Quelques mois après le lancement du premier Spoutnik en octobre 1957, les responsables du programme spatial soviétique ambitionnaient d’envoyer des sondes à travers le système solaire, à commencer par Vénus.
Avec le début de la conquête de l’espace, Américains et Soviétiques se livrent à de véritables surenchères. C’est notamment à celui qui posera en premier un atterrisseur sur un autre monde… avec toute la symbolique idéologique que cela représentait. Outre la Lune, les deux planètes qui s’offraient aux possibilités technologiques de l’époque sont Mars et Vénus. Ainsi, dès octobre 1960, les Soviétiques lancent vers Mars la sonde Marsnik, mais celle-ci ne quitte pas l’orbite terrestre ; il leur faudra nombre d’autres tentatives pour y arriver. Quant à Vénus, ils envoient en février 1961 Vénéra 1, un engin qui est une copie de Marsnik. La course à Vénus est lancée.
Pourquoi explorer Vénus ?
Avec son atmosphère et ses épais nuages impénétrables, la deuxième planète du système solaire apparait comme la jumelle de la Terre. Jusqu’alors, la littérature présentait ce monde comme pouvant être habité. Ainsi, en 1952, les Américains Willy Ley et Chesley Bonestell écrivaient dans La conquête de l’espace que la surface vénusienne devait être « certainement torride ; ceci découle de la présence de formations nuageuses permanentes que l’on y observe et l’on peut s’imaginer Vénus entourée d’une nuée ardente et recouverte d’une jungle luxuriante peuplée de créatures de cauchemar ». Pour en avoir le cœur net, et pour comprendre comment Vénus en était arrivée à avoir une atmosphère aussi dense avec une chimie et un système météorologie différents, il fallait y envoyer des sondes.
Le programme Venera.
Avant de poser un engin sur Vénus, il s'agissait de se mettre en orbite autour, puis de pénétrer sa mystérieuse atmosphère. C’est l’objectif des premières sondes soviétiques Venera (Vénus, en russe). Toutefois, de nombreux engins échouent : plusieurs sont perdus en cours de route, d’autres ne parviennent même pas à quitter l’orbite terrestre, comme Spoutnik 7 ! Le premier succès est obtenu par les Américains avec Mariner 2 qui, en décembre 1962, effectue un survol de Vénus. Vexés, les Soviétiques ambitionnent de faire mieux. Après onze échecs, en octobre 1967, ils parviennent enfin au succès avec Venera 4 qui transmet jusqu’à une altitude de 25 km des données sur l’atmosphère vénusienne (température, densité, composition). Plus spectaculaire encore, ils réussissent, le 15 décembre 1970, à faire atterrir Venera 7, qui livre des informations pendant 23 minutes ! Pour la première fois, un engin construit par l’homme envoie des messages à partir du sol d’une autre planète… D’autres atterrisseurs suivent, comme Venera 9, qui communique les premières images (en noir et blanc) du sol vénusien, en octobre 1975. La planète révélait sa véritable nature : un monde infernal, où règne une température au sol d’environ 450°C et une pression de plus de 90 atmosphères !
Venera 13 et 14
Pour assurer le succès des atterrisseurs suivants, les Soviétiques les blindent littéralement (avec en plus des systèmes de circulation de fluide pour refroidir et retarder l’inévitable destruction). Ainsi, Venera 9 survit 53 minutes ; Venera 10, 65 minutes ; Venera 11, 95 minutes ; Venera 12, 110 minutes.
Les 30 octobre et 4 novembre 1981, c’est au tour des Venera 13 et 14 de partir pour Vénus. Leur conception est quasi identique, avec une masse au décollage respective de 4 397 et 4 394 kg. Les deux atterrisseurs de 760 kg chacun emportent 17 instruments différents, dont un système de caméras, des thermomètres et baromètres, un spectromètre de masse, un radio/sismomètre, un photomètre ultraviolet, etc. Ils sont également dotés d’un bras préleveur d’échantillons. Après un voyage de quatre mois, les deux atterrisseurs se posent les 1er et 5 mars 1982, après le déploiement d’un parachute jusqu’à environ 50 km d'altitude, puis un aérofreinage final. Venera 13 atterrit à 950 km au nord de son jumeau, à l’est d’une région appelée Phoebe Regio, une zone de plaines. Les deux engins analysent pour la première fois la composition chimique du sol, grâce notamment au spectromètre à rayon X. L’échantillon recueilli dans une boîte fermée hermétiquement (à une température de 30°C avec une pression de 0,05 atmosphère) révèle un sol de type basaltique. Les sismographes étudient les mouvements de surface. Quant aux caméras, elles réalisent les premiers clichés panoramiques en couleur de Vénus à l’aide de filtres clairs et colorés, avec une résolution plus élevée que les sondes précédentes.
Le succès
Les vaisseaux porteurs, en orbite, relayent les informations obtenues par les deux atterrisseurs qui ont survécu 127 minutes pour Venera 13, et 57 minutes pour Venera 14. Les photos présentent un monde étrange qui « semble lisse, mais brisé, et surmonté de l’atterrissage lui-même par des débris abondants de différentes tailles », comme le rapporte le 20 mars 1982 un article de Science News. Les photos sont d’autant plus intrigantes qu’elles montrent un environnement ayant une couleur jaune-orange due au rayonnement solaire filtré par les gouttelettes d’acide sulfurique présentes dans les nuages. Précisons que Venera 14 emporte un microphone permettant d’écouter le bruit existant à la surface de la planète.
Après le succès des Venera 13 et 14, les Soviétiques lanceront en 1983 Venera 15 et 16, des sondes orbitales équipées de radar (cartographiant environ 25 % de la planète), puis en 1984 Vega 1 et 2 qui, avant de rejoindre la comète de Halley, larguent des atterrisseurs, plus des ballons français dans la haute atmosphère vénusienne. Le professeur Jacques Blamont, premier directeur scientifique du Cnes qui a contribué au développement de ces ballons, considère que le programme Venera a été « un beau progrès technique », avec des résultats scientifiques plus ou moins importants. Jusqu’à ce jour, seuls les Soviétiques ont réussi l’exploit d’atterrir sur Vénus…
Références
Un ouvrage : Vénus dévoilée, par Jacques Blamont, Odile Jacob, Paris, 1987
Un site : Don P. Mitchell a réutilisé et reconstitué des données originales des sondes soviétiques Venera, consultables sur http://mentallandscape.com/V_Venus.htm
Il est possible d’entendre le bruit environnant au niveau du sol vénusien enregistré par la sonde Venera 14 : https://www.youtube.com/watch?v=8jZDW53U8qQ
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Quelques mois après le lancement du premier Spoutnik en octobre 1957, les responsables du programme spatial soviétique ambitionnaient d’envoyer des sondes à travers le système solaire, à commencer par Vénus.
Avec le début de la conquête de l’espace, Américains et Soviétiques se livrent à de véritables surenchères. C’est notamment à celui qui posera en premier un atterrisseur sur un autre monde… avec toute la symbolique idéologique que cela représentait. Outre la Lune, les deux planètes qui s’offraient aux possibilités technologiques de l’époque sont Mars et Vénus. Ainsi, dès octobre 1960, les Soviétiques lancent vers Mars la sonde Marsnik, mais celle-ci ne quitte pas l’orbite terrestre ; il leur faudra nombre d’autres tentatives pour y arriver. Quant à Vénus, ils envoient en février 1961 Vénéra 1, un engin qui est une copie de Marsnik. La course à Vénus est lancée.
Pourquoi explorer Vénus ?
Avec son atmosphère et ses épais nuages impénétrables, la deuxième planète du système solaire apparait comme la jumelle de la Terre. Jusqu’alors, la littérature présentait ce monde comme pouvant être habité. Ainsi, en 1952, les Américains Willy Ley et Chesley Bonestell écrivaient dans La conquête de l’espace que la surface vénusienne devait être « certainement torride ; ceci découle de la présence de formations nuageuses permanentes que l’on y observe et l’on peut s’imaginer Vénus entourée d’une nuée ardente et recouverte d’une jungle luxuriante peuplée de créatures de cauchemar ». Pour en avoir le cœur net, et pour comprendre comment Vénus en était arrivée à avoir une atmosphère aussi dense avec une chimie et un système météorologie différents, il fallait y envoyer des sondes.
Le programme Venera.
Avant de poser un engin sur Vénus, il s'agissait de se mettre en orbite autour, puis de pénétrer sa mystérieuse atmosphère. C’est l’objectif des premières sondes soviétiques Venera (Vénus, en russe). Toutefois, de nombreux engins échouent : plusieurs sont perdus en cours de route, d’autres ne parviennent même pas à quitter l’orbite terrestre, comme Spoutnik 7 ! Le premier succès est obtenu par les Américains avec Mariner 2 qui, en décembre 1962, effectue un survol de Vénus. Vexés, les Soviétiques ambitionnent de faire mieux. Après onze échecs, en octobre 1967, ils parviennent enfin au succès avec Venera 4 qui transmet jusqu’à une altitude de 25 km des données sur l’atmosphère vénusienne (température, densité, composition). Plus spectaculaire encore, ils réussissent, le 15 décembre 1970, à faire atterrir Venera 7, qui livre des informations pendant 23 minutes ! Pour la première fois, un engin construit par l’homme envoie des messages à partir du sol d’une autre planète… D’autres atterrisseurs suivent, comme Venera 9, qui communique les premières images (en noir et blanc) du sol vénusien, en octobre 1975. La planète révélait sa véritable nature : un monde infernal, où règne une température au sol d’environ 450°C et une pression de plus de 90 atmosphères !
Venera 13 et 14
Pour assurer le succès des atterrisseurs suivants, les Soviétiques les blindent littéralement (avec en plus des systèmes de circulation de fluide pour refroidir et retarder l’inévitable destruction). Ainsi, Venera 9 survit 53 minutes ; Venera 10, 65 minutes ; Venera 11, 95 minutes ; Venera 12, 110 minutes.
Les 30 octobre et 4 novembre 1981, c’est au tour des Venera 13 et 14 de partir pour Vénus. Leur conception est quasi identique, avec une masse au décollage respective de 4 397 et 4 394 kg. Les deux atterrisseurs de 760 kg chacun emportent 17 instruments différents, dont un système de caméras, des thermomètres et baromètres, un spectromètre de masse, un radio/sismomètre, un photomètre ultraviolet, etc. Ils sont également dotés d’un bras préleveur d’échantillons. Après un voyage de quatre mois, les deux atterrisseurs se posent les 1er et 5 mars 1982, après le déploiement d’un parachute jusqu’à environ 50 km d'altitude, puis un aérofreinage final. Venera 13 atterrit à 950 km au nord de son jumeau, à l’est d’une région appelée Phoebe Regio, une zone de plaines. Les deux engins analysent pour la première fois la composition chimique du sol, grâce notamment au spectromètre à rayon X. L’échantillon recueilli dans une boîte fermée hermétiquement (à une température de 30°C avec une pression de 0,05 atmosphère) révèle un sol de type basaltique. Les sismographes étudient les mouvements de surface. Quant aux caméras, elles réalisent les premiers clichés panoramiques en couleur de Vénus à l’aide de filtres clairs et colorés, avec une résolution plus élevée que les sondes précédentes.
Le succès
Les vaisseaux porteurs, en orbite, relayent les informations obtenues par les deux atterrisseurs qui ont survécu 127 minutes pour Venera 13, et 57 minutes pour Venera 14. Les photos présentent un monde étrange qui « semble lisse, mais brisé, et surmonté de l’atterrissage lui-même par des débris abondants de différentes tailles », comme le rapporte le 20 mars 1982 un article de Science News. Les photos sont d’autant plus intrigantes qu’elles montrent un environnement ayant une couleur jaune-orange due au rayonnement solaire filtré par les gouttelettes d’acide sulfurique présentes dans les nuages. Précisons que Venera 14 emporte un microphone permettant d’écouter le bruit existant à la surface de la planète.
Après le succès des Venera 13 et 14, les Soviétiques lanceront en 1983 Venera 15 et 16, des sondes orbitales équipées de radar (cartographiant environ 25 % de la planète), puis en 1984 Vega 1 et 2 qui, avant de rejoindre la comète de Halley, larguent des atterrisseurs, plus des ballons français dans la haute atmosphère vénusienne. Le professeur Jacques Blamont, premier directeur scientifique du Cnes qui a contribué au développement de ces ballons, considère que le programme Venera a été « un beau progrès technique », avec des résultats scientifiques plus ou moins importants. Jusqu’à ce jour, seuls les Soviétiques ont réussi l’exploit d’atterrir sur Vénus…
Références
Un ouvrage : Vénus dévoilée, par Jacques Blamont, Odile Jacob, Paris, 1987
Un site : Don P. Mitchell a réutilisé et reconstitué des données originales des sondes soviétiques Venera, consultables sur http://mentallandscape.com/V_Venus.htm
Il est possible d’entendre le bruit environnant au niveau du sol vénusien enregistré par la sonde Venera 14 : https://www.youtube.com/watch?v=8jZDW53U8qQ
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
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