Canicule, climat et transport aérien
Canicule, climat et transport aérien

publié le 20 juillet 2022 à 14:30

2111 mots

Canicule, climat et transport aérien

Les deux épisodes caniculaires que nous venons de subir en France métropolitaine, avec des températures dépassant les 42°C sur plusieurs jours pourraient être amené à se reproduire de façon plus fréquente avec l’accentuation du dérèglement climatique. Dès lors, il apparait important d’anticiper ces épisodes et de s’y préparer, pour assurer sereinement la résilience de nombreux services, y compris les services de transport, qu’ils soient terrestres, maritimes ou aériens.


Impact de la canicule sur le trafic aérien

Qui n’a pas déjà lu ou entendu que de tels phénomènes caniculaires vont impacter le trafic aérien au point de perturber ses opérations et réduire sa capacité d’emport et de laisser de nombreux passagers au sol ? Encore tout dernièrement, en juin, dans un magazine spécial intitulé « Destination Aviation Durable », publié par l’association Equilibre des Energies (EDEN), un article signé par Nicolas Gourdain (enseignant chercher à l’ISAE-SupAero) reprenait un certain nombre d’éléments en ce sens déjà publiés dans la presse ou dans le « Référentiel Aviation et Climat » de l’ISAE-SupAero, dont il est un des auteurs.

Mais qu’en est-il factuellement ? Comment affronter la réalité sans en exagérer les conséquences ?

L’article indiquait notamment, sur ce sujet :

"Plusieurs dizaines de vols ont déjà été annulés à Phoenix (USA) en 2017, ou encore à Dallas (USA) en 2021, en raison des vagues de chaleur intenses, avec des températures au sol proches de 50 °C. Ces conditions extrêmes impactent fortement les opérations d’atterrissage et de décollage des avions, en raison de la diminution de la densité de l’air lorsque la température augmente. Cela se traduit par une réduction de la portance et de la poussée des moteurs, de manière sensible dès que la température au sol dépasse 35 °C. Dans ces conditions, pour une longueur de piste fixée, la masse maximale au décollage de l’avion doit être réduite, notamment en diminuant le nombre de passagers
Par exemple, à Toulouse, de telles restrictions de poids pourraient représenter environ 10 % à 20 % du nombre de sièges disponibles pour un court courrier, et s’appliquer 4 à 5 jours en moyenne chaque été à l’horizon 2050. Les aéroports situés dans les régions chaudes (bassin méditerranéen) et humides (zones tropicales) seront impactés encore plus significativement."

De nombreuses erreurs, inexactitudes ou exagérations sont en fait à la base des arguments invoqués et il convient de rétablir les faits, sur la base de données opérationnelles pratiques.

Atterrissage : en cas de températures très élevées, des limitations de masse opérationnelles maximale peuvent être envisagées au décollage, mais pas à l’atterrissage où la masse maximale certifiée est bien plus faible et une configuration de volets (conf FULL) permet d’augmenter la portance.

Décollage :

  • Phoenix, 2017 – la réalité des événements

Environ 60 vols sur 3 jours (20 vols par jour) ont été annulés par American Eagle entre autres (filiale court courrier d’American Airlines), sur les périodes les plus chaudes de la journée (15h à 18h locales). Si des vols ont été annulés à l’arrivée, c’est simplement car le vol qui suivait, au décollage, avec cet appareil, n’était pas possible étant donné les conditions.

Ces annulations ont uniquement concerné des appareils de type Bombardier CRJ, dont la limitation en température au niveau de leurs moteurs était de 118 °F (47.8°C) alors que la prévision de température extérieure était de 120 °F (48.8°C)

Les avions de type B737 et A320 Family sont eux certifiés pour des températures maximales de 126 °F (52.2 °C) et 127 °F (52,7 °C) respectivement, donc opérables par ces températures extrêmes.

Il est à noter que cette même source indique par ailleurs que, un an après et après études, une modification « papier » des appareils concernés (CRJ) les autorise maintenant à décoller jusqu’à 123.8°C (51 °C)

  • Toulouse : Extrapoler cette situation à Toulouse, à partir de températures supérieures à 35°C, et en conclure à une limitation de performance au décollage (limitation de 10 à 20% du nombre de sièges pour un court courrier) semble totalement erroné. L’explication technique est la suivante :

Les courts courriers les plus utilisés à Toulouse sont les avions de la famille A320 et les B737, dont la limitation en température MAX va bien au-delà des 35°C, voire au-delà des 50°C envisagés dans l’avenir. Ils peuvent être exploités jusqu’à plus de 52°C

Comme ce sont des courts courriers, ces vols décollent la plupart du temps avec une masse opérationnelle réelle (celle déterminée par les conditions du jour) bien plus faible que la masse maximale certifiée pour le décollage (MTOW), notamment grâce un emport carburant approprié à la courte mission.

Afin d’optimiser une utilisation maximale des infrastructures existantes et réduire le bruit, la consommation de carburant et les émissions associées, mais aussi les coûts de maintenance, une température artificielle est entrée dans le FMS (température dite FLEX), plus élevée que la température réelle du jour, et pouvant même aller au-delà de la TMAX certifiée.

Il existe donc une marge considérable pour décoller avec toute la charge marchande et si la température du jour est anormalement élevée, une réduction de l’option FLEX vers une température plus proche de la réalité sera considérée.

De plus, Toulouse est sans doute un aéroport avec une des pistes les plus longues, qui plus est si on peut utiliser la piste dite « piste Concorde», et pour cause. Donc pas de limitation en ce sens à Toulouse.

Enfin, les épisodes de canicule que nous venons de subir (aux alentours du 15 Juin et à mi Juillet) n’ont visiblement pas entrainé de pénalité de performances pour les vols décollant de Toulouse.

“This reduction in lift could have severe consequences for aircraft take-off performance, where high altitudes or short runways limit the payload or even the fuel carrying capacity.”
Source : https://www.cockpitseeker.com/wp-content/uploads/goodies/ac/a320/pdf/Print_Only/PTM%20with%20airbus%20doc/pdf/U0S2SP0.pdf © Rapport Environnement ICAO 2016
“This reduction in lift could have severe consequences for aircraft take-off performance, where high altitudes or short runways limit the payload or even the fuel carrying capacity.”

Autres moyens de transport

En revanche, il n’y a pas besoin d’extrapoler les températures jusqu’à 50°C pour noter les limitations de performance d’autres moyens de transport, souvent indiqués comme la solution, via un transfert modal (le train pour ne pas le citer)

  • En juillet 2019, avec un record de température de 42.6°C sur un jour à Paris, le Thalys a cessé la vente de billets sur l’ensemble de ses lignes

On ne parle pas de 60 vols entre 15h et 18h sur un aéroport mais d’un arrêt complet sur le réseau européen pendant plus de 2 jours, tel qu’indiqué par l’article en référence : « La vente des billets Thalys est suspendue depuis jeudi et au moins jusqu'à samedi sur tout son réseau qui couvre la Belgique, la France, les Pays-Bas et l'Allemagne. »

L’épisode de canicule que nous venons de subir a entrainé un nécessaire ralentissement de la vitesse de certains TGV pour limiter les risques opérationnels associés aux perturbations de type :

- Dilatation des rails par forte température (10 à 15°C plus élevés au ras du sol)

- Les Caténaires se dilatent et ont tendance à pendre avec la chaleur

- Les talus au bord des voies peuvent prendre feu à cause des étincelles provoquées par le passage des trains. Il semblerait d’ailleurs que l’incendie qui a ravagé plus de 1000 hectares en Provence au alentours du 14 juillet dernier ait été provoqué par des étincelles émanant d’un train de marchandises. L’enquête en cours confirmera les causes réelles de cet incendie qui s’est déclaré en bordure de la voie ferrée.

  • Impact indirect : Les températures plus fortes et les sècheresses plus fréquentes vont entrainer un niveau plus bas des cours d’eau et une température de l’eau plus élevée

Tout cela entrainera la mise à l'arrêt de certaines centrales nucléaires, incapables de refroidir leurs réacteurs : soit on aura moins d’électricité, soit on devra faire tourner les centrales thermiques pour en produire, ce qui est un désastre pour le climat. Ainsi, le 15 juillet dernier, 4 centrales nucléaires françaises ont dû demander une dérogation spéciale pour passer outre la règlementation environnementale et autoriser la continuation d’exploitation malgré une température de l’eau supérieure à 28°C. il est à noter toutefois, que la centrale de Golfech par exemple, qui a obtenu une telle régulation exceptionnelle jusqu’au 24 juillet, a néanmoins dû réduire son niveau de production de son niveau maximum de 1300 MWe à son niveau minimal de 300 MWe (source).

Sachant qu’actuellement près de la moitié des réacteurs nucléaires français sont à l’arrêt pour maintenance, on peut donc légitimement questionner la composition du mix électrique qui va être utilisé pour satisfaire la demade d'électricité, notamment pour assurer les déplacements des vacances d'été en TGV.

Montée des eaux, phénomène météorologiques violents

Bien entendu, l’impact du dérèglement climatique ne se limite pas à des épisodes de canicule plus ou moins fréquents ; il couvre aussi des événements météorologiques violents (tempêtes, grêle, inondations…) et une montée des eaux qui peuvent impacter les infrastructures terrestres proches des côtes ou des cours d’eau. Pour autant, il faut évaluer factuellement ces impacts, sans les exagérer, afin de planifier les mesures d’anticipation pour maintenir la résilience des services de transport.

Dans l’article de Nicolas Gourdain, encore une fois, cette perspective semble exagérée en ce qui concerne le transport aérien. Le texte dit en effet : « Près de 1 200 aéroports dans le monde (de différentes catégories) sont situés dans une zone de faible élévation côtière, en Asie du Sud-Est, en Australie ou encore dans les régions insulaires (Indonésie et Polynésie par exemple). Parmi ces aéroports, les 20 plus gros représentent 18 % du trafic de passagers mondial, et 25 % du fret. » :

  • Ce chiffre semble impossible car les 20 plus gros aéroports du monde (et non de la sélection des 1200 aéroports côtiers) ne représentent environ que 15% du trafic passager mondial. Par conséquent, les 20 aéroports sélectionnés ne représentent tout au plus que 10% du trafic aérien passager mondial.
  • L’erreur est simplement la reprise « copié-collé » d’un document pourtant publié dans des revues scientifiques louables : l'erreur dans cette analyse est assez "classique", à savoir que des chiffres de trafic de source "aéroports" sont comparés avec des chiffres de trafic de source "compagnie aérienne" :

- L'approche aéroport comptabilise un passager à la fois pour son décollage (par un aéroport) et pour son atterrissage (par un autre aéroport) si bien qu'il est donc compté 2 fois.

- L’approche compagnie aérienne comptabilise ce passager une seule fois.

- En 2019, il y a eu environ 4.5 milliards de passagers selon les chiffres des compagnies aériennes, alors qu'il y en a eu environ 9 milliards si on additionne le décompte du trafic de tous les aéroports du monde.

  • Le chiffre correct en calculant la proportion sur la même base est donc d'environ 802 millions de passagers « aéroports », divisé par 9 milliards, soit de l'ordre de ~9% et pas 18%.

Il est à noter que ce genre d’impacts n’est pas limité au trafic aérien. En effet, en 2019, suite à des pluies diluviennes dans la région Occitanie, un affaissement de la voie ferrée aux alentours de Béziers a entraîné une interruption totale du trafic (plus de 140 trains par jour, sans aucune vraie solution alternative), pendant plus d’un mois.

Conclusion

S’il est important d’analyser avec sang-froid et rationalité les risques de rupture des services de transports en conséquence du dérèglement climatique, pour anticiper des mesures d’adaptation appropriées, il est tout aussi important de ne pas générer ou alimenter des arguments de peur ou de catastrophisme, au moyen d’éléments exagérés ou faux.

Même sur le plan des comportements, cette exagération existe dans l’article cité lorsqu’il affirme : « En Suède, en 2019, le nombre de passagers a baissé de 9 % sur les vols intérieurs en raison du mouvement flygskam ». La réalité est bien différente :

  • Le mouvement flygskam a émergé en novembre 2018 et est très loin d'être le seul élément explicatif. En effet :

- La compagnie régionale suédoise Nextjet a fait faillite en mai 2018 et mis fin à ses activités le 16 mai 2018, si bien que l'offre de transport fut réduite immédiatement.

- La mise au sol des B737Max en mars 2019 a également contribué à cette réduction de l'offre avec notamment Norwegian qui fut significativement impacté

- Une grève des pilotes de SAS d'une semaine à la fin avril 2019 s'est traduit par l'annulation de 4.000 vols

  • Ces 3 éléments expliquent une réduction de l'offre de 6% sur le domestique suédois en 2019
  • Par ailleurs, en 2019, la couronne suédoise a perdu 10% de sa valeur par rapport à l'euro si on compare avec le niveau de début 2018. Cela explique, entre autres, le renchérissement significatif du transport aérien sur la 2ème moitié de 2018 et sur l'année 2019 en Suède, d’où une diminution du trafic aérien sans forcément un transfert vers d’autres modes.

Si on combine le tout, on se rend compte que le lien entre le flygskam et la baisse du trafic en Suède en 2019 est loin d'être aussi évident que cela, même si son impact ne doit pas être exclu. Le transport aérien, à l’avenir, sera très certainement impacté plus fréquemment par des phénomènes météorologiques ou des conséquences d’évolutions climatiques de plus en plus marquées. Pour autant, il ne sera pas le seul et il convient, en toute objectivité, d’évaluer ces impacts potentiels et sans exagération. Sur un plan sociétal et politique, offrir plusieurs choix et moyens de déplacement sur un même trajet peut assurer cette résilience de service que le transfert exclusif vers un seul mode de transport risque de remettre en cause.

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20/07/2022 14:30
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Canicule, climat et transport aérien

Les deux épisodes caniculaires que nous venons de subir en France métropolitaine, avec des températures dépassant les 42°C sur plusieurs jours pourraient être amené à se reproduire de façon plus fréquente avec l’accentuation du dérèglement climatique. Dès lors, il apparait important d’anticiper ces épisodes et de s’y préparer, pour assurer sereinement la résilience de nombreux services, y compris les services de transport, qu’ils soient terrestres, maritimes ou aériens.

Canicule, climat et transport aérien
Canicule, climat et transport aérien

Impact de la canicule sur le trafic aérien

Qui n’a pas déjà lu ou entendu que de tels phénomènes caniculaires vont impacter le trafic aérien au point de perturber ses opérations et réduire sa capacité d’emport et de laisser de nombreux passagers au sol ? Encore tout dernièrement, en juin, dans un magazine spécial intitulé « Destination Aviation Durable », publié par l’association Equilibre des Energies (EDEN), un article signé par Nicolas Gourdain (enseignant chercher à l’ISAE-SupAero) reprenait un certain nombre d’éléments en ce sens déjà publiés dans la presse ou dans le « Référentiel Aviation et Climat » de l’ISAE-SupAero, dont il est un des auteurs.

Mais qu’en est-il factuellement ? Comment affronter la réalité sans en exagérer les conséquences ?

L’article indiquait notamment, sur ce sujet :

"Plusieurs dizaines de vols ont déjà été annulés à Phoenix (USA) en 2017, ou encore à Dallas (USA) en 2021, en raison des vagues de chaleur intenses, avec des températures au sol proches de 50 °C. Ces conditions extrêmes impactent fortement les opérations d’atterrissage et de décollage des avions, en raison de la diminution de la densité de l’air lorsque la température augmente. Cela se traduit par une réduction de la portance et de la poussée des moteurs, de manière sensible dès que la température au sol dépasse 35 °C. Dans ces conditions, pour une longueur de piste fixée, la masse maximale au décollage de l’avion doit être réduite, notamment en diminuant le nombre de passagers
Par exemple, à Toulouse, de telles restrictions de poids pourraient représenter environ 10 % à 20 % du nombre de sièges disponibles pour un court courrier, et s’appliquer 4 à 5 jours en moyenne chaque été à l’horizon 2050. Les aéroports situés dans les régions chaudes (bassin méditerranéen) et humides (zones tropicales) seront impactés encore plus significativement."

De nombreuses erreurs, inexactitudes ou exagérations sont en fait à la base des arguments invoqués et il convient de rétablir les faits, sur la base de données opérationnelles pratiques.

Atterrissage : en cas de températures très élevées, des limitations de masse opérationnelles maximale peuvent être envisagées au décollage, mais pas à l’atterrissage où la masse maximale certifiée est bien plus faible et une configuration de volets (conf FULL) permet d’augmenter la portance.

Décollage :

  • Phoenix, 2017 – la réalité des événements

Environ 60 vols sur 3 jours (20 vols par jour) ont été annulés par American Eagle entre autres (filiale court courrier d’American Airlines), sur les périodes les plus chaudes de la journée (15h à 18h locales). Si des vols ont été annulés à l’arrivée, c’est simplement car le vol qui suivait, au décollage, avec cet appareil, n’était pas possible étant donné les conditions.

Ces annulations ont uniquement concerné des appareils de type Bombardier CRJ, dont la limitation en température au niveau de leurs moteurs était de 118 °F (47.8°C) alors que la prévision de température extérieure était de 120 °F (48.8°C)

Les avions de type B737 et A320 Family sont eux certifiés pour des températures maximales de 126 °F (52.2 °C) et 127 °F (52,7 °C) respectivement, donc opérables par ces températures extrêmes.

Il est à noter que cette même source indique par ailleurs que, un an après et après études, une modification « papier » des appareils concernés (CRJ) les autorise maintenant à décoller jusqu’à 123.8°C (51 °C)

  • Toulouse : Extrapoler cette situation à Toulouse, à partir de températures supérieures à 35°C, et en conclure à une limitation de performance au décollage (limitation de 10 à 20% du nombre de sièges pour un court courrier) semble totalement erroné. L’explication technique est la suivante :

Les courts courriers les plus utilisés à Toulouse sont les avions de la famille A320 et les B737, dont la limitation en température MAX va bien au-delà des 35°C, voire au-delà des 50°C envisagés dans l’avenir. Ils peuvent être exploités jusqu’à plus de 52°C

Comme ce sont des courts courriers, ces vols décollent la plupart du temps avec une masse opérationnelle réelle (celle déterminée par les conditions du jour) bien plus faible que la masse maximale certifiée pour le décollage (MTOW), notamment grâce un emport carburant approprié à la courte mission.

Afin d’optimiser une utilisation maximale des infrastructures existantes et réduire le bruit, la consommation de carburant et les émissions associées, mais aussi les coûts de maintenance, une température artificielle est entrée dans le FMS (température dite FLEX), plus élevée que la température réelle du jour, et pouvant même aller au-delà de la TMAX certifiée.

Il existe donc une marge considérable pour décoller avec toute la charge marchande et si la température du jour est anormalement élevée, une réduction de l’option FLEX vers une température plus proche de la réalité sera considérée.

De plus, Toulouse est sans doute un aéroport avec une des pistes les plus longues, qui plus est si on peut utiliser la piste dite « piste Concorde», et pour cause. Donc pas de limitation en ce sens à Toulouse.

Enfin, les épisodes de canicule que nous venons de subir (aux alentours du 15 Juin et à mi Juillet) n’ont visiblement pas entrainé de pénalité de performances pour les vols décollant de Toulouse.

“This reduction in lift could have severe consequences for aircraft take-off performance, where high altitudes or short runways limit the payload or even the fuel carrying capacity.”
Source : https://www.cockpitseeker.com/wp-content/uploads/goodies/ac/a320/pdf/Print_Only/PTM%20with%20airbus%20doc/pdf/U0S2SP0.pdf © Rapport Environnement ICAO 2016
“This reduction in lift could have severe consequences for aircraft take-off performance, where high altitudes or short runways limit the payload or even the fuel carrying capacity.”

Autres moyens de transport

En revanche, il n’y a pas besoin d’extrapoler les températures jusqu’à 50°C pour noter les limitations de performance d’autres moyens de transport, souvent indiqués comme la solution, via un transfert modal (le train pour ne pas le citer)

  • En juillet 2019, avec un record de température de 42.6°C sur un jour à Paris, le Thalys a cessé la vente de billets sur l’ensemble de ses lignes

On ne parle pas de 60 vols entre 15h et 18h sur un aéroport mais d’un arrêt complet sur le réseau européen pendant plus de 2 jours, tel qu’indiqué par l’article en référence : « La vente des billets Thalys est suspendue depuis jeudi et au moins jusqu'à samedi sur tout son réseau qui couvre la Belgique, la France, les Pays-Bas et l'Allemagne. »

L’épisode de canicule que nous venons de subir a entrainé un nécessaire ralentissement de la vitesse de certains TGV pour limiter les risques opérationnels associés aux perturbations de type :

- Dilatation des rails par forte température (10 à 15°C plus élevés au ras du sol)

- Les Caténaires se dilatent et ont tendance à pendre avec la chaleur

- Les talus au bord des voies peuvent prendre feu à cause des étincelles provoquées par le passage des trains. Il semblerait d’ailleurs que l’incendie qui a ravagé plus de 1000 hectares en Provence au alentours du 14 juillet dernier ait été provoqué par des étincelles émanant d’un train de marchandises. L’enquête en cours confirmera les causes réelles de cet incendie qui s’est déclaré en bordure de la voie ferrée.

  • Impact indirect : Les températures plus fortes et les sècheresses plus fréquentes vont entrainer un niveau plus bas des cours d’eau et une température de l’eau plus élevée

Tout cela entrainera la mise à l'arrêt de certaines centrales nucléaires, incapables de refroidir leurs réacteurs : soit on aura moins d’électricité, soit on devra faire tourner les centrales thermiques pour en produire, ce qui est un désastre pour le climat. Ainsi, le 15 juillet dernier, 4 centrales nucléaires françaises ont dû demander une dérogation spéciale pour passer outre la règlementation environnementale et autoriser la continuation d’exploitation malgré une température de l’eau supérieure à 28°C. il est à noter toutefois, que la centrale de Golfech par exemple, qui a obtenu une telle régulation exceptionnelle jusqu’au 24 juillet, a néanmoins dû réduire son niveau de production de son niveau maximum de 1300 MWe à son niveau minimal de 300 MWe (source).

Sachant qu’actuellement près de la moitié des réacteurs nucléaires français sont à l’arrêt pour maintenance, on peut donc légitimement questionner la composition du mix électrique qui va être utilisé pour satisfaire la demade d'électricité, notamment pour assurer les déplacements des vacances d'été en TGV.

Montée des eaux, phénomène météorologiques violents

Bien entendu, l’impact du dérèglement climatique ne se limite pas à des épisodes de canicule plus ou moins fréquents ; il couvre aussi des événements météorologiques violents (tempêtes, grêle, inondations…) et une montée des eaux qui peuvent impacter les infrastructures terrestres proches des côtes ou des cours d’eau. Pour autant, il faut évaluer factuellement ces impacts, sans les exagérer, afin de planifier les mesures d’anticipation pour maintenir la résilience des services de transport.

Dans l’article de Nicolas Gourdain, encore une fois, cette perspective semble exagérée en ce qui concerne le transport aérien. Le texte dit en effet : « Près de 1 200 aéroports dans le monde (de différentes catégories) sont situés dans une zone de faible élévation côtière, en Asie du Sud-Est, en Australie ou encore dans les régions insulaires (Indonésie et Polynésie par exemple). Parmi ces aéroports, les 20 plus gros représentent 18 % du trafic de passagers mondial, et 25 % du fret. » :

  • Ce chiffre semble impossible car les 20 plus gros aéroports du monde (et non de la sélection des 1200 aéroports côtiers) ne représentent environ que 15% du trafic passager mondial. Par conséquent, les 20 aéroports sélectionnés ne représentent tout au plus que 10% du trafic aérien passager mondial.
  • L’erreur est simplement la reprise « copié-collé » d’un document pourtant publié dans des revues scientifiques louables : l'erreur dans cette analyse est assez "classique", à savoir que des chiffres de trafic de source "aéroports" sont comparés avec des chiffres de trafic de source "compagnie aérienne" :

- L'approche aéroport comptabilise un passager à la fois pour son décollage (par un aéroport) et pour son atterrissage (par un autre aéroport) si bien qu'il est donc compté 2 fois.

- L’approche compagnie aérienne comptabilise ce passager une seule fois.

- En 2019, il y a eu environ 4.5 milliards de passagers selon les chiffres des compagnies aériennes, alors qu'il y en a eu environ 9 milliards si on additionne le décompte du trafic de tous les aéroports du monde.

  • Le chiffre correct en calculant la proportion sur la même base est donc d'environ 802 millions de passagers « aéroports », divisé par 9 milliards, soit de l'ordre de ~9% et pas 18%.

Il est à noter que ce genre d’impacts n’est pas limité au trafic aérien. En effet, en 2019, suite à des pluies diluviennes dans la région Occitanie, un affaissement de la voie ferrée aux alentours de Béziers a entraîné une interruption totale du trafic (plus de 140 trains par jour, sans aucune vraie solution alternative), pendant plus d’un mois.

Conclusion

S’il est important d’analyser avec sang-froid et rationalité les risques de rupture des services de transports en conséquence du dérèglement climatique, pour anticiper des mesures d’adaptation appropriées, il est tout aussi important de ne pas générer ou alimenter des arguments de peur ou de catastrophisme, au moyen d’éléments exagérés ou faux.

Même sur le plan des comportements, cette exagération existe dans l’article cité lorsqu’il affirme : « En Suède, en 2019, le nombre de passagers a baissé de 9 % sur les vols intérieurs en raison du mouvement flygskam ». La réalité est bien différente :

  • Le mouvement flygskam a émergé en novembre 2018 et est très loin d'être le seul élément explicatif. En effet :

- La compagnie régionale suédoise Nextjet a fait faillite en mai 2018 et mis fin à ses activités le 16 mai 2018, si bien que l'offre de transport fut réduite immédiatement.

- La mise au sol des B737Max en mars 2019 a également contribué à cette réduction de l'offre avec notamment Norwegian qui fut significativement impacté

- Une grève des pilotes de SAS d'une semaine à la fin avril 2019 s'est traduit par l'annulation de 4.000 vols

  • Ces 3 éléments expliquent une réduction de l'offre de 6% sur le domestique suédois en 2019
  • Par ailleurs, en 2019, la couronne suédoise a perdu 10% de sa valeur par rapport à l'euro si on compare avec le niveau de début 2018. Cela explique, entre autres, le renchérissement significatif du transport aérien sur la 2ème moitié de 2018 et sur l'année 2019 en Suède, d’où une diminution du trafic aérien sans forcément un transfert vers d’autres modes.

Si on combine le tout, on se rend compte que le lien entre le flygskam et la baisse du trafic en Suède en 2019 est loin d'être aussi évident que cela, même si son impact ne doit pas être exclu. Le transport aérien, à l’avenir, sera très certainement impacté plus fréquemment par des phénomènes météorologiques ou des conséquences d’évolutions climatiques de plus en plus marquées. Pour autant, il ne sera pas le seul et il convient, en toute objectivité, d’évaluer ces impacts potentiels et sans exagération. Sur un plan sociétal et politique, offrir plusieurs choix et moyens de déplacement sur un même trajet peut assurer cette résilience de service que le transfert exclusif vers un seul mode de transport risque de remettre en cause.



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