelle plusieurs scientifiques français, notamment le jeune physicien Jacques Blamont. En décembre 1960, celui-ci se rend aux Etats-Unis pour entreprendre des négociations au nom du Comité des recherches spatiales (CRS, présidé par Pierre Auger), une structure mise en place en janvier 1959 par de Gaulle pour favoriser l’émergence des activités spatiales nationales. Un premier accord intervient le 21 mars 1961 avec la NASA américaine portant sur l'étude générale de la haute atmosphère, et l'envoi d'appareils scientifiques français dans des fusées-sondes américaines ; un satellite franco-américain est envisagé.
Entre-temps, le 1er mars 1962, le CRS cède la place au Centre national d’études spatiales (créé en décembre 1961), une agence spatiale devant conduire la politique spatiale de la France. Le général Aubinière, premier directeur général du CNES (1962-1971), tient alors à engager une coopération avec les Etats-Unis car, à ce moment-là, la France est loin de maîtriser l'ensemble des techniques spatiales. La coopération franco-américaine prend dès lors son envol sous la férule de Jacques Blamont, le directeur scientifique et technique du CNES. L’une de ses principales actions est de concrétiser le projet de satellite franco-américain appelé « Fréquence Radio-1 » (FR-1), destiné à l’étude des ondes de très basse fréquence. Pour le réaliser, Jacques Blamont obtient des Américains qu’une douzaine d’ingénieurs du CNES aillent parfaire leur connaissance au Goddard Space Flight Center.
Négocié par le président du CNES Jean Coulomb (avec Pierre Marzin, directeur du Centre national d’études des télécommunications / CNET), un protocole d'accord est signé le 18 février 1963 avec les Etats-Unis, dans lequel ces derniers acceptent de lancer gratuitement le FR-1, à la condition que les Français construisent la plateforme du satellite (au centre technique du CNES de Brétigny-sur-Orge). La responsabilité des instruments scientifiques embarqués est confiée à Christian Fayard du CNET (et Llewelyn Owen Storey, conseiller scientifique au CNET et maître de recherches au CNRS), tandis que la direction générale du programme relève conjointement du CNES (Xavier Namy, chef de projet) et de la NASA (Sam Stevens). Cette dernière est présente dans l'élaboration de plusieurs appareils scientifiques. L'aspect industriel est tout aussi important, car au total quatorze sociétés sont engagées, dont sept françaises.
L'accord de 1963 est d'autant plus remarquable que les relations franco-américaines sont délicates. Les présidents américains ne sont certes pas insensibles à l'alliance et aux conseils parfois avisés de De Gaulle, mais celui-ci irrite parfois par ses intransigeances. En outre, si le contentieux nucléaire franco-américain pèse encore, empêchant notamment tout transfert de technologies liées aux lanceurs, cela n'empêche cependant pas la coopération scientifique. Ainsi, la politique spatiale française à peine dessinée, la coopération franco-américaine s’établit. L'appartenance des deux pays au même camp la favorise évidemment. Cette coopération permet aux scientifiques français de se familiariser plus rapidement à certaines techniques spatiales, notamment dans les satellites, les télémesures ou encore dans les méthodes de travail.
D'une masse de 62 kg, FR-1 est équipé de quatre antennes destinées à étudier la propagation des ondes de très basse fréquence (TBF) dans l’ionosphère, permettant d’obtenir des renseignements sur la structure des couches ionisées qui entourent la Terre ; une cinquième antenne analyse le champ magnétique de l'onde et quatre autres petites émettent et reçoivent les données. D'autres instruments complètent le dispositif, comme une sonde de mesure de la densité électronique, un magnétomètre tri-axial, un senseur solaire, deux batteries, vingt-quatre panneaux de cent-soixante cellules solaires...
FR-1 est placé sur une orbite quasi circulaire (apogée : 760 km, inclinaison : 75,7°). Il transmet de précieux renseignements sur l'ionosphère et effectue des observations inédites pendant 2,5 ans, une longévité importante pour l'époque. Il a notamment noté des irrégularités d'ionisation qui perturbent la propagation de l'onde très basse fréquence. Impressionnés par ces résultats, les Américains souhaitent développer la coopération spatiale avec les Français devenus un partenaire respecté. De nouveaux projets sont échafaudés, toujours dans le domaine d'étude de la haute atmosphère, notamment Eole, un satellite météorologique expérimental également lancé par les Américains quelques années plus tard…
Au final, FR-1 est une belle réussite scientifique et technologique, mais aussi politique et industrielle. Toutefois, pour Jacques Blamont, « son importance n’est pas là, il a fait du CNES, soudain, le seul endroit en Europe où l’on savait ce qu’était une technologie spatiale. Le succès de FR-1a amené un changement disons… d’attitude de la SEREB [qui avait procédé quelques jours auparavant à la satellisation de la capsule A1 avec le premier Diamant] qui nous a laissé ensuite lancer notre série D1 [avec les trois autres Diamant suivant] avec laquelle nous avons créé une science : la géodésie spatiale ».
[Version révisée par l’auteur de l’article « Le FR-1, une belle et fructueuse coopération spatiale entre la France et les Etats-Unis », paru en décembre 2005 dans la revue l'Astronomie de la Société Astronomique de France]
- Deux articles : Jean-Pierre Causse, « Le programme FR-1 » et Jean-Claude Cerisier, « La mission scientifique du programme FR-1 », in Les relations franco-américaines dans le domaine spatial 1957-1975, e/dite IFHE publications, 2008
- Un témoignage : Jacques Blamont, le lancement du satellite FR-1, CNES
- Un film : Opération FR-1, de J. C. Michel et J. Noetinger, scénario Bernard Paris, Concorde Europe Film, CNES, décembre 1965.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Le 6 décembre 1965, le lanceur américain Scout plaçait sur orbite FR-1, le premier satellite scientifique français, quelques jours seulement après le A1 (par le lanceur national Diamant).
Au début des années soixante, si la France se donne les moyens d'obtenir rapidement un lanceur (Diamant), elle ne maîtrise cependant pas encore la technologie des satellites. Pour cela, elle compte sur la coopération avec les Etats-Unis pour rattraper son retard.
En 1959, les Etats-Unis proposent aux unions scientifiques ou académies nationales d'embarquer des instruments à bord de leurs fusées-sondes ou satellites artificiels. Ne doutons pas des intérêts qu'ils espèrent alors obtenir en attirant vers eux des compétences et / ou des idées scientifiques d'autres pays. Il n'empêche que la proposition américaine interpelle plusieurs scientifiques français, notamment le jeune physicien Jacques Blamont. En décembre 1960, celui-ci se rend aux Etats-Unis pour entreprendre des négociations au nom du Comité des recherches spatiales (CRS, présidé par Pierre Auger), une structure mise en place en janvier 1959 par de Gaulle pour favoriser l’émergence des activités spatiales nationales. Un premier accord intervient le 21 mars 1961 avec la NASA américaine portant sur l'étude générale de la haute atmosphère, et l'envoi d'appareils scientifiques français dans des fusées-sondes américaines ; un satellite franco-américain est envisagé.
Entre-temps, le 1er mars 1962, le CRS cède la place au Centre national d’études spatiales (créé en décembre 1961), une agence spatiale devant conduire la politique spatiale de la France. Le général Aubinière, premier directeur général du CNES (1962-1971), tient alors à engager une coopération avec les Etats-Unis car, à ce moment-là, la France est loin de maîtriser l'ensemble des techniques spatiales. La coopération franco-américaine prend dès lors son envol sous la férule de Jacques Blamont, le directeur scientifique et technique du CNES. L’une de ses principales actions est de concrétiser le projet de satellite franco-américain appelé « Fréquence Radio-1 » (FR-1), destiné à l’étude des ondes de très basse fréquence. Pour le réaliser, Jacques Blamont obtient des Américains qu’une douzaine d’ingénieurs du CNES aillent parfaire leur connaissance au Goddard Space Flight Center.
Négocié par le président du CNES Jean Coulomb (avec Pierre Marzin, directeur du Centre national d’études des télécommunications / CNET), un protocole d'accord est signé le 18 février 1963 avec les Etats-Unis, dans lequel ces derniers acceptent de lancer gratuitement le FR-1, à la condition que les Français construisent la plateforme du satellite (au centre technique du CNES de Brétigny-sur-Orge). La responsabilité des instruments scientifiques embarqués est confiée à Christian Fayard du CNET (et Llewelyn Owen Storey, conseiller scientifique au CNET et maître de recherches au CNRS), tandis que la direction générale du programme relève conjointement du CNES (Xavier Namy, chef de projet) et de la NASA (Sam Stevens). Cette dernière est présente dans l'élaboration de plusieurs appareils scientifiques. L'aspect industriel est tout aussi important, car au total quatorze sociétés sont engagées, dont sept françaises.
L'accord de 1963 est d'autant plus remarquable que les relations franco-américaines sont délicates. Les présidents américains ne sont certes pas insensibles à l'alliance et aux conseils parfois avisés de De Gaulle, mais celui-ci irrite parfois par ses intransigeances. En outre, si le contentieux nucléaire franco-américain pèse encore, empêchant notamment tout transfert de technologies liées aux lanceurs, cela n'empêche cependant pas la coopération scientifique. Ainsi, la politique spatiale française à peine dessinée, la coopération franco-américaine s’établit. L'appartenance des deux pays au même camp la favorise évidemment. Cette coopération permet aux scientifiques français de se familiariser plus rapidement à certaines techniques spatiales, notamment dans les satellites, les télémesures ou encore dans les méthodes de travail.
D'une masse de 62 kg, FR-1 est équipé de quatre antennes destinées à étudier la propagation des ondes de très basse fréquence (TBF) dans l’ionosphère, permettant d’obtenir des renseignements sur la structure des couches ionisées qui entourent la Terre ; une cinquième antenne analyse le champ magnétique de l'onde et quatre autres petites émettent et reçoivent les données. D'autres instruments complètent le dispositif, comme une sonde de mesure de la densité électronique, un magnétomètre tri-axial, un senseur solaire, deux batteries, vingt-quatre panneaux de cent-soixante cellules solaires...
FR-1 est placé sur une orbite quasi circulaire (apogée : 760 km, inclinaison : 75,7°). Il transmet de précieux renseignements sur l'ionosphère et effectue des observations inédites pendant 2,5 ans, une longévité importante pour l'époque. Il a notamment noté des irrégularités d'ionisation qui perturbent la propagation de l'onde très basse fréquence. Impressionnés par ces résultats, les Américains souhaitent développer la coopération spatiale avec les Français devenus un partenaire respecté. De nouveaux projets sont échafaudés, toujours dans le domaine d'étude de la haute atmosphère, notamment Eole, un satellite météorologique expérimental également lancé par les Américains quelques années plus tard…
Au final, FR-1 est une belle réussite scientifique et technologique, mais aussi politique et industrielle. Toutefois, pour Jacques Blamont, « son importance n’est pas là, il a fait du CNES, soudain, le seul endroit en Europe où l’on savait ce qu’était une technologie spatiale. Le succès de FR-1a amené un changement disons… d’attitude de la SEREB [qui avait procédé quelques jours auparavant à la satellisation de la capsule A1 avec le premier Diamant] qui nous a laissé ensuite lancer notre série D1 [avec les trois autres Diamant suivant] avec laquelle nous avons créé une science : la géodésie spatiale ».
[Version révisée par l’auteur de l’article « Le FR-1, une belle et fructueuse coopération spatiale entre la France et les Etats-Unis », paru en décembre 2005 dans la revue l'Astronomie de la Société Astronomique de France]
- Deux articles : Jean-Pierre Causse, « Le programme FR-1 » et Jean-Claude Cerisier, « La mission scientifique du programme FR-1 », in Les relations franco-américaines dans le domaine spatial 1957-1975, e/dite IFHE publications, 2008
- Un témoignage : Jacques Blamont, le lancement du satellite FR-1, CNES
- Un film : Opération FR-1, de J. C. Michel et J. Noetinger, scénario Bernard Paris, Concorde Europe Film, CNES, décembre 1965.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
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