Créé le 7 janvier 1959 par le gouvernement de Gaulle, le Comité des recherches spatiales a été le premier acte conduisant à la naissance de la politique spatiale française.
A partir de 1945, les militaires français, comme leurs homologues américains et soviétiques, récupèrent du matériel et des spécialistes allemands. L’astronautique est un des domaines qui profite alors de l’apport allemand…
Le LRBA, le CASDN et Véronique.
La Direction des études et fabrications d’armement (DEFA) de l’armée de Terre créé à Vernon le 17 mai 1946 le Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques (LRBA). Ce dernier compte, avec l’appui des ingénieurs et techniciens allemands, engager des études balistiques. Cependant, le contexte devient rapidement défavorable. Les politiques n’estiment pas ces études prioritaires, d’autant plus que la guerre d’Indochine capte l’attention et les moyens.
Ne voulant pas perdre l’héritage allemand, le LRBA décide en mars 1949 la construction d’une petite fusée appelée Véronique (VERnon électrONIQUE), et la propose aux scientifiques pour explorer la haute atmosphère. Le LRBA reçoit le soutien du Comité d’action scientifique de la Défense nationale (CASDN), un organisme créé en 1948 pour favoriser la coopération entre les hommes de science et les militaires qui, justement, s’intéressent aux phénomènes de propagation des ondes, un enjeu vital des communications. Une première expérience est effectuée avec succès le 29 octobre 1954 avec une Véronique NA (qui culmine à 104 km), pour des émissions spéciales transmises en ondes longues et moyennes. L’expérience a d’autant plus de sens qu’à la même époque se prépare l’Année géophysique internationale (AGI).
Les opportunités de l’AGI et du COSPAR.
Dès le début des années 50, des physiciens de la haute atmosphère de différents pays (Etats-Unis, Royaume Uni, Belgique, etc.) décident la mise en place d’une AGI, calquée sur le modèle des années polaires. L’objectif est l’étude globale de la Terre avec une volonté de mieux comprendre l’interaction des rayonnements solaires avec la haute atmosphère. L’AGI est programmée pour 1957-58, période au cours de laquelle une intense activité solaire est attendue. Pour cela, les scientifiques vont avoir besoin des moyens les plus modernes de l’époque, notamment les fusées-sondes. De plus, Américains et Soviétiques en profitent pour annoncer le lancement des premiers satellites artificiels…
En France, une commission AGI est créée pour que les scientifiques français puissent participer aux manifestations de l’AGI. De son côté, le CASDN propose une aide au développement d’une Véronique AGI plus puissante que la NA, capable d’atteindre des altitudes de l’ordre de 210 km. Cependant, la modernisation de Véronique prend plus de temps que prévu en raison notamment de l’hésitation des politiques, préoccupés par le conflit algérien. Les crédits ne sont débloqués qu’au printemps 1956, mais trop tard pour que Véronique AGI soit prête pour les manifestations de 1957-58.
Par ailleurs, avec l’avènement de l’AGI, la communauté scientifique internationale en profite pour créer en 1958 le Committee on Space Research (COSPAR), dont l’objectif est l’organisation et la coordination des travaux scientifiques en lien avec la conquête spatiale. Or, si les scientifiques français veulent être entendus, il serait souhaitable qu’ils aient le soutien d’un organisme civil national.
Les initiatives du CASDN.
En réponse aux attentes des scientifiques, le général Guérin (président du CASDN depuis 1955) propose dès le 23 janvier 1958 un « Institut de la Haute atmosphère ». Celui-ci pourrait s’occuper des études sur la chimie de la haute atmosphère, l’électronique ou encore la propagation des ondes électromagnétiques, pour le compte des scientifiques, tout en profitant aux militaires. N’ayant pas convaincu, l’initiative n’aboutit pas. En attendant, il est tout de même admis que la première campagne de tir de Véronique AGI - prévue pour le printemps 1959 - sera coordonnée par le CASDN, le seul à disposer des moyens nécessaires, dont la logistique et le champ de tir d’Hammaguir du Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES) en Algérie.
La création de la NASA à l’été 1958 entraîne une nouvelle initiative de la part du CASDN qui présente un nouveau projet : le « Haut-commissariat à l’espace ». Celui-ci n’est pas sans rappeler le Haut-commissariat à l’énergie atomique créé par de Gaulle le 18 octobre 1945 et, par un tel intitulé, le CASDN a probablement voulu séduire le pouvoir en place. Mais là encore, le projet est combattu : certains craignent, comme le CNRS (qui prépare les premières expériences embarquées dans les Véronique AGI), l’émergence d’un organisme trop puissant et trop sous la coupe des militaires.
L’avènement du Comité des recherches spatiales.
Pressé par les scientifiques (au premier rang desquels le physicien Jean Coulomb, le directeur général du CNRS), le gouvernement de Gaulle se décide à créer le 7 janvier 1959 le Comité des recherches spatiales (CRS) à qui lui est assigné deux objectifs : éclairer le gouvernement sur ce qu’il est possible de faire et coordonner tous les acteurs pouvant contribuer à faire naître un « spatial français ». C’est la raison pour laquelle se trouvent parmi les membres de ce Comité des représentants du CNRS, du CASDN, du CNET (Centre national d’études des télécommunications), de l’Observatoire de Paris, etc., sans oublier des représentants des ministères des Finances et des Affaires étrangères. Quant à la présidence du CRS, elle est confiée à l’éminent physicien Pierre Auger qui, dans le même temps, ne cesse de militer pour qu’émerge également une initiative spatiale à l’échelle européenne.
Le premier programme spatial.
En mars 1959, à Hammaguir, le CASDN conduit la première campagne de tir scientifique avec les fusées-sondes Véronique AGI-18, 17 et 16. Si la première échoue, les deux autres remportent le succès : en réalisant des nuages artificiels de sodium (expériences conçues par le service d’Aéronomie de Jacques Blamont, CNRS), cela permet d’en savoir plus sur les couches et structures de la haute atmosphère. Une spectaculaire découverte est même obtenue : la mise en évidence de la turbopause (limite supérieure de l’atmosphère où domine le processus de diffusion turbulente des gaz).
Quant au CRS, il présente le 9 avril 1959 un rapport qui définit les grands axes de la première politique spatiale française. Le premier axe concerne les études scientifiques pour les six prochaines années, des études portant essentiellement sur l’aéronomie et la physique solaire, les ondes hertziennes, les rayonnements infrarouge et cosmiques, les vols biologiques (avec l’envoi d’êtres vivants dans l’espace à l’aide de fusées-sondes). Le deuxième axe doit permettre le succès du premier en développant les installations au sol avec les appareils et les laboratoires nécessaires. Le troisième axe concerne les fusées : pour mener d’ambitieuses missions spatiales, il va falloir disposer de fusées plus puissantes. Ainsi, le programme avancé par le CRS est particulièrement ambitieux, avec un investissement réaliste, évalué pour les années 1959-1964 à 220 millions de francs (soit environ 365 millions d’euros). Un bémol cependant est souligné dans le rapport qui demande instamment au CNRS et à l’Enseignement supérieure de pourvoir rapidement au recrutement et à la formation de personnels scientifiques et techniques qualifiés…
En attendant, lorsque se tient à Nice en janvier 1960 la première assemblée du COSPAR, les scientifiques français peuvent désormais se faire entendre. Ainsi, « l’engagement dans ce domaine [spatial] pouvait contribuer au rayonnement de la France dans le monde », soulignait l’historien Hervé Moulin dans son dernier ouvrage.
Références
Un livre : Hervé Moulin, La construction d’une politique spatiale en France. Entre indépendance nationale et dynamiques européennes (1945-1975), Beauchesne, Paris, 2017.
Un article : Philippe Varnoteaux, « La naissance de la politique spatiale française », in Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°77, 2003/1.
Une vidéo sur le lancement de Véronique AGI-18 du 7 mars 1959.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Créé le 7 janvier 1959 par le gouvernement de Gaulle, le Comité des recherches spatiales a été le premier acte conduisant à la naissance de la politique spatiale française.
A partir de 1945, les militaires français, comme leurs homologues américains et soviétiques, récupèrent du matériel et des spécialistes allemands. L’astronautique est un des domaines qui profite alors de l’apport allemand…
Le LRBA, le CASDN et Véronique.
La Direction des études et fabrications d’armement (DEFA) de l’armée de Terre créé à Vernon le 17 mai 1946 le Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques (LRBA). Ce dernier compte, avec l’appui des ingénieurs et techniciens allemands, engager des études balistiques. Cependant, le contexte devient rapidement défavorable. Les politiques n’estiment pas ces études prioritaires, d’autant plus que la guerre d’Indochine capte l’attention et les moyens.
Ne voulant pas perdre l’héritage allemand, le LRBA décide en mars 1949 la construction d’une petite fusée appelée Véronique (VERnon électrONIQUE), et la propose aux scientifiques pour explorer la haute atmosphère. Le LRBA reçoit le soutien du Comité d’action scientifique de la Défense nationale (CASDN), un organisme créé en 1948 pour favoriser la coopération entre les hommes de science et les militaires qui, justement, s’intéressent aux phénomènes de propagation des ondes, un enjeu vital des communications. Une première expérience est effectuée avec succès le 29 octobre 1954 avec une Véronique NA (qui culmine à 104 km), pour des émissions spéciales transmises en ondes longues et moyennes. L’expérience a d’autant plus de sens qu’à la même époque se prépare l’Année géophysique internationale (AGI).
Les opportunités de l’AGI et du COSPAR.
Dès le début des années 50, des physiciens de la haute atmosphère de différents pays (Etats-Unis, Royaume Uni, Belgique, etc.) décident la mise en place d’une AGI, calquée sur le modèle des années polaires. L’objectif est l’étude globale de la Terre avec une volonté de mieux comprendre l’interaction des rayonnements solaires avec la haute atmosphère. L’AGI est programmée pour 1957-58, période au cours de laquelle une intense activité solaire est attendue. Pour cela, les scientifiques vont avoir besoin des moyens les plus modernes de l’époque, notamment les fusées-sondes. De plus, Américains et Soviétiques en profitent pour annoncer le lancement des premiers satellites artificiels…
En France, une commission AGI est créée pour que les scientifiques français puissent participer aux manifestations de l’AGI. De son côté, le CASDN propose une aide au développement d’une Véronique AGI plus puissante que la NA, capable d’atteindre des altitudes de l’ordre de 210 km. Cependant, la modernisation de Véronique prend plus de temps que prévu en raison notamment de l’hésitation des politiques, préoccupés par le conflit algérien. Les crédits ne sont débloqués qu’au printemps 1956, mais trop tard pour que Véronique AGI soit prête pour les manifestations de 1957-58.
Par ailleurs, avec l’avènement de l’AGI, la communauté scientifique internationale en profite pour créer en 1958 le Committee on Space Research (COSPAR), dont l’objectif est l’organisation et la coordination des travaux scientifiques en lien avec la conquête spatiale. Or, si les scientifiques français veulent être entendus, il serait souhaitable qu’ils aient le soutien d’un organisme civil national.
Les initiatives du CASDN.
En réponse aux attentes des scientifiques, le général Guérin (président du CASDN depuis 1955) propose dès le 23 janvier 1958 un « Institut de la Haute atmosphère ». Celui-ci pourrait s’occuper des études sur la chimie de la haute atmosphère, l’électronique ou encore la propagation des ondes électromagnétiques, pour le compte des scientifiques, tout en profitant aux militaires. N’ayant pas convaincu, l’initiative n’aboutit pas. En attendant, il est tout de même admis que la première campagne de tir de Véronique AGI - prévue pour le printemps 1959 - sera coordonnée par le CASDN, le seul à disposer des moyens nécessaires, dont la logistique et le champ de tir d’Hammaguir du Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES) en Algérie.
La création de la NASA à l’été 1958 entraîne une nouvelle initiative de la part du CASDN qui présente un nouveau projet : le « Haut-commissariat à l’espace ». Celui-ci n’est pas sans rappeler le Haut-commissariat à l’énergie atomique créé par de Gaulle le 18 octobre 1945 et, par un tel intitulé, le CASDN a probablement voulu séduire le pouvoir en place. Mais là encore, le projet est combattu : certains craignent, comme le CNRS (qui prépare les premières expériences embarquées dans les Véronique AGI), l’émergence d’un organisme trop puissant et trop sous la coupe des militaires.
L’avènement du Comité des recherches spatiales.
Pressé par les scientifiques (au premier rang desquels le physicien Jean Coulomb, le directeur général du CNRS), le gouvernement de Gaulle se décide à créer le 7 janvier 1959 le Comité des recherches spatiales (CRS) à qui lui est assigné deux objectifs : éclairer le gouvernement sur ce qu’il est possible de faire et coordonner tous les acteurs pouvant contribuer à faire naître un « spatial français ». C’est la raison pour laquelle se trouvent parmi les membres de ce Comité des représentants du CNRS, du CASDN, du CNET (Centre national d’études des télécommunications), de l’Observatoire de Paris, etc., sans oublier des représentants des ministères des Finances et des Affaires étrangères. Quant à la présidence du CRS, elle est confiée à l’éminent physicien Pierre Auger qui, dans le même temps, ne cesse de militer pour qu’émerge également une initiative spatiale à l’échelle européenne.
Le premier programme spatial.
En mars 1959, à Hammaguir, le CASDN conduit la première campagne de tir scientifique avec les fusées-sondes Véronique AGI-18, 17 et 16. Si la première échoue, les deux autres remportent le succès : en réalisant des nuages artificiels de sodium (expériences conçues par le service d’Aéronomie de Jacques Blamont, CNRS), cela permet d’en savoir plus sur les couches et structures de la haute atmosphère. Une spectaculaire découverte est même obtenue : la mise en évidence de la turbopause (limite supérieure de l’atmosphère où domine le processus de diffusion turbulente des gaz).
Quant au CRS, il présente le 9 avril 1959 un rapport qui définit les grands axes de la première politique spatiale française. Le premier axe concerne les études scientifiques pour les six prochaines années, des études portant essentiellement sur l’aéronomie et la physique solaire, les ondes hertziennes, les rayonnements infrarouge et cosmiques, les vols biologiques (avec l’envoi d’êtres vivants dans l’espace à l’aide de fusées-sondes). Le deuxième axe doit permettre le succès du premier en développant les installations au sol avec les appareils et les laboratoires nécessaires. Le troisième axe concerne les fusées : pour mener d’ambitieuses missions spatiales, il va falloir disposer de fusées plus puissantes. Ainsi, le programme avancé par le CRS est particulièrement ambitieux, avec un investissement réaliste, évalué pour les années 1959-1964 à 220 millions de francs (soit environ 365 millions d’euros). Un bémol cependant est souligné dans le rapport qui demande instamment au CNRS et à l’Enseignement supérieure de pourvoir rapidement au recrutement et à la formation de personnels scientifiques et techniques qualifiés…
En attendant, lorsque se tient à Nice en janvier 1960 la première assemblée du COSPAR, les scientifiques français peuvent désormais se faire entendre. Ainsi, « l’engagement dans ce domaine [spatial] pouvait contribuer au rayonnement de la France dans le monde », soulignait l’historien Hervé Moulin dans son dernier ouvrage.
Références
Un livre : Hervé Moulin, La construction d’une politique spatiale en France. Entre indépendance nationale et dynamiques européennes (1945-1975), Beauchesne, Paris, 2017.
Un article : Philippe Varnoteaux, « La naissance de la politique spatiale française », in Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°77, 2003/1.
Une vidéo sur le lancement de Véronique AGI-18 du 7 mars 1959.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
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