Il y a 20 ans, Cassini-Huygens commençait l’exploration des mondes de Saturne
Il y a 20 ans, Cassini-Huygens commençait l’exploration des mondes de Saturne
© NASA / JPL

publié le 04 juillet 2024 à 18:05

1058 mots

Il y a 20 ans, Cassini-Huygens commençait l’exploration des mondes de Saturne

Après un voyage de sept ans, la sonde américano-européenne Cassini-Huygens se mettait en orbite autour de Saturne début juillet 2004, entamant une mission spectaculaire de 13 ans.


En 1997, au moment où Cassini-Huygens s’apprête à partir explorer Saturne, seules trois sondes l’ont alors précédée – Pioneer 11 en 1979, Voyager 1 en 1980, Voyager 2 en 1981 – mais elles n’ont étudié la géante aux anneaux qu’en la survolant.

 

Origine du programme

« Joyau du système solaire » ou « Seigneur des anneaux » sont des qualificatifs récurrents pour désigner Saturne… Sixième planète du système solaire, elle fascine depuis longtemps les astronomes. Cependant, l’intention d’envoyer un engin automatique l’explorer, ses anneaux et ses lunes (dont Titan la plus grosse lune de Saturne), est plus récente ; cela remonte au début des années 1980 au sein des agences spatiales américaine (NASA) et européenne (ESA). Ainsi, en 1982, des scientifiques européens de l’Observatoire de Meudon et de l’Institut Max-Planck proposent de réaliser un vaisseau d’exploration dédié au système saturnien en partenariat avec les Etats-Unis. La chose est entendue en 1988-89 : aux Américains de réaliser l’orbiteur, aux Européens l’atterrisseur devant se poser sur l’énigmatique Titan. Cette lune intrigue d’autant plus qu’elle est la seule du système solaire à avoir une atmosphère dense. Quant aux noms des engins, l’orbiteur reçoit celui de Cassini en l’honneur de l’astronome français Jean-Dominique Cassini (1625-1712) qui a étudié les anneaux de Saturne et a découvert plusieurs lunes ; l’atterrisseur est baptisé en mémoire de l’astronome néerlandais Christiaan Huyghens (1629-1695) découvreur de Titan en 1655.

 

Caractéristique des sondes

Développé par le Jet Propulsion Laboratory de la NASA (avec des contributions de l’ESA et de l’Agence spatiale italienne), l’orbiteur Cassini a une hauteur de 6,8 m, un diamètre de 4 m de diamètre (avec l’antenne) pour une masse de 5 712 kg (avec carburant). Il emporte une douzaine d’instruments scientifiques : quatre sont dédiés à l’observation (caméras, spectromètres), six pour l’étude des champs magnétiques et des particules (spectromètres, magnétomètre, etc.), un radar pour cartographier la surface de Titan, et une expérience radio pour en savoir plus sur l’atmosphère de Titan, de Saturne et de ses anneaux. Quant à Huygens, construit sous la maîtrise d’œuvre du groupe français Aerospatiale, il a une masse de 320 kg et est équipé de six instruments pour étudier les propriétés physiques et chimiques de l’atmosphère de Titan, des vents, des nuages, ainsi qu’un imageur pour photographier la surface et des senseurs pour caractériser le site d’atterrissage. Au total, l’ensemble Cassini-Huygens atteint la masse d’environ 6 tonnes, soit la plus grosse sonde planétaire alors jamais lancée.

 

Début de mission

Lancée le 15 octobre 1997 par un Titan IV Centaur, et après avoir parcouru 3,5 milliards de kilomètres en 7 ans, Cassini-Huygens se place sur orbite autour de Saturne le 1er juillet 2004. Très vite, les premières photographies de Saturne et des anneaux de la planète géante sont livrées, certaines offrent des détails inédits avec une résolution d’une centaine de mètres.

A la fin de l’année, Cassini libère le module européen Huygens en direction de Titan, se trouvant alors à environ un million de kilomètres. Trois semaines plus tard, le 14 janvier 2005, il pénètre dans les couches denses de l’atmosphère de Titan (principalement composée de diazote), et se pose à la surface. Devenant l’objet humain le plus lointain ayant atterri sur un autre monde, Huygens révèle un monde inconnu, inhospitalier, particulièrement froid (-180°C) mais fascinant…

 

Une fin exceptionnelle pour un bilan exceptionnel

Après treize années de travail (2004-2017), Cassini joue les kamikazes en plongeant à plusieurs reprises entre la haute atmosphère de Saturne et son anneau le plus interne, capturant au passage des images époustouflantes et analysant l’ionosphère de la géante. Le 15 septembre 2017, alors que Huygens repose sur Titan, Cassini se désintègre dans les couches denses de l’atmosphère de Saturne. Ainsi se termine, comme le souligne Le Figaro, « l’une des plus ambitieuses et des plus prolifiques [missions] jamais entreprises par l’homme. Près de 4 000 articles scientifiques ont été produits. Plus de 450 000 photos ont été prises ». Le bilan est exceptionnel, impossible à résumer à quelques lignes… Donnons néanmoins un aperçu.

Concernant Saturne, Cassini a amélioré les connaissances sur les phénomènes météorologiques, les formations nuageuses et la foudre notamment, découvert aux deux pôles un vortex géant similaire à un ouragan. Les mesures prises ont également affiné la vitesse de rotation de Saturne (10 h 47). Quant aux anneaux, les observations et les données ont révélé un système plus jeune que l’on croyait ; leur structure et leur composition montrent qu’ils n’ont pas été formés en même temps que la planète et pas avec les mêmes matériaux. Ils semblent ainsi être un « laboratoire sur la façon dont les planètes ou les lunes se forment ». Fasciné, l’astrophysicien André Brahic, qui a fait partie de l’équipe d’imagerie de Cassini, considérait que ces anneaux sont « l’objet le plus mince de l’univers, faisant 300 000 km de longueur pour 2 mètres d’épaisseur ! ».

D’autres découvertes ont été obtenues pour les lunes, à commencer par la plus importante Titan qui révèle avoir un cycle météorologique et hydrologique (rivières, lacs, mers), avec des saisons et des pluies, non pas fondé sur l’eau comme sur Terre mais sur le méthane ! Pour les scientifiques, Titan pourrait être dans « des conditions prébiotiques avec la formation de molécules qui pourraient être utilisées par la vie telle qu’on la connaît sur Terre ». Outre Titan, Cassini a également débusqué une nouvelle lune (Daphnis) et en observé d’autres, comme Japet (Iapetus) composée à 75% de glace, et surtout Encélade où de spectaculaires geysers de glace et de vapeur d’eau ont été identifiés et observés, prouvant l’existence d’un vaste océan d’eau liquide sous la surface avec probablement une activité hydrothermale dans les fonds marins…

Toutes ces découvertes soulèvent naturellement de nombreuses questions, encourageant les scientifiques à vouloir retourner dans les mondes saturniens, pour notamment étudier in situ l’atmosphère de Saturne (Saturn Probe), la surface et l’atmosphère de Titan (Dragonfly), ou encore les geysers d’Encelade (projet Enceladus Life Finder).

 

Quelques références

- Deux articles : « Les derniers travaux de la sonde Cassini », Tristan Vey et Cyrille Vanlerberghe, in Le Figaro, 14 septembre 2017 ; « Cassini, ses plus belles découvertes », Rémy Decourt, 15 septembre 2017, in Futura Sciences

- Une conférence (extrait) d’André Brahic à propos de Saturne, à Normale Sup’, février 2010

- Un ouvrage : Les mondes de Saturne, Alice Le Gall, Sandrine Guerlet, Sandrine Vinatier, Sébastien Charnoz, Belin, 2022.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence

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04/07/2024 18:05
1058 mots

Il y a 20 ans, Cassini-Huygens commençait l’exploration des mondes de Saturne

Après un voyage de sept ans, la sonde américano-européenne Cassini-Huygens se mettait en orbite autour de Saturne début juillet 2004, entamant une mission spectaculaire de 13 ans.

Il y a 20 ans, Cassini-Huygens commençait l’exploration des mondes de Saturne
Il y a 20 ans, Cassini-Huygens commençait l’exploration des mondes de Saturne

En 1997, au moment où Cassini-Huygens s’apprête à partir explorer Saturne, seules trois sondes l’ont alors précédée – Pioneer 11 en 1979, Voyager 1 en 1980, Voyager 2 en 1981 – mais elles n’ont étudié la géante aux anneaux qu’en la survolant.

 

Origine du programme

« Joyau du système solaire » ou « Seigneur des anneaux » sont des qualificatifs récurrents pour désigner Saturne… Sixième planète du système solaire, elle fascine depuis longtemps les astronomes. Cependant, l’intention d’envoyer un engin automatique l’explorer, ses anneaux et ses lunes (dont Titan la plus grosse lune de Saturne), est plus récente ; cela remonte au début des années 1980 au sein des agences spatiales américaine (NASA) et européenne (ESA). Ainsi, en 1982, des scientifiques européens de l’Observatoire de Meudon et de l’Institut Max-Planck proposent de réaliser un vaisseau d’exploration dédié au système saturnien en partenariat avec les Etats-Unis. La chose est entendue en 1988-89 : aux Américains de réaliser l’orbiteur, aux Européens l’atterrisseur devant se poser sur l’énigmatique Titan. Cette lune intrigue d’autant plus qu’elle est la seule du système solaire à avoir une atmosphère dense. Quant aux noms des engins, l’orbiteur reçoit celui de Cassini en l’honneur de l’astronome français Jean-Dominique Cassini (1625-1712) qui a étudié les anneaux de Saturne et a découvert plusieurs lunes ; l’atterrisseur est baptisé en mémoire de l’astronome néerlandais Christiaan Huyghens (1629-1695) découvreur de Titan en 1655.

 

Caractéristique des sondes

Développé par le Jet Propulsion Laboratory de la NASA (avec des contributions de l’ESA et de l’Agence spatiale italienne), l’orbiteur Cassini a une hauteur de 6,8 m, un diamètre de 4 m de diamètre (avec l’antenne) pour une masse de 5 712 kg (avec carburant). Il emporte une douzaine d’instruments scientifiques : quatre sont dédiés à l’observation (caméras, spectromètres), six pour l’étude des champs magnétiques et des particules (spectromètres, magnétomètre, etc.), un radar pour cartographier la surface de Titan, et une expérience radio pour en savoir plus sur l’atmosphère de Titan, de Saturne et de ses anneaux. Quant à Huygens, construit sous la maîtrise d’œuvre du groupe français Aerospatiale, il a une masse de 320 kg et est équipé de six instruments pour étudier les propriétés physiques et chimiques de l’atmosphère de Titan, des vents, des nuages, ainsi qu’un imageur pour photographier la surface et des senseurs pour caractériser le site d’atterrissage. Au total, l’ensemble Cassini-Huygens atteint la masse d’environ 6 tonnes, soit la plus grosse sonde planétaire alors jamais lancée.

 

Début de mission

Lancée le 15 octobre 1997 par un Titan IV Centaur, et après avoir parcouru 3,5 milliards de kilomètres en 7 ans, Cassini-Huygens se place sur orbite autour de Saturne le 1er juillet 2004. Très vite, les premières photographies de Saturne et des anneaux de la planète géante sont livrées, certaines offrent des détails inédits avec une résolution d’une centaine de mètres.

A la fin de l’année, Cassini libère le module européen Huygens en direction de Titan, se trouvant alors à environ un million de kilomètres. Trois semaines plus tard, le 14 janvier 2005, il pénètre dans les couches denses de l’atmosphère de Titan (principalement composée de diazote), et se pose à la surface. Devenant l’objet humain le plus lointain ayant atterri sur un autre monde, Huygens révèle un monde inconnu, inhospitalier, particulièrement froid (-180°C) mais fascinant…

 

Une fin exceptionnelle pour un bilan exceptionnel

Après treize années de travail (2004-2017), Cassini joue les kamikazes en plongeant à plusieurs reprises entre la haute atmosphère de Saturne et son anneau le plus interne, capturant au passage des images époustouflantes et analysant l’ionosphère de la géante. Le 15 septembre 2017, alors que Huygens repose sur Titan, Cassini se désintègre dans les couches denses de l’atmosphère de Saturne. Ainsi se termine, comme le souligne Le Figaro, « l’une des plus ambitieuses et des plus prolifiques [missions] jamais entreprises par l’homme. Près de 4 000 articles scientifiques ont été produits. Plus de 450 000 photos ont été prises ». Le bilan est exceptionnel, impossible à résumer à quelques lignes… Donnons néanmoins un aperçu.

Concernant Saturne, Cassini a amélioré les connaissances sur les phénomènes météorologiques, les formations nuageuses et la foudre notamment, découvert aux deux pôles un vortex géant similaire à un ouragan. Les mesures prises ont également affiné la vitesse de rotation de Saturne (10 h 47). Quant aux anneaux, les observations et les données ont révélé un système plus jeune que l’on croyait ; leur structure et leur composition montrent qu’ils n’ont pas été formés en même temps que la planète et pas avec les mêmes matériaux. Ils semblent ainsi être un « laboratoire sur la façon dont les planètes ou les lunes se forment ». Fasciné, l’astrophysicien André Brahic, qui a fait partie de l’équipe d’imagerie de Cassini, considérait que ces anneaux sont « l’objet le plus mince de l’univers, faisant 300 000 km de longueur pour 2 mètres d’épaisseur ! ».

D’autres découvertes ont été obtenues pour les lunes, à commencer par la plus importante Titan qui révèle avoir un cycle météorologique et hydrologique (rivières, lacs, mers), avec des saisons et des pluies, non pas fondé sur l’eau comme sur Terre mais sur le méthane ! Pour les scientifiques, Titan pourrait être dans « des conditions prébiotiques avec la formation de molécules qui pourraient être utilisées par la vie telle qu’on la connaît sur Terre ». Outre Titan, Cassini a également débusqué une nouvelle lune (Daphnis) et en observé d’autres, comme Japet (Iapetus) composée à 75% de glace, et surtout Encélade où de spectaculaires geysers de glace et de vapeur d’eau ont été identifiés et observés, prouvant l’existence d’un vaste océan d’eau liquide sous la surface avec probablement une activité hydrothermale dans les fonds marins…

Toutes ces découvertes soulèvent naturellement de nombreuses questions, encourageant les scientifiques à vouloir retourner dans les mondes saturniens, pour notamment étudier in situ l’atmosphère de Saturne (Saturn Probe), la surface et l’atmosphère de Titan (Dragonfly), ou encore les geysers d’Encelade (projet Enceladus Life Finder).

 

Quelques références

- Deux articles : « Les derniers travaux de la sonde Cassini », Tristan Vey et Cyrille Vanlerberghe, in Le Figaro, 14 septembre 2017 ; « Cassini, ses plus belles découvertes », Rémy Decourt, 15 septembre 2017, in Futura Sciences

- Une conférence (extrait) d’André Brahic à propos de Saturne, à Normale Sup’, février 2010

- Un ouvrage : Les mondes de Saturne, Alice Le Gall, Sandrine Guerlet, Sandrine Vinatier, Sébastien Charnoz, Belin, 2022.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence



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