Le 10 mars 1970, le lanceur Diamant B réussissait la mission franco-allemande DIAL depuis le Centre spatial guyanais. Le succès s’expliquait notamment par une nouvelle dynamique insufflée par le CNES.
En 1967, selon les termes des accords d’Evian, la France ferme son Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES), situé dans le Sahara algérien. Les militaires s’installent près de Biscarosse, tandis que les civils du Centre national d’études spatiales (créé en 1961-62) implantent un centre spatial à Kourou, en Guyane française : le CSG (Centre spatial guyanais), opérationnel en 1968. En deux ans, entre 1965 et 1967, la France venait de tirer avec succès à quatre reprises le lanceur Diamant A, qui avait notamment placé sur orbite trois satellites du CNES. Tous les tirs relevaient cependant de la responsabilité des militaires de la Délégation ministérielle à l’Armement (DMA).
Face aux succès et à la montée en puissance des activités spatiales, le jeune CNES éprouve en 1966-67 le besoin de revoir son organisation avec, notamment, la réorganisation de la direction Scientifique et technique, la mise en place d’une direction des Programmes et du plan, ainsi qu’une direction du Développement. A cette dernière lui est attachée la division Lanceurs.
Après le succès de Diamant A, le CNES souhaite un lanceur plus puissant afin de placer sur orbite des satellites de l’ordre de 115 kg à 500 km (contre 80 kg pour Diamant A). Dès lors, le CNES estime qu’il doit avoir la responsabilité du lanceur et, donc, de s’affranchir de la DMA. Le général Robert Aubinière, qui était alors le directeur général du CNES (1962-1972), se souvenait de cette question épineuse : « Au final, si on voulait que le CNES soit réellement indépendant et puisse conduire en toute sérénité la politique spatiale, il fallait que l’on s’en donne les moyens, à commencer par la maîtrise des lanceurs. Cela n’a pas du tout plu à tout le monde, surtout aux militaires et aux gens de la SEREB [Société pour l’étude et la réalisation d’engins balistiques]. Il y a eu une sacrée bagarre ! ». Rappelons que la SEREB avait été mise en place en 1959 pour réaliser les missiles de la force de frappe nucléaire ainsi que, par la suite, Diamant A.
Après de nombreuses consultations, le gouvernement de Georges Pompidou accepte en juin 1967 de confier au CNES le développement du nouveau lanceur appelé Diamant B. Dès lors, un véritable tournant industriel s’opère : désormais, pour le CNES, il s’agit de « faire faire » aux industriels qui doivent prendre leur responsabilité, et non plus de « faire », comme la SEREB pratiquait avec Diamant A et les missiles d’études de la force de frappe. Pour être efficace, le CNES réalise dans le même temps un « virage managérial » : ayant des effectifs limités, celui-ci ne conserve que la maîtrise d’œuvre des programmes de développement du lanceur, en contrôlant trois principales fonctions : la conception, la direction des programmes industriels et les opérations d’intégration et de lancement, le reste relevant des industriels.
Très vite, à ces trois fonctions s’est ajouté un système d’assurance de la qualité pour compléter le contrôle industriel. Enfin, au niveau du lancement, le CNES amorce également une rupture en prenant le risque (calculé) de tirer directement le lanceur complet et non pas étage par étage, permettant un gain de temps et d’argent.
La division des Lanceurs du CNES définit la nouvelle version du lanceur Diamant. Il est notamment décidé de conserver un premier étage à propulsion à liquides, en prévision du développement de lanceurs plus puissants encore dans l’avenir. Le premier étage de Diamant A (Emeraude) est ainsi remplacé par Améthyste, un propulseur à liquides plus performant. Le troisième étage est dérivé du système PAS (Perigee Apogee System) du lanceur européen Europa II (dans lequel la France est engagée), utilisant la propulsion à poudre. Seul le deuxième étage de Diamant A (Topaze) est conservé pour Diamant B, ainsi que la case à équipements. Au final, Diamant B a une masse de 24,6 t pour une hauteur de 23,5 m.
Pour le premier tir de Diamant B, le CNES réalise une véritable approche commerciale en lançant la mission allemande DIAL (Diamant-Allemagne), composée de deux satellites. Le premier est WIKA (Wissenschaft Kapsel), second satellite réalisé par l’Allemagne. D’une masse de 63 kg, il contient quatre instruments pour étudier les variations de la densité des électrons de la haute atmosphère et l’intensité du rayonnement Lyman-Alpha. La seconde charge embarquée est la capsule MIKA (Mini-Kapsel), d’une masse de 40 kg, qui reste solidaire du lanceur pendant le vol afin de mesurer les performances du Diamant B.
Le 10 mars 1970, Diamant B n°1 décolle avec succès, et place WIKA sur orbite à 354 / 1 786 km, réalisant dans le même temps la première satellisation depuis le CSG. Si la capsule MIKA est victime d’une défaillance provoquée par les vibrations du lanceur, WIKA remplit sa mission jusqu’au 20 mai, date à laquelle il s’arrête de fonctionner suite à la panne des batteries.
Avec le succès du premier Diamant B et les deux « virages » industriel et managérial, le CNES renforçait ainsi la crédibilité de la France en matière de lanceur, traçant la route suivie par la future Ariane. Ainsi Charles Bigot, directeur de la division des Lanceurs au moment du développement de Diamant B, considère le succès du 10 mars 1970 comme crucial : « Si on n’avait pas fait ou arrêté Diamant B, Ariane n’aurait pas pu se faire car comment être crédible auprès de nos partenaires européens [à l’époque où l’Europe des lanceurs traverse une crise majeure suite aux échecs successifs d’Europa] si nous n’avions pas nos lanceurs Diamant ? On n’aurait pas réussi [en 1973] à convaincre l’Europe de construire Ariane ».
Deux entretiens entre Robert Aubinière et l’auteur (Paris, 30 novembre 1996) ; Charles Bigot, l’auteur et Pierre-François Mouriaux (Versailles, 6 février 2010).
Un article : de Charles Bigot, « Diamant B, étape décisive vers un libre accès à l’espace pour l’Europe », in La France et l’Europe spatiale (1957-1972), IFHE publications, 2004.
Un ouvrage : L’ambition technologique : naissance d’Ariane, sous la direction d’Emmanuel Chadeau, éditions Rive Droite, Paris, 1995.
Deux vidéos sur le site de l’INA et sur le site du CNES.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Le 10 mars 1970, le lanceur Diamant B réussissait la mission franco-allemande DIAL depuis le Centre spatial guyanais. Le succès s’expliquait notamment par une nouvelle dynamique insufflée par le CNES.
En 1967, selon les termes des accords d’Evian, la France ferme son Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES), situé dans le Sahara algérien. Les militaires s’installent près de Biscarosse, tandis que les civils du Centre national d’études spatiales (créé en 1961-62) implantent un centre spatial à Kourou, en Guyane française : le CSG (Centre spatial guyanais), opérationnel en 1968. En deux ans, entre 1965 et 1967, la France venait de tirer avec succès à quatre reprises le lanceur Diamant A, qui avait notamment placé sur orbite trois satellites du CNES. Tous les tirs relevaient cependant de la responsabilité des militaires de la Délégation ministérielle à l’Armement (DMA).
Face aux succès et à la montée en puissance des activités spatiales, le jeune CNES éprouve en 1966-67 le besoin de revoir son organisation avec, notamment, la réorganisation de la direction Scientifique et technique, la mise en place d’une direction des Programmes et du plan, ainsi qu’une direction du Développement. A cette dernière lui est attachée la division Lanceurs.
Après le succès de Diamant A, le CNES souhaite un lanceur plus puissant afin de placer sur orbite des satellites de l’ordre de 115 kg à 500 km (contre 80 kg pour Diamant A). Dès lors, le CNES estime qu’il doit avoir la responsabilité du lanceur et, donc, de s’affranchir de la DMA. Le général Robert Aubinière, qui était alors le directeur général du CNES (1962-1972), se souvenait de cette question épineuse : « Au final, si on voulait que le CNES soit réellement indépendant et puisse conduire en toute sérénité la politique spatiale, il fallait que l’on s’en donne les moyens, à commencer par la maîtrise des lanceurs. Cela n’a pas du tout plu à tout le monde, surtout aux militaires et aux gens de la SEREB [Société pour l’étude et la réalisation d’engins balistiques]. Il y a eu une sacrée bagarre ! ». Rappelons que la SEREB avait été mise en place en 1959 pour réaliser les missiles de la force de frappe nucléaire ainsi que, par la suite, Diamant A.
Après de nombreuses consultations, le gouvernement de Georges Pompidou accepte en juin 1967 de confier au CNES le développement du nouveau lanceur appelé Diamant B. Dès lors, un véritable tournant industriel s’opère : désormais, pour le CNES, il s’agit de « faire faire » aux industriels qui doivent prendre leur responsabilité, et non plus de « faire », comme la SEREB pratiquait avec Diamant A et les missiles d’études de la force de frappe. Pour être efficace, le CNES réalise dans le même temps un « virage managérial » : ayant des effectifs limités, celui-ci ne conserve que la maîtrise d’œuvre des programmes de développement du lanceur, en contrôlant trois principales fonctions : la conception, la direction des programmes industriels et les opérations d’intégration et de lancement, le reste relevant des industriels.
Très vite, à ces trois fonctions s’est ajouté un système d’assurance de la qualité pour compléter le contrôle industriel. Enfin, au niveau du lancement, le CNES amorce également une rupture en prenant le risque (calculé) de tirer directement le lanceur complet et non pas étage par étage, permettant un gain de temps et d’argent.
La division des Lanceurs du CNES définit la nouvelle version du lanceur Diamant. Il est notamment décidé de conserver un premier étage à propulsion à liquides, en prévision du développement de lanceurs plus puissants encore dans l’avenir. Le premier étage de Diamant A (Emeraude) est ainsi remplacé par Améthyste, un propulseur à liquides plus performant. Le troisième étage est dérivé du système PAS (Perigee Apogee System) du lanceur européen Europa II (dans lequel la France est engagée), utilisant la propulsion à poudre. Seul le deuxième étage de Diamant A (Topaze) est conservé pour Diamant B, ainsi que la case à équipements. Au final, Diamant B a une masse de 24,6 t pour une hauteur de 23,5 m.
Pour le premier tir de Diamant B, le CNES réalise une véritable approche commerciale en lançant la mission allemande DIAL (Diamant-Allemagne), composée de deux satellites. Le premier est WIKA (Wissenschaft Kapsel), second satellite réalisé par l’Allemagne. D’une masse de 63 kg, il contient quatre instruments pour étudier les variations de la densité des électrons de la haute atmosphère et l’intensité du rayonnement Lyman-Alpha. La seconde charge embarquée est la capsule MIKA (Mini-Kapsel), d’une masse de 40 kg, qui reste solidaire du lanceur pendant le vol afin de mesurer les performances du Diamant B.
Le 10 mars 1970, Diamant B n°1 décolle avec succès, et place WIKA sur orbite à 354 / 1 786 km, réalisant dans le même temps la première satellisation depuis le CSG. Si la capsule MIKA est victime d’une défaillance provoquée par les vibrations du lanceur, WIKA remplit sa mission jusqu’au 20 mai, date à laquelle il s’arrête de fonctionner suite à la panne des batteries.
Avec le succès du premier Diamant B et les deux « virages » industriel et managérial, le CNES renforçait ainsi la crédibilité de la France en matière de lanceur, traçant la route suivie par la future Ariane. Ainsi Charles Bigot, directeur de la division des Lanceurs au moment du développement de Diamant B, considère le succès du 10 mars 1970 comme crucial : « Si on n’avait pas fait ou arrêté Diamant B, Ariane n’aurait pas pu se faire car comment être crédible auprès de nos partenaires européens [à l’époque où l’Europe des lanceurs traverse une crise majeure suite aux échecs successifs d’Europa] si nous n’avions pas nos lanceurs Diamant ? On n’aurait pas réussi [en 1973] à convaincre l’Europe de construire Ariane ».
Deux entretiens entre Robert Aubinière et l’auteur (Paris, 30 novembre 1996) ; Charles Bigot, l’auteur et Pierre-François Mouriaux (Versailles, 6 février 2010).
Un article : de Charles Bigot, « Diamant B, étape décisive vers un libre accès à l’espace pour l’Europe », in La France et l’Europe spatiale (1957-1972), IFHE publications, 2004.
Un ouvrage : L’ambition technologique : naissance d’Ariane, sous la direction d’Emmanuel Chadeau, éditions Rive Droite, Paris, 1995.
Deux vidéos sur le site de l’INA et sur le site du CNES.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
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