Il y a 30 ans, les Sud-Coréens faisaient leur premier pas dans l’espace (2/2)
Il y a 30 ans, les Sud-Coréens faisaient leur premier pas dans l’espace (2/2)
© Collection Histoires d'espace

publié le 02 septembre 2022 à 09:00

1080 mots

Il y a 30 ans, les Sud-Coréens faisaient leur premier pas dans l’espace (2/2)

A l’été 1992, une Ariane lançait Kitsat 1, surnommé Uribyol (« Notre étoile »), le premier satellite artificiel de la Corée du sud.


Partie 2 – Uribyol ouvre les portes de l’espace

Au cours de l’été 1989, Choi Soon-Dal, docteur en génie électrique et professeur à l’université du Kaist, propose la réalisation du petit satellite scientifique et technologique Kitsat. N’ayant cependant pas les capacités de le réaliser, celui-ci se tourne vers un spécialiste britannique…

 

Le coup de pouce de SSTL à SaTReC

Depuis le début des années 80, il existe au sein de l’université de Surrey à Guildford, au Royaume-Uni, une petite unité appelée UoSat (University of Surrey Satellite), qui s’est lancée dans la conception de petits satellites du même nom. Ceux-ci sont réalisés avec des caractéristiques innovantes en termes de coûts et de performances grâce à l'émergence des circuits intégrés et de microprocesseurs. Pour attirer les financements, Surrey met en place en 1985 l’entreprise Surrey Satellite Technology Ltd. (SSTL). Découvrant la démarche originale du Surrey, Choi Soon-Dal comprend tout l’intérêt qu’il a à engager une collaboration avec lui pour construire à moindre frais le premier satellite sud-coréen. Dès le 28 juillet 1989, un partenariat est signé : SSTL concevra le satellite Kitsat avec l’aide d’étudiants sud-coréens, qui se forment auprès des Britanniques en participant à la mission UoSat 5.

Suivant la démarche du SSTL, Choi Soon-Dal fonde à son tour en août 1989 au Kaist le Satellite Technology Research Center (SaTReC). Ce dernier a l'avantage d'être un institut de recherche universitaire qui peut se consacrer à la recherche fondamentale et à l'enseignement spécialisé dans l'ingénierie des satellites. Choi Soon-Dal rêve même que le SaTReC devienne une sorte de « JPL américain ». Ainsi, grâce au transfert de technologie du SSTL au SaTReC, est fabriqué au cours de l’année 1990 le premier satellite de démonstration scientifique et technologique, le Korean Institute of Technology SATellite ou Kitsat.

 

Kitsat, un banc d’essai technologique et scientifique

D’une masse totale de 48,6 kg, Kitsat utilise la même plateforme que le UoSAT 5 britannique, ayant la forme d’un parallélépipède rectangle avec une largeur et une hauteur d’environ 35 cm, pour une longueur de 60 cm. Le satellite embarque deux expériences sur le traitement numérique du signal et la communication numérique (enregistrement, retransmission) pour les radios amateurs - d’où également l’autre nom de Kitsat, Oscar-23 - et une troisième pour l’étude des rayons cosmiques. Cette dernière expérience est constituée d’un système de mesure des rayons cosmiques de l’espace lointain, ainsi que des rayons émis par notre Soleil lors d’éruptions. Enfin, Kitsat embarque deux caméras CCD expérimentales pour observer la Terre en basse résolution (4 km) et haute résolution (400 m).

 

1, 2, 3 Kitsat

Le 10 août 1992, Kitsat est lancé par un Ariane 4 européen en charge additionnelle du satellite franco-américain d’océanographie Topex-Poséidon. Une fois sur orbite (1 316 km au périgée, 1 328 à l’apogée, avec une inclinaison de 66°), Kitsat est rebaptisé du nom de Uribyol (« Notre étoile »), faisant de la Corée du sud la vingt-troisième nation à exploiter un satellite. Deux ans auparavant, le président Roh faisait l'éloge du SaTReC, en soulignant que celui-ci était en train d’« ouvrir une nouvelle ère d'exploration spatiale et [de] démontrer le niveau de la science coréenne et technologie au monde ». Le président sud-coréen n’hésitait alors pas à annoncer que son pays allait rattraper les pays industrialisés les plus avancés d'ici le début du XXIe siècle. Prévu pour une durée de vie d’environ cinq ans, Kitsat 1 fonctionne pendant douze ans.

Après le succès du Kitsat, est lancé le 26 septembre 1993 par un Ariane 4 Kitsat 2, un satellite similaire utilisant néanmoins des composants nationaux et des instruments à la performance améliorée, comme l’une des caméras (13 m de résolution). Une étape est franchie avec Kitsat 3, premier satellite entièrement conçu et construit par les Sud-Coréens. Lancé le 26 mai 1999 par un PSLV indien, sa mission est essentiellement de faire de la télédétection. Un Kitsat 4 est alors envisagé…

 

1999, un nouveau tournant dans le spatial sud-coréen

Pour donner davantage de moyens au spatial sud-coréen, plusieurs initiatives sont lancées en 1999. Le ministre des sciences et de la technologie veut intégrer SaTReC au KARI (pour aussi en réduire les frais). Toutefois, refusant la décision ministérielle, les scientifiques du SaTReC mettent en place SaTReC-i, une entreprise privée (toujours affiliée au Kaist). Ayant moins de moyens, ceux-ci réduisent leurs ambitions et se concentrent sur l’éducation spatiale et la formation d'experts en recherche satellitaire. Quant à leur projet Kitsat 4, il devient le Science Technology Satellite-1 (STsat-1), placé sous la responsabilité du Kari (qui le fera lancer le 27 septembre 2003 par une fusée russe Kosmos 3M, avec pour mission de tester un viseur d’étoiles, d’utiliser un nouveau système de gestion de données et d’effectuer plusieurs études scientifiques).

Par ailleurs, le 14 décembre 1999 voit la constitution d'un poids lourd dans le secteur aérospatial, la Korea Aerospace Industries (KAI), par la fusion des divisions spécialisées de trois grands groupes industriels : Daewoo Heavy Industries, Samsung Aerospace et Hyundai Space & Aircraft. Enfin, l’année se termine par le lancement le 21 décembre (par un Taurus américain) du premier satellite d’observation de la Terre sud-coréen Kompsat 1 ou Arirang 1 (du nom d’une chanson populaire). Conçu par les ingénieurs sud-coréens, celui-ci, d’une masse totale de 470 kg, a été construit avec une fois de plus l’aide américaine (entreprise TRW).

 

Perspectives

Après s’être initié avec les fusées-sondes KSR 1, 2 et 3 (Korea Sounding Rocket), le Kari développera dans les années 2000 / 2010 le lanceur KSLV (Korea Space Launch Vehicle). Mais là encore, les spécialistes sud-coréens seront contraints de faire appel à l’aide étrangère. Ne pouvant cependant pas utiliser une motorisation américaine (liée à des contraintes imposées par les Etats-Unis), ils se tourneront vers la Russie qui fournira le premier étage à ergols liquides pour réaliser le lanceur KSLV 1 / Naro, dont le premier succès interviendra le 30 janvier 2013. Quant au premier lanceur 100% sud-coréen, le KSLV 2 / Nuri, il sera lancé avec succès pour la première fois le 21 juin 2021… La Corée du sud sera alors incontestablement devenue une « puissance spatiale ».

 

Quelques références

- Un article : « An introduction to the Kitsat program and the activities at the satrec in Korea », Soon-Dal Choi, Byung Jin Kim, Ee-Eul Kim, in Microsatellites as Research Tools, F.B. Hsiao, Elsevier, mars 1999.

- Un site sur la KAIST.

- Sur le premier lancement réussi de Nuri, le site de KAI.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence

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02/09/2022 09:00
1080 mots

Il y a 30 ans, les Sud-Coréens faisaient leur premier pas dans l’espace (2/2)

A l’été 1992, une Ariane lançait Kitsat 1, surnommé Uribyol (« Notre étoile »), le premier satellite artificiel de la Corée du sud.

Il y a 30 ans, les Sud-Coréens faisaient leur premier pas dans l’espace (2/2)
Il y a 30 ans, les Sud-Coréens faisaient leur premier pas dans l’espace (2/2)

Partie 2 – Uribyol ouvre les portes de l’espace

Au cours de l’été 1989, Choi Soon-Dal, docteur en génie électrique et professeur à l’université du Kaist, propose la réalisation du petit satellite scientifique et technologique Kitsat. N’ayant cependant pas les capacités de le réaliser, celui-ci se tourne vers un spécialiste britannique…

 

Le coup de pouce de SSTL à SaTReC

Depuis le début des années 80, il existe au sein de l’université de Surrey à Guildford, au Royaume-Uni, une petite unité appelée UoSat (University of Surrey Satellite), qui s’est lancée dans la conception de petits satellites du même nom. Ceux-ci sont réalisés avec des caractéristiques innovantes en termes de coûts et de performances grâce à l'émergence des circuits intégrés et de microprocesseurs. Pour attirer les financements, Surrey met en place en 1985 l’entreprise Surrey Satellite Technology Ltd. (SSTL). Découvrant la démarche originale du Surrey, Choi Soon-Dal comprend tout l’intérêt qu’il a à engager une collaboration avec lui pour construire à moindre frais le premier satellite sud-coréen. Dès le 28 juillet 1989, un partenariat est signé : SSTL concevra le satellite Kitsat avec l’aide d’étudiants sud-coréens, qui se forment auprès des Britanniques en participant à la mission UoSat 5.

Suivant la démarche du SSTL, Choi Soon-Dal fonde à son tour en août 1989 au Kaist le Satellite Technology Research Center (SaTReC). Ce dernier a l'avantage d'être un institut de recherche universitaire qui peut se consacrer à la recherche fondamentale et à l'enseignement spécialisé dans l'ingénierie des satellites. Choi Soon-Dal rêve même que le SaTReC devienne une sorte de « JPL américain ». Ainsi, grâce au transfert de technologie du SSTL au SaTReC, est fabriqué au cours de l’année 1990 le premier satellite de démonstration scientifique et technologique, le Korean Institute of Technology SATellite ou Kitsat.

 

Kitsat, un banc d’essai technologique et scientifique

D’une masse totale de 48,6 kg, Kitsat utilise la même plateforme que le UoSAT 5 britannique, ayant la forme d’un parallélépipède rectangle avec une largeur et une hauteur d’environ 35 cm, pour une longueur de 60 cm. Le satellite embarque deux expériences sur le traitement numérique du signal et la communication numérique (enregistrement, retransmission) pour les radios amateurs - d’où également l’autre nom de Kitsat, Oscar-23 - et une troisième pour l’étude des rayons cosmiques. Cette dernière expérience est constituée d’un système de mesure des rayons cosmiques de l’espace lointain, ainsi que des rayons émis par notre Soleil lors d’éruptions. Enfin, Kitsat embarque deux caméras CCD expérimentales pour observer la Terre en basse résolution (4 km) et haute résolution (400 m).

 

1, 2, 3 Kitsat

Le 10 août 1992, Kitsat est lancé par un Ariane 4 européen en charge additionnelle du satellite franco-américain d’océanographie Topex-Poséidon. Une fois sur orbite (1 316 km au périgée, 1 328 à l’apogée, avec une inclinaison de 66°), Kitsat est rebaptisé du nom de Uribyol (« Notre étoile »), faisant de la Corée du sud la vingt-troisième nation à exploiter un satellite. Deux ans auparavant, le président Roh faisait l'éloge du SaTReC, en soulignant que celui-ci était en train d’« ouvrir une nouvelle ère d'exploration spatiale et [de] démontrer le niveau de la science coréenne et technologie au monde ». Le président sud-coréen n’hésitait alors pas à annoncer que son pays allait rattraper les pays industrialisés les plus avancés d'ici le début du XXIe siècle. Prévu pour une durée de vie d’environ cinq ans, Kitsat 1 fonctionne pendant douze ans.

Après le succès du Kitsat, est lancé le 26 septembre 1993 par un Ariane 4 Kitsat 2, un satellite similaire utilisant néanmoins des composants nationaux et des instruments à la performance améliorée, comme l’une des caméras (13 m de résolution). Une étape est franchie avec Kitsat 3, premier satellite entièrement conçu et construit par les Sud-Coréens. Lancé le 26 mai 1999 par un PSLV indien, sa mission est essentiellement de faire de la télédétection. Un Kitsat 4 est alors envisagé…

 

1999, un nouveau tournant dans le spatial sud-coréen

Pour donner davantage de moyens au spatial sud-coréen, plusieurs initiatives sont lancées en 1999. Le ministre des sciences et de la technologie veut intégrer SaTReC au KARI (pour aussi en réduire les frais). Toutefois, refusant la décision ministérielle, les scientifiques du SaTReC mettent en place SaTReC-i, une entreprise privée (toujours affiliée au Kaist). Ayant moins de moyens, ceux-ci réduisent leurs ambitions et se concentrent sur l’éducation spatiale et la formation d'experts en recherche satellitaire. Quant à leur projet Kitsat 4, il devient le Science Technology Satellite-1 (STsat-1), placé sous la responsabilité du Kari (qui le fera lancer le 27 septembre 2003 par une fusée russe Kosmos 3M, avec pour mission de tester un viseur d’étoiles, d’utiliser un nouveau système de gestion de données et d’effectuer plusieurs études scientifiques).

Par ailleurs, le 14 décembre 1999 voit la constitution d'un poids lourd dans le secteur aérospatial, la Korea Aerospace Industries (KAI), par la fusion des divisions spécialisées de trois grands groupes industriels : Daewoo Heavy Industries, Samsung Aerospace et Hyundai Space & Aircraft. Enfin, l’année se termine par le lancement le 21 décembre (par un Taurus américain) du premier satellite d’observation de la Terre sud-coréen Kompsat 1 ou Arirang 1 (du nom d’une chanson populaire). Conçu par les ingénieurs sud-coréens, celui-ci, d’une masse totale de 470 kg, a été construit avec une fois de plus l’aide américaine (entreprise TRW).

 

Perspectives

Après s’être initié avec les fusées-sondes KSR 1, 2 et 3 (Korea Sounding Rocket), le Kari développera dans les années 2000 / 2010 le lanceur KSLV (Korea Space Launch Vehicle). Mais là encore, les spécialistes sud-coréens seront contraints de faire appel à l’aide étrangère. Ne pouvant cependant pas utiliser une motorisation américaine (liée à des contraintes imposées par les Etats-Unis), ils se tourneront vers la Russie qui fournira le premier étage à ergols liquides pour réaliser le lanceur KSLV 1 / Naro, dont le premier succès interviendra le 30 janvier 2013. Quant au premier lanceur 100% sud-coréen, le KSLV 2 / Nuri, il sera lancé avec succès pour la première fois le 21 juin 2021… La Corée du sud sera alors incontestablement devenue une « puissance spatiale ».

 

Quelques références

- Un article : « An introduction to the Kitsat program and the activities at the satrec in Korea », Soon-Dal Choi, Byung Jin Kim, Ee-Eul Kim, in Microsatellites as Research Tools, F.B. Hsiao, Elsevier, mars 1999.

- Un site sur la KAIST.

- Sur le premier lancement réussi de Nuri, le site de KAI.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence



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